Attention de ne pas avoir une vision simpliste, ni obsolète de l’arthrose, prévient l’Académie nationale de médecine. Les mécanismes de cette arthropathie, longtemps considérée comme une maladie « sans gravité », liée à « l’usure », ont été peu étudiés d’un point de vue scientifique jusqu’à ces dernières années. Récemment, sa physiopathologie a fait l’objet d’importants travaux, apportant des réponses sur les rôles de chacun des tissus articulaires et des médiateurs impliqués dans la maladie. Une séance spécialement dédiée à l’arthrose et à ses nouveautés s’est tenue à l’Académie de médecine, en février dernier, faisant le point sur la recherche et les traitements à venir.
L’enjeu est de taille, cette pathologie touchant en France au moins 10 millions de patients, dont 6 millions avec une arthrose du genou ou de la hanche. En 2013, celle-ci a conduit à la mise en place de 140 000 prothèses de hanche et 90 000 prothèses de genou.
Le handicap fonctionnel est généré essentiellement par la douleur, dont le combat constitue l’un des deux objectifs du traitement, lequel vise aussi l’obtention d’une chondroprotection. Il y a quelques années, une voie radicalement nouvelle s’est ouverte dans le domaine des molécules antalgiques, avec le développement d’un anticorps dirigé contre le NGF (Nerve Growth Factor), protéine clé dans la transmission de la douleur. Une étude incluant 450 patients a apporté la preuve de concept (Lane NE et coll., N Engl J Med 2010). Une seule injection intraveineuse de Tanézumab®, simplement renouvelée après huit semaines, a diminué de 45 à 62 %, selon la dose administrée, le score moyen de douleur pendant une période de six mois. La baisse n’était que de 22 % avec le placebo. Malheureusement, les anti-NGF semblent favoriser la survenue d’arthropathies destructrices, ce qui a conduit la FDA à suspendre tous les essais aux États-Unis, avant d’autoriser leur reprise, sous réserve notamment qu’il n’y ait pas d’administration d’AINS concomitante. Présentée en 2017 au congrès de l’American College of Rheumatology (ACR), une étude de phase III montre une très nette différence à toutes les doses en faveur du Tanézumab® par rapport au placebo, avec semble-t-il, une bonne tolérance. Mais, là encore, la FDA a interrompu transitoirement les essais en raison de la survenue de paresthésies.
Extrait de piment
D’autres recherches s’orientent vers les canaux ioniques. La capsaïcine, activateur des canaux ioniques TRPV1, donne au piment rouge son caractère piquant, mais entraîne aussi un effet anesthésiant s’il est pris en grande quantité. Un essai contrôlé de phase II a été réalisé avec un équivalent synthétique de cette molécule (CNTX-4975). Une seule injection intra-articulaire a entraîné une diminution substantielle de la douleur pendant 6 mois (Stevens R et coll., Eular 2017). Celle-ci était réduite d’au moins 50 % chez deux tiers des patients à la dose la plus élevée. Différentes classes de canaux ioniques sont impliquées au niveau des terminaisons sensitives, ouvrant des pistes thérapeutiques. « Nous allons assister à une explosion de nouvelles molécules », estime le Pr Xavier Chevalier (chef du service de rhumatologie, CHU Henri Mondor).
Le véritable enjeu thérapeutique reste d’avoir un effet structural sur le cartilage, en intervenant tôt dans la maladie. C’est possible chez le sportif jeune ayant des lésions chondrales isolées après un traumatisme articulaire. Dans ce cas, le cartilage pourrait être réparé en utilisant des biomatériaux tridimensionnels, encore du domaine de la recherche, ou des biogels contenant des facteurs de croissance ou des cellules.
« Nous sommes très loin aujourd’hui de la simple greffe de chondrocytes », prévient le Pr Chevalier. Des essais sont réalisés notamment avec des cellules souches autologues, dont les capacités de réparation sont bien supérieures à celles des chondrocytes. Pour réparer des pertes localisées de substance, une équipe coréenne (Kim YS et coll.) a implanté par voie arthroscopique des cellules souches mésenchymateuses dérivées de la graisse abdominale et placées dans un gel de fibrine, dans une petite série de 20 patients (Osteoarthritis Cartilage 2016). L’IRM réalisée après deux ans a montré que le cartilage était en partie reconstitué.
