Dossier

Les résultats de notre enquête

10 ans de spécialité entre satisfaction et désillusion...

Publié le 24/03/2017
10 ans de spécialité entre satisfaction et désillusion...

.
GARO/PHANIE

2007-2017 : voilà une décennie que les généralistes sont devenus spécialistes. Mais pour quoi faire ? Et avec quelles conséquences pour la profession ? Pour dresser le bilan de cette réforme emblématique, « Le Généraliste » a sondé ses lecteurs début mars. Si la plupart des médecins de famille peuvent aujourd'hui se prévaloir du label, beaucoup regrettent que leur situation personnelle n'en ait guère profité. Paroles de généralistes spécialistes...

Ce 30 juin 1999, Lionel Jospin clôturant les « États généraux de la santé » annonçait l'instauration de l'internat pour tous. Accompagné de son ministre de la Santé, Bernard
Kouchner, le Premier ministre d'alors résuma les conséquences de la création des épreuves classantes nationales (ECN) d'une courte phrase qui permit aux généralistes présents de se dire qu'ils ne rêvaient pas : « La médecine générale sera reconnue comme une spécialité au même titre que les autres… ». Promesse tenue quelques années plus tard. Les premières fournées de généralistes spécialistes étant sorties de l'internat en novembre 2007, progressivement suivies de milliers de leurs aînés par le biais de la procédure de qualification.
Dix ans plus tard, la réforme semble définitivement rentrée dans les mœurs. Dès 2014, un rapport réalisé par l'Ordre des médecins estimait que près d'un médecin généraliste sur deux inscrit à l'Ordre pouvait se prévaloir du label et une majorité chez les libéraux. Le chiffre a sans doute bien progressé depuis. En tout cas, parmi les 400 généralistes qui ont répondu à notre enquête, ils n'étaient que 15 % à ne pas avoir demandé leur qualification, 12 % de jeunes médecins étant spécialistes du fait de leur internat et près des trois quarts ayant réclamé leur qualification depuis dans le cadre de la procédure mise en place par l'Ordre.

Un début de reconnaissance à la fac

Sur le papier, c'est déjà une traduction concrète de cette réforme puisqu'une majorité de praticiens de ville peut désormais apposer sur sa plaque et ses ordonnances « spécialiste en médecine générale ». Avec une décennie de recul, cet acquis reste d'ailleurs plébiscité par la plupart, pas moins de 76 % des répondants à notre enquête internet la jugeant nécessaire.
Du point de vue des intéressés, c'est néanmoins surtout au plan universitaire qu'elle a changé la donne : 42 % estiment que c'est sur wce volet qu'elle a eu le plus d'incidences. Et de fait, une des conséquences les plus tangibles de la réforme est, par exemple la création de Professeurs titulaires en médecine générale - les premiers ont été nommés en 2009 - précédée l'année d'avant par la première promotion de chefs de clinique en médecine générale. Depuis 2007, on constate aussi un vrai boom des effectifs de maîtres de stage.Mais le mouvement n'est pas terminé. Comme l'explique le Pr Bernard Gay, de Bordeaux (Gironde), « la médecine générale sera réellement reconnue comme une discipline universitaire lorsque les généralistes enseigneront dans les premiers cycles des études médicales ». « La faculté n'a pas encore compris l'importance de la médecine générale », renchérit Bertrand Haushalter, depuis la Champagne.
Hors université, on cherche avec plus de difficulté un effet dynamisant de l'accession à la spécialité. Seul un généraliste sur dix estime que cela a été le cas pour la formation continue et ils ne sont que 6 % d'optimistes à soutenir que ce label a boosté les tarifs en médecine de premier recours. L'obtention de la spécialité aurait, en revanche, davantage joué sur l'image de la discipline, estiment 41 % de notre échantillon.
 

