Une femme de 40 ans, aux antécédents de thyroïdite de Hashimoto, d’hypertension artérielle, de maladie de Biermer et de pré-éclampsie, est suivie pour une spondyloarthrite axiale non radiographique, HLA-B27 positive, diagnostiquée sur des lombalgies, une talalgie d’horaire inflammatoire ainsi que des antécédents familiaux de psoriasis cutané et d’uvéite.
Une biothérapie anti-TNF par adalimumab (Humira) a permis la disparition complète des symptômes pendant plusieurs mois. Un an plus tard, en raison d’un échappement thérapeutique, le traitement a été relayé par un second anti-TNF : le golimumab (Simponi).
Eruption cutanée, dyspnée et péricardite
Six mois plus tard, à la suite d’une exposition solaire, la patiente a développé une éruption cutanée du nez et des mains, spontanément résolutive. Quelques semaines plus tard, elle est dyspnéique et consulte aux urgences. Cliniquement, elle n’a pas de signe de détresse respiratoire. L’ECG et l’échographie cardiaque sont normaux, mais le scanner thoracique identifie une lame d’épanchement péricardique. Pour cette péricardite, la patiente est traitée par aspirine à dose anti-inflammatoire, ce qui a permis une amélioration partielle de la dyspnée. En parallèle, un tableau d’arthralgies, myalgies et de fatigabilité musculaire à l’effort est apparu. Dans ce contexte, le traitement par golimumab est interrompu.
Des anticorps anti-ADN natifs révélateurs
Le bilan biologique a retrouvé des anticorps antinucléaires au taux de 1/80 avec présence d’anti-ADN natifs à 305 UI. Les anticorps anti-ECT sont absents ; le DOT myosite est négatif et les créatines phosphokinases (CPK) sont normales. Il n’existe pas de syndrome inflammatoire, ni de consommation du complément.
Devant le tableau clinique et l’apparition d’anticorps anti-ADN natifs (initialement négatifs lors du bilan pré-biothérapie), un diagnostic de lupus induit aux anti-TNF a été retenu. La patiente n’a développé aucune autre atteinte.
Un traitement par hydroxychloroquine a été débuté ayant permis une amélioration partielle de la dyspnée, des arthralgies et des myalgies lors de la réévaluation clinique à un mois.
Les anti-TNF à l’origine de lupus
Dès les premières études cliniques évaluant l’efficacité des anti-TNF, l’apparition d’anticorps anti-nucléaires (AAN) sous traitement a été signalée, se confirmant lors de la mise sur le marché avec le développement des prescriptions. Sous anti-TNF, les AAN se développent chez 20 à 50 % des patients (1).
Le mécanisme physiopathologique n’est pas connu mais plusieurs hypothèses ont été émises. Tout d’abord, le TNF alpha aurait une action régulatrice de l’interféron alpha (INF), qui a un rôle majeur dans la physiopathologique lupique. De plus, les anti-TNF augmentent les phénomènes d’apoptose, entraînant la présentation des nucléosomes au système immunitaire. Il existe aussi un déséquilibre des lymphocytes Th1 et Th2 en faveur des lymphocytes Th2 ayant un rôle dans le système humoral. Enfin, l’augmentation des infections bactériennes sous anti-TNF stimulerait les lymphocytes B et la production d’anticorps (2).
L’apparition des AAN ou l’augmentation de leur taux n’a pas systématiquement de traduction clinique. Néanmoins, il a été décrit d’authentiques manifestations cliniques associées, compatibles avec un lupus érythémateux disséminé.
Une majorité d’atteintes cutanées
Dans une étude française rétrospective, l’incidence des lupus induits par les anti-TNF a été estimée à 0,18 %. Vingt-deux cas ont été décrits avec un délai moyen de 16 mois entre l’introduction de l’anti-TNF et les premiers symptômes. Dix patients n’ont présenté qu’une atteinte cutanée. Les 12 autres cas ont présenté des tableaux systémiques, avec des atteintes cutanéo-articulaires fréquentes (neuf cutanées ; huit articulaires, sept cas avec des signes généraux) et plus rarement des atteintes viscérales graves (une pulmonaire, une neurologique et deux sérites). La présence d’AAN d’isotype IgG détecté au test de Farr ou d’ADN natif est plus souvent associée aux manifestations cliniques que les AAN de type IgM détecté en ELISA. L’évolution de ces patients a été marquée par la disparition des symptômes à l’arrêt des anti-TNF avec un délai médian de huit semaines (sauf pour un cas ayant nécessité six mois), avec parfois une corticothérapie associée nécessaire (deux sous forme topique, deux en bolus intraveineux et quatre per os) [3].
Sur le registre espagnol des effets indésirables des biothérapies, 357 lupus induits aux anti-TNF ont été décrits soit une incidence à 0,33 %, dont 50 % d’entre eux avaient une forme cutanée pure. Parmi les manifestations graves, ont été décrites : dix atteintes rénales, une pulmonaire et un neurolupus (4).
D’autres atteintes auto-immunes ont été observées sous anti-TNF ainsi qu’avec d’autres biothérapies : pelade, hépatite auto-immune, sclérose en plaques, etc. (4).
Une surveillance de rigueur
En somme, l’apparition ou l’élévation des AAN sont fréquentes sous anti-TNF mais n’ont pas systématiquement de traduction clinique. Leur suivi et leur dosage ne sont pas recommandés, et leur apparition ne nécessite pas l’arrêt de l’anti-TNF (5). La présence d’une maladie auto-immune pré-existante ne contre-indique pas la mise sous anti-TNF (en dehors de la sclérose en plaques, qui constitue une contre-indication absolue). Des formes rares de lupus induit sous anti-TNF ont été décrites dont la majorité se traduit par une atteinte cutanée isolée, typiquement au visage sous forme de « masque de loup ». Ainsi, toute éruption cutanée sous anti-TNF requiert un avis dermatologique et très souvent une biopsie cutanée, afin d’éliminer les diagnostics différentiels. Les formes plus systémiques de lupus nécessitent l’arrêt du traitement et disparaissent dans les semaines suivant l’arrêt, avec parfois le besoin d’introduire une corticothérapie. Même exceptionnelle, l’apparition d’atteintes viscérales, notamment rénales, doit être surveillée.
Service de rhumatologie, Centre Viggo Petersen, hôpital Lariboisière (Paris).
(1) Shakoor N, Michalska M, Harris CA, Block JA. Drug-induced systemic lupus erythematosus associated with etanercept therapy. Lancet 2002;359:579-80.
(2) De Bandt M. Anti-TNF-alpha-induced lupus. Arthritis Research & Therapy 2019;21:235.
(3) De Bandt M, Sibilia J, Le Loët X, et al. Systemic lupus erythematosus induced by anti-tumour necrosis factor alpha therapy : a French national survey. Arthritis Research & Therapy 2005;7:R545.
(4) Pérez-De-Lis M, Retamozo S, Flores-Chávez A, et al. Autoimmune diseases induced by biological agents. A review of 12,731 cases (BIOGEAS Registry). Expert Opin Drug Saf 2017;16:1255-71.
(5) CRI-net ::Fiches pratiques & eSessions SCRIPT :: Fiches pratiques du CRI : Prise en charge pratique des patients sous… :: Anti-TNF [Nov. 2020]. http://www.cri-net.com/fiches-pratiques-et-eSessions/dernieres-mises-a-… (accessed March 7, 2021).
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024