Loi Duplomb réintroduisant un néonicotinoïde : des députés médecins expliquent leur vote

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Publié le 11/07/2025
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Les députés ont voté la controversée proposition de loi dite Duplomb, visant à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur » le 8 juillet. Le texte prévoit notamment une réintroduction d’un insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Anciens ministres de la Santé et députés médecins se sont opposés dans leur vote, en majorité favorable.

Crédit photo : Cesar VILETTE/OLA NEWS/SIPA

Duplomb dans l’aile de la santé des Français ? L’Assemblée nationale a approuvé le 8 juillet les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi Duplomb (du nom de son auteur, sénateur LR) visant à « lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ». L’une de ses dispositions, la réintroduction – à titre dérogatoire, pour trois ans, avec clause de revoyure – de l'acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018, a enflammé le débat. Avec 316 voix en sa faveur et 223 voix contre, le produit jugé « potentiellement cancérigène » par la Ligue contre le cancer est ainsi autorisé en Europe jusqu’en 2033.

Dans le détail du scrutin, la majorité des anciens ministres de la Santé ont voté pour : l’allergologue Geneviève Darrieussecq (MoDem), la pharmacienne Agnès Firmin Le Bodo et Frédéric Valletoux (Horizons). À l’instar de son groupe, Aurélien Rousseau (socialistes et app.) a voté contre.

Parmi les députés médecins du parti présidentiel (EPR), les généralistes Anne Genetet et Michel Lauzzana, la rhumatologue Stéphanie Rist et le chirurgien Jean-François Rousset sont favorables à cette mesure. C’est également le cas de l’anesthésiste-réanimateur Philippe Juvin (DR) et la généraliste Joëlle Mélin (RN).

Seuls trois médecins s’y sont opposés : le généraliste Paul-André Colombani (Liot), l’ORL Cyrille Isaac-Sibille (MoDem) et la généraliste Dominique Voynet (Écologistes).

Relativiser la réintroduction

L’ancien ministre et président de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale Frédéric Valletoux a, dans un communiqué, justifié sa position en saluant un texte qui respecte « les exigences collectives en matière de santé publique, de transition écologique et de sécurité alimentaire ». L’ancien maire de Fontainebleau (Seine-et-Marne) a martelé que « non, ce texte ne réintroduit pas les néonicotinoïdes : leur interdiction reste la règle. Une seule dérogation est possible pour l’acétamipride, temporaire, strictement encadrée et soumise à l’avis d’un comité de surveillance indépendant. » Et de relativiser son impact : « Au maximum, cette dérogation pourrait concerner 500 000 hectares, soit 1,35 % de la surface agricole utilisée. »

C’est en substance ce qu’a défendu son collègue du bloc central, le généraliste Michel Lauzzana. « Nous n’avons pas fait n’importe quoi : nous sommes bien conscients qu’il ne faut pas manger l’acétamipride à la petite cuillère, mais ne soyons pas excessifs ! La propagande a été honteuse, ce n’est même pas prouvé que le produit tue les abeilles ! », s’est-il agacé auprès du Quotidien. « Les agriculteurs font attention avec ces produits, car ce sont aussi leurs enfants et leurs femmes enceintes qu’ils nourrissent », a ajouté l’élu d’Agen. D’autant plus que, selon lui, il vaut mieux manger des fruits et légumes traités que de ne pas en manger du tout, car ceux-ci sont épluchés, lavés… Et permettent d’allonger l’espérance de vie. En somme, « momentanément, nous acceptons ce petit risque. Cette utilisation est beaucoup encadrée, à un moment où nous n’avons aucun substitut pour le moment. Nous l’interdirons quand ce sera le cas », a-t-il aussi ajouté.

Ne pas transiger sur la santé publique

Même son de cloche du côté de Jean-François Rousset, qui est également président du groupe de travail Cancer de l’Assemblée nationale : « Ce n’est pas le produit autorisé le plus agressif ; il a une durée de vie très courte et se retrouve sous forme de traces ». Et surtout, a-t-il affirmé au Quotidien : « Quand des maladies ont été induites, comme dans le cas de cancers, c’était à une époque où les agriculteurs n’avaient pas de formations adéquates, réalisées par les marchands [d’insecticides] eux-mêmes… » Ainsi, selon le chirurgien digestif de formation : « Nous réintroduisons un produit certainement à l’origine de pathologies, mais avec un meilleur usage et dans de meilleures quantités ». Avant d’ajouter que dans son département, les cerisiers touchés par des parasites – telle que drosophila suzukii – que les producteurs ne parviennent pas toujours à traiter, ont été arrachés et remplacés par des mirabelliers. « Ce qui n’empêche pas les consommateurs d’acheter, sur les marchés, des cerises importées, avec des insecticides », a-t-il pointé, notant également que, parmi les 27 pays européens, 23 ont l’autorisation d'utiliser l’acétamipride.

Le Dr Paul-André Colombani (Liot) est l’un des seuls praticiens de l’Assemblée à avoir voté contre le texte. S’il reconnaît qu’il est « indéniable » que certaines filières ont « vraiment » besoin d’une aide, il est nécessaire, selon le généraliste corse, de « limiter au maximum » l’utilisation de l’acétamipride, ne serait-ce que pour respecter le principe de précaution. « En tant que médecin, la réintroduction de ce néonicotinoïde me dérange. De nombreuses sociétés savantes ont lancé des alertes, aussi bien sur la santé humaine [à titre préventif, l’Anses n’ayant établi aucun lien entre néonicotinoïdes et nocivité pour la santé humaine, NLDR] que sur les abeilles. Je ne me voyais pas transiger sur la santé publique : c’est clairement une marche arrière ». Le Dr Colombani pointe toutefois les contradictions de la situation : « Beaucoup de personnes se révoltent, mais achètent des pots de Nutella, avec des noisettes turques, pleines de néonicotinoïdes… »


Source : lequotidiendumedecin.fr