[[asset:image:11701 {"mode":"full","align":"center","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]

Sur le terrain, peu de changements

Une appréciation qui mérite toutefois d'être nuancée. Notre enquête renvoie une nouvelle fois l'image de généralistes assez désabusés et dont les 400 réponses et, surtout, la centaine de commentaires reçus à cette occasion attestent plutôt d'une désacralisation et d'une perte d'attractivité de la profession que visiblement le label de spécialiste n'est pas parvenu à corriger.
« Enfumage », « duperie », « écran de fumée », « blabla », « spécialisation au rabais », « pseudo-réforme », « coquille vide », notent même les plus sévères de nos lecteurs.
« C'est une spécialité sur le papier, mais pas dans les faits, ni les honoraires », relève ainsi Jean-Louis Ibanez, d'Angoulême (Charente). « La qualification en spécialiste de médecine générale ne m'a apporté aucun changement à ma pratique, rien de rien. Elle ne sert que les enseignants qualifiés pour cette spécialité et doit répondre à bien d'autres problématiques administratives, mais toutes très éloignées
de la vie de tous les jours du vulgum médicus », explique Pierre, un généraliste parisien. « Ce qui a changé avec la spécialisation en médecine générale ? Rien, si ce n'est qu'en  dix ans, on a hérité de plus de travail et qu'a contrario, on s'est paupérisé ! », peste Violaine depuis Le Raincy (Seine-Saint-Denis).

Pas mieux considérés qu'avant

Pas grand-chose de neuf en tout cas dans la relation avec les patients . Si l'on en croit leurs médecins traitants, la plupart d'entre eux seraient dans l'ignorance que leur généraliste est désormais spécialiste. « Avec les années, le généraliste s'est beaucoup renforcé du point de vue des connaissances, mais il a perdu en "aura" auprès de ses patients », estime même Thomas Wendling installé dans le Bas-Rhin. Et pas davantage d'amélioration constatée quant aux regards portés par les correspondants du généraliste, estiment les trois quarts de nos sondés. « L'Europe a imposé la spécialisation en médecine générale, les syndicats de "vrais" spécialistes se sont arrangés pour que les généralistes n'en tirent aucun avantage », grince, toujours dans le même département, son confrère Fabien Foesser, de Lingolsheim.
D'une manière générale, seuls 12 % des généralistes qui nous ont répondu estiment que la médecine générale est aujourd'hui « mieux considérée » dans la société que dans les années 1980. Une opinion bien minoritaire qui atteste que, vu du terrain, spécialisation rime finalement bien mal avec considération… « C'est un métier devenu obsolète qui n'intéresse plus personne. Nous sommes déjà remplacés par les sites internet et les cabines de diagnostic ! Le scandale du parcours de soins où le patient peut changer de médecin traitant dix fois dans la journée, s'il le désire, est un bon exemple pour mesurer la considération du médecin généraliste, par la population et, surtout, par nos décideurs… », proteste un praticien de Saint-Raphaël, dans le Var.
 

[[asset:image:11702 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]

Une spécialité comme une autre ?