Les cellules souches, une solution toujours explorée
Très en vogue, les cellules souches mésenchymateuses sont bien sûr testées dans l’arthrose, avec l’espoir qu’elles se différencient en chondrocytes dans l’articulation. « Mais on sait maintenant que la cellule souche injectée dans l’articulation agit non pas par son pouvoir de différenciation, mais par sa capacité à produire des facteurs de croissance qui vont stimuler les cellules restantes », explique le Pr Chevalier. « Aucun essai ne montre aujourd’hui que cette technique est supérieure au placebo. Tout reste donc à démontrer, en termes d’utilisation des cellules souches pour la réparation du cartilage. »
Utiliser le cartilage nasal
Deuxième avancée, plutôt que de prélever des chondrocytes autologues par des microbiopsies réalisées dans des zones cartilagineuses supposées non portantes, une équipe suisse les a obtenus à partir de microbiopsies du septum nasal (Mumme M. et coll., Lancet 2016). Ces cellules semblent douées de capacités de régénération du tissu cartilagineux supérieures à celles des chondrocytes articulaires. Elles ont été amplifiées puis cultivées sur une membrane avant d’être implantées au niveau des pertes de substance chez 25 patients ayant des lésions post-traumatiques du cartilage fémoral. Là aussi, après deux ans, la perte de substance était en partie comblée, et les scores fonctionnels et de qualité de vie étaient améliorés.
Ce type de traitement par bio-ingéniérie ne peut être efficace que pour réparer des lésions circonscrites dans un cartilage sain. Pour le Pr Chevalier, il est illusoire d’espérer réparer une arthrose diffuse évoluée. « Tout au plus peut-on essayer de stopper son évolution, soit en diminuant la destruction du cartilage, soit en stimulant sa réparation. » Cette dernière voie est la plus avancée, avec le développement de toute une série de facteurs de croissance. Parmi ces derniers, la sprifermine (Fibroblast Growth Factor 18 ou FGF18) a un intérêt particulier, car elle stimule à la fois la multiplication des chondrocytes et la production de composés par ces cellules. Un essai de phase II, mené sur 549 patients atteints d’arthrose du genou, a eu un retentissement important lors de sa présentation au dernier congrès de l’ACR (Hochberg MC, ACR 2017), car c’est à ce jour le seul produit qui ait montré un effet significatif. La sprifermine a été administrée à raison de trois injections intra-articulaires hebdomadaires, renouvelées à six mois et à deux ans. À l’issue de ce traitement, l’épaisseur du cartilage mesurée par IRM avait augmenté chez les patients traités, alors qu’elle avait au contraire diminué chez ceux ayant reçu le placebo. « C’est la première étude montrant qu’il est possible d’obtenir un gain de cartilage avec un facteur de croissance », souligne le Pr Chevalier. « Un chapelet d’autres molécules va arriver, qui sont encore à des phases préliminaires, mais qui sont certainement porteuses de beaucoup d’espoirs. » La prudence reste cependant nécessaire : « Les facteurs de croissance sont mitogènes pour les chondrocytes, mais aussi pour les autres cellules et il faudra observer s’ils ne peuvent pas avoir à long terme des effets paradoxaux comme la production de CD8. » Une chose est sûre : « si l’on veut freiner l’évolution de l’arthrose, il faut intervenir très en amont », précise le Pr Chevalier. L’enjeu est donc aussi de trouver des biomarqueurs, qui permettraient de diagnostiquer l’arthrose avant l’apparition des signes cliniques et radiologiques.
Trois phénotypes cliniques
Une communication du Pr Jérémie Sellam (service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris) a détaillé les points majeurs concernant la nouvelle approche physiopathologique de l’arthrose. Trois phénotypes cliniques sont définis en fonction des facteurs de risque : l’arthrose post-traumatique du sujet jeune, l’arthrose liée au vieillissement (peut-être due à l’inflammation chronique liée à l’âge) et l’arthrose métabolique. Les personnes obèses ont davantage d’arthrose de la hanche ou du genou pour des raisons notamment mécaniques, mais elles ont aussi deux fois plus de risques de souffrir d’une arthrose digitale, suggérant le rôle de facteurs métaboliques, tels que les adipokines et les acides gras circulants, ayant un effet pro-inflammatoire. Différents arguments scientifiques suggèrent que l’arthrose apparaît associée à chacun des éléments du syndrome métabolique. « Peut-être que le socle commun entre ces éléments est l’inflammation métabolique ou méta-inflammation », suggère le Pr Sellam. « L’arthrose pourrait être le 5e élément* du syndrome métabolique. »* Avec l’HTA, l’intolérance au glucose, l’obésité abdominale, la dyslipidémie.
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