LE QUOTIDIEN : Qu'est-ce que le rétablissement ?
Pr NICOLAS FRANCK : C'est le processus qui permet à une personne vivant avec des troubles psychiatriques d’atteindre un état de santé qu'elle juge satisfaisant. Le médecin ne peut le prescrire : c'est le patient qui définit ses propres objectifs de vie. À l’inverse du paternalisme à l'ancienne où le médecin décidait des traitements sans concertation, l’approche centrée sur le rétablissement impose la modestie en nous en remettant à la parole de nos patients… Ce qui leur redonne de l’espoir.
Contrairement au champ des pathologies somatiques, le rétablissement en santé mentale n'est pas synonyme de guérison, ni même de rémission. Il n'est pas question de chercher une mise sous silence des symptômes à tout prix, au détriment notamment de la capacité d'apprentissage que risqueraient d'altérer de fortes doses d'antipsychotiques. Quand les symptômes sont sources de grande souffrance, il faut les réduire, mais s'ils sont acceptés, maîtrisés et qu'ils passent au second plan aux yeux de la personne, s'acharner dessus devient délétère.
Comment la réhabilitation psychosociale peut-elle conduire au rétablissement ?
La réhabilitation psychosociale propose plusieurs outils de soins non médicamenteux destinés à favoriser le rétablissement : en tant que médecins, nous avons le devoir de les mettre en place - alors que le rétablissement est subjectif et dépend aussi de rencontres ou de circonstances de la vie sur lesquelles nous n'avons aucune prise.
Le lien entre rétablissement (issu du mouvement des usagers dans les pays anglo-saxons) et réhabilitation psychosociale (courant plus international, lié à la désinstitutionnalisation) est typiquement français. Il découle de la rencontre entre l'approche orientée rétablissement et les sciences cognitives.
Premier outil de la réhab, la psychoéducation vise à ce que les personnes s'approprient les connaissances et savoir-faire relatifs à leur maladie. Pour dépasser une simple transmission d'information, le partage des savoirs expérientiels des pairs-aidants est capital.
Ensuite, il s'agit de travailler sur les compétences sociales et la communication, car les interactions avec autrui sont souvent compliquées pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères. L'on recourt donc à des jeux de rôle en s'inspirant des difficultés rencontrées au quotidien.
Troisièmement, la remédiation cognitive permet aux personnes de retrouver leurs capacités et de mieux maîtriser leur environnement. Il s'agit d'exercices améliorant les capacités vidéo-spatiales, l'attention, la mémoire, la résolution de problèmes, les capacités à définir une action en fonction du but et du contexte, à comprendre les informations et les intentions d'autrui (théorie de l’esprit, reconnaissance des émotions), etc. Ces programmes peuvent durer de quelques semaines à quelques mois.
Ces pratiques peuvent-elles concerner toutes les pathologies psychiques ?
L'approche orientée rétablissement s'adresse à tout le monde et la réhabilitation psychosociale à ceux qui ne sont pas susceptibles de se rétablir si un lien n’est pas établi entre leurs objectifs de vie et les soins permettant de les atteindre. Elle est notamment très pertinente pour les personnes qui ont des troubles mentaux sévères (schizophrénie, troubles bipolaires et borderline sévères), des troubles du spectre de l'autisme sans déficience, des addictions…
Que devient le rôle du psychiatre, comment s'articule-t-il avec les autres soignants ?
Le psychiatre doit connaître les indications pour orienter les gens. Il propose ces programmes de soins au patient, qui doit s'en emparer activement, puis le revoit à l'issue. Il n'a pas à déployer lui-même ces outils, même s'il peut participer à la psychoéducation, en binôme avec un pair-aidant, un infirmier ou un psychologue, ainsi qu'à l'entraînement des compétences sociales. La remédiation cognitive, elle, est davantage assurée par les neuropsychologues, les infirmiers et les ergothérapeutes.
En quoi ces approches sont-elles incompatibles avec des pratiques d'isolement et de contention ?
L'objectif est que les gens s'engagent volontairement dans les soins, en se rendant compte du bénéfice qu'ils en tirent. L'isolement et la contention peuvent éviter à une personne de se mettre en danger, mais cela reste traumatisant : une fois la crise passée, la personne se souviendra qu'elle n'a pas été bien traitée et n'adhérera pas aux soins. On ne peut contraindre les gens, il faut plutôt les convaincre.
Au pôle Centre rive gauche à Lyon, nous avons réduit l'isolement et la contention dans nos unités grâce à des protocoles, à l'anticipation des moments de crises, aux rencontres avec les familles, à la mise en place d'une chambre sensorielle d'accès libre, à des prescriptions pharmacologiques optimisées et à beaucoup de formation pour les équipes. L'ambiance en est profondément transformée.
Cette offre de réhabilitation psychosociale est-elle disponible partout en France ?
Des dizaines de structures la proposent (1). L'enjeu, c'est que les secteurs de psychiatrie générale s'en emparent, comme on le fait au pôle Centre rive gauche, dont j'ai pris la chefferie en janvier 2020. Tous les habitants d'un secteur (en l'occurrence, 250 000 personnes, sur trois arrondissements de Lyon) doivent pouvoir accéder à ces outils, et non seulement les personnes qui iraient dans des structures de recours, ce qui est inégalitaire.
Au pôle Centre rive gauche, nous avons en outre mis en place un centre d'accueil, d'évaluation et d'orientation (Cadeo) : les psychiatres y reçoivent les gens dans un court délai d'attente (6 jours aujourd’hui) et les réorientent dans le domaine de la santé mentale, y compris vers le libéral, le privé ou l'associatif. Cette structure de semi-urgence permet une prise en charge précoce des patients, sans attendre qu'ils se dégradent et finissent dans des services d'urgence et d'hospitalisation déjà saturés. Depuis son ouverture en 2020, nous recevons un millier de personnes par an (toujours pour un bassin de population de 250 000 habitants).
Malheureusement, la réhabilitation psychosociale reste méconnue de la population générale et des généralistes. Pourtant, de plus en plus de patients sont suivis en médecine générale. Ils devraient connaître ces outils pour pouvoir les proposer à certains de leurs patients qui auraient un problème cognitif ou des difficultés à s'approprier leur traitement ou leur maladie.
Un récent rapport de la Fondation Jean Jaurès invite à refonder la psychiatrie sur la notion de rétablissement. Est-ce souhaitable et faisable ?
Bien sûr ! Si on l'a fait pour un secteur, on peut le faire pour tous les secteurs. Il faut s'inspirer de ces approches pour améliorer leur organisation, et, surtout, éviter de créer des structures spécialisées orientées sur des catégories nosographiques, qui peuvent certes attirer les psychiatres, mais au détriment de structures de proximité comme les centres médicopsychologiques (CMP).
Ce changement peut susciter des réticences. Les médecins ne sont pas toujours convaincus de l'intérêt des pairs-aidants. Mais une fois qu'ils travaillent avec eux, ils ne peuvent plus s'en passer (comme dans notre pôle lyonnais où nous travaillons maintenant avec 11 pairs-aidants) ! En outre, se mettre au service du patient peut représenter plus de travail, mais cela fonctionne mieux, car les soignants ont un sentiment d'utilité.
(1) Liste disponible sur le site du centre ressource : centre-ressource-rehabilitation.org
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