Peut-être est-ce à cause de cela que les médecins de famille sont si peu nombreux à trouver que leur discipline est « une spécialité comme une autre » : seul un sur cinq est, en effet, de cet avis. Que manque-t-il donc pour que la profession puisse jouer dans la cour des grandes ? L'égalité tarifaire, d'abord, avancé par 80 % des généralistes. « Normal que les jeunes choisissent les autres spécialités, mal payées, mais mieux, tout de même », objecte Yves, un quinquagénaire isérois. « Il ne devrait y avoir aucune différence entre toutes les spécialités », estime en écho Armindo Assuncao, un confrère du Nord. « Il faut renforcer l'attractivité de cette belle spécialité en améliorant les conditions d'installation et de travail au quotidien », renchérit Stéphane. Et ce généraliste du Vaucluse de réclamer une « meilleure tarification pour assurer un secrétariat et un plateau technique performant ».
Autre condition pour amener la médecine générale au niveau des autres disciplines : une attractivité identique dans les choix d'internat (43 %). D'aucuns soulignant à ce propos le douloureux paradoxe de la réforme de 2002 : « Les ECN font que les derniers sont généralistes et ceci a contribué à augmenter le mépris des autres spécialistes envers la médecine générale. En 40 ans de carrière, le mépris n'a cessé d'augmenter », pointe le Dr Anne-Marie Magnier.
Enfin, certains réclament des moyens pour un secrétariat digne de ce nom (37 %), la parité dans les effectifs enseignants (36 %), l'accès aux prescriptions réservées (31 %) ou aux honoraires libres (30 %). Curieusement, l'allongement d'un an de la formation des jeunes dont on parle tant est le dernier critère cité pour rattraper les autres spécialités (24 %)… « Surtout pas une année d'étude en plus, c'est déjà beaucoup trop ! », supplie Isabelle, une Nancéenne qui suggère plutôt que « tous les étudiants aient un stage d'externe chez le généraliste ».
Si la médecine générale reste une spécialité à part en 2017, c'est aussi pour des raisons moins péjoratives. « Singuliers généralistes », titrait il y a quelques années un ouvrage de sociologues… « Plutôt que d'une spécialité il aurait fallu parler de spécificité », estime en écho un confrère du Gard. Les réponses à notre enquête décrivent à grands traits cette originalité de la discipline par rapport aux autres. Et pour la définir, les praticiens mettent massivement en avant « l'approche globale du patient » (citée par 86 %), mais aussi la coordination et le suivi au long cours (66 %) et, dans une bien moindre mesure, « la permanence des soins » (36 %). Le volontariat de la garde, intervenu en 2002, explique sans doute ce grand écart…
 

[[asset:image:11703 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]

Le rôle du généraliste n'en sort pas renforcé

De fait, sur la permanence des soins, le parcours de soins ou les modes de rémunération, le positionnement de la médecine générale a tout de même bien changé depuis le début des années 2000. Las ! Une majorité de généralistes s'accordent à penser que l'accession à la spécialité n'est pas pour grand-chose dans les modifications intervenues ces dernières années : en effet, les deux tiers des questionnaires reçus inclinent à penser que ce n'est pas ce label qui a bouleversé la donne professionnelle.
Deux raisons expliquent ce jugement tranché. Primo, en dépit des réformes successives censées renforcer le « pivot » du système de soins, les généralistes ne sont pas si persuadés que, ces dernières décennies, leur place a pris plus d'importance dans le système de santé : un petit tiers pense que le généraliste y joue un rôle plus important qu'avant, un gros tiers penchant pour un rôle équivalent et un tiers tout juste évoquant un moindre rôle…
Et puis, quand on évoque les changements de règles du jeu qui ont impacté la profession ces dernières années, plus de 80 % de nos lecteurs pensent que médecin traitant, ROSP ou bientôt C à 25 € se seraient produits de toute façon, la spécialité n'ayant rien changé à l'affaire. Autant dire que, dix ans plus tard, si peu de praticiens renieraient le titre de spécialiste, le moins qu'on puisse dire est que, pour l'immense majorité, il n'est pas considéré comme un sésame à même de redorer le
blason de la médecine générale. Il va peut-être falloir inventer autre chose…
 

[[asset:image:11704 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]
[[asset:image:11705 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]

Après l'enquête, le débat...

« La médecine générale est-elle une discipline comme une autre ? » Dans le cadre du Congrès de la médecine générale dont Le Généraliste est partenaire presse, nous poursuivrons le débat sur les 10 ans de la spécialité en médecine générale. Venez assister à la table ronde qui réunira les Prs Pierre-Louis Druais (président du Collège de la médecine générale), Bernard Gay (président de la Commission nationale de qualification) et Stéphane Oustric (Cnom) ainsi que le Pr Dominique Perrotin (ancien président de la Conférence des Doyens de facultés de médecine).
Vendredi 31 mars, 9h-10h30, Palais des Congrès de Paris, salle Maillot.

 

Dossier réalisé par Paul Bretagne