Dans « Réinventer notre santé mentale avec le Covid-19 » (ed. Odile Jacob), la Pr Marion Leboyer, psychiatre, dresse, avec la psychologue Lisa Letessier et la directrice de la fondation FondaMental Anne de Danne, un état des lieux des conséquences psychiatriques de la crise sanitaire en France. À l'occasion de la Journée mondiale de la santé mentale le 10 octobre, la psychiatre revient sur les enseignements à tirer de cette crise.
LE QUOTIDIEN : Quels constats ont motivé la rédaction de ce livre ?
Pr MARION LEBOYER : L’idée de départ est de prendre la crise comme une occasion d’impulser un changement dont la psychiatrie a vraiment besoin. Un besoin d’abord de changer la représentation des maladies mentales. L’enjeu est aussi de comprendre qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale, comme l’a déjà énoncé l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Tout ce qu’on sait sur le plan de l’inflammation, de l’infection et de la dépression doit être connu du grand public. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Et des gens qui ont eu le Covid-19 et qui développent ensuite des troubles anxiodépressifs ne font pas le lien. L’idée est vraiment d’informer.
Le livre rappelle l’esprit très cartésien présent en France avec un dualisme qui oppose l’esprit et l’âme d’une part et le physique et le corps d’autre part. Pendant longtemps, les scientifiques ont pensé que la barrière hématoencéphalique était totalement imperméable, alors que ce n’est pas le cas. On sait désormais qu’il y a un lien permanent entre le système nerveux central et la périphérie avec une perméabilité de la barrière hématoencéphalique.
Le lien entre inflammation et dépression est très ancien et très connu. Il a été établi dès la fin des années 90 par des équipes françaises. Ces travaux ont montré que parmi les patients qui étaient traités par interféron pour une hépatite, 40 % développaient une dépression. Ensuite, les cohortes scandinaves ont montré que le risque de dépression augmentait de près de 60 % après une hospitalisation pour une infection grave. Le Covid vient de nouveau confirmer ce lien puisque près de 30 %, et probablement plus, des sujets qui ont été infectés par le Covid présentent des troubles de l’humeur dans les mois qui suivent et jusqu’à 6 mois après. Mais ces patients n’en sont pas conscients. Les informer était une des premières motivations de ce livre, mais aussi faire reconnaître ce lien et changer les représentations.
Il est également nécessaire de profiter de cette crise pour rappeler que l’on ne nous enseigne pas assez à être résilient. L’enjeu est d’informer le grand public sur un certain nombre de techniques, sur ces stratégies de psychothérapie qui souffrent souvent d’une représentation assez fausse.
Vous souhaitez également que les leçons de la crise sanitaire soient tirées…
C’est en effet indispensable. Il faut être conscient qu’on est devant une vague d’augmentation des pathologies psychiatriques, alors que c’est un secteur qui était déjà en souffrance avant. Il y a urgence à prendre conscience de la nécessité d’une grande réforme de la psychiatrie qui comprenne une campagne d’information, une modernisation du système de soins et un soutien à la recherche et à l’innovation.
Les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ces 27 et 28 septembre vous ont-elles semblé apporter des réponses à la hauteur des enjeux ?
Soulignons d’abord que c’est la première fois qu’un président de la République en personne prend la parole sur la psychiatrie et vient conclure les Assises. C’est important qu’il y ait une mobilisation du gouvernement pour relever le défi de la santé mentale dans le contexte du Covid. C’est une reconnaