Chirurgie bariatrique

Quels risques sur l'os ?

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Publié le 16/04/2021
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Si la chirurgie bariatrique a un intérêt majeur pour réduire la morbimortalité de l’obésité sévère, elle a aussi un retentissement délétère sur la santé osseuse, en particulier après by-pass. Des conséquences qu’il importe de prévenir chez les patients les plus à risque.
Dans les six ans suivant un bypass, le risque de fracture ostéoporotique majeure est augmenté

Dans les six ans suivant un bypass, le risque de fracture ostéoporotique majeure est augmenté
Crédit photo : phanie

« La chirurgie bariatrique réduit fortement les comorbidités associées à l’obésité comme l’hypertension artérielle, le diabète de type 2, le surrisque de certains cancers et la surmortalité globale, des bénéfices qu’il faut garder en tête avant de parler des effets néfastes sur l’os », insiste le Pr Julien Paccou, rhumatologue au CHRU de Lille. Il a été mis en évidence une perte osseuse chez les patients opérés, une augmentation du remodelage osseux ainsi qu’un risque fracturaire (1,2,3,4,5). Par ailleurs, la réalisation en recherche de scanners à haute résolution démontre clairement une détérioration de la microarchitecture osseuse au fil du temps.

Une ostéoporose secondaire

Si l’augmentation du remodelage osseux est précoce, le risque fracturaire ne se révèle qu’à partir de la troisième année, avec comme localisation principale, la hanche et le poignet.

La physiopathologie reste imparfaitement connue. Sont impliquées dans la perte osseuse : la carence vitamino-calcique, l’hyperparathyroïdie secondaire, la perte de poids, l’insuffisance d’apport protidique et vraisemblablement les hormones gastro-intestinales, en particulier le peptide YY (PYY-36).

On peut parler d’ostéoporose secondaire à la chirurgie bariatrique mais on manque d’études sur le long terme pour évaluer le nombre et l’incidence des fractures qui en résultent. Une étude de 2019 (6), a suivi pendant 10 ans des patients opérés, et fait état de 10 à 15 % de fractures de fragilité, un chiffre qui pourrait être sous-estimé… En effet, les données fracturaires recueillies sur la base du système de santé ne recensent que les fractures nécessitant une hospitalisation. Il reste difficile de connaître l’impact fracturaire réel et en particulier chez les personnes opérées il y a 20 ans.

Le retentissement osseux évalué par les données densitométriques, fracturaires et du remodelage osseux semble moindre après la sleeve gastrectomie qu’après le by-pass, dû notamment à une malabsorption moins importante. Dans une étude nationale française évaluant la survenue d’une fracture ostéoporotique majeure dans les six ans suivant une chirurgie bariatrique, le risque est significativement augmenté après un by-pass (OR = 1,87) mais pas après les autres procédures, et en particulier pas après une sleeve gastrectomie (7).

Évaluer les patients à risque

L’idéal serait de doser systématiquement la vitamine D et d’en compenser les carences, mais aussi en calcium et protéines, ce qui est encore loin d’être la règle. Les patients ont parfois des difficultés à en comprendre le bénéfice. Les apports en protéines sont souvent insuffisants par rapport aux besoins, et la supplémentation en calcium et vitamine D peut nécessiter des doses supérieures aux posologies usuelles pour compenser la malabsorption. Le patient devrait être plus impliqué dans sa prise en charge, y compris pour la reprise d’une activité physique qui a fait ses preuves pour contrebalancer en partie le retentissement osseux délétère. Cependant, les programmes ne sont pas toujours mis en place et un certain nombre de patients sont malheureusement perdus de vue. On oublie trop souvent que la chirurgie bariatrique, y compris la sleeve gastrectomie, n’est pas une intervention banale et qu’elle nécessite des changements de vie. « On pourrait raisonnablement proposer une évaluation osseuse – recherche de facteurs de risque d’ostéoporose, densité minérale osseuse, bilan phosphocalcique complet – pour les hommes de plus de 50 ans, les femmes ménopausées (les patients de plus de 50 ans ne représentant que 15 % des opérés) et les personnes les plus à risque de fractures » (8,9). Quelques filières se mettent en place pour dépister l’ostéoporose et repérer les patients à risque qui doivent être opérés, comme c’est le cas au CHU de Lille.

Sous l’égide de la Société française de rhumatologie (SFR) et du Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO), des experts travaillent sur de futures recommandations, en partenariat avec les sociétés savantes de chirurgie bariatrique, concernant la prise en charge osseuse avant et après la chirurgie bariatrique. On devrait aussi disposer de recommandations européennes provenant de l’European Calcified Tissue Society (ECTS) courant 2021.

Des traitements par inhibiteurs de la résorption osseuse, de préférence administrés par voie injectable pour s’affranchir de la malabsorption, sont actuellement étudiés dans la prévention du remodelage et de la perte osseuse. Il restera à déterminer qui et comment traiter, ainsi que le suivi des patients.

D’après un entretien avec le Pr Julien Paccou, rhumatologue au CHRU de Lille
(1) Ahlin et al. J Intern Med 2020 May;287(5):546-57 
(2) Axelsson et al. J Bone Miner Res 2018;33:2122–31 
(3) Gagnon et al. JBMR Plus. 2018 May 1;2(3):121-33.
(4) Khalid et al. JAMA Netw Open. 2020;3(6):e207419 
(5) Lespessailles et al, J Clin Endocrinol Metab. 2019 Mar 22
(6) Blom-H gest l & al. Bone. 2019 Jul 16;127:436-45 
(7) Paccou et al. J Bone Miner Res. 2020 Mar 18. 
(8) Muschitz et al. J Bone Miner Res. 2016;31:672-82.
(9) Stein et al. Lancet Diabetes Endocrinol. 2014 February ; 2(2): 165–174.

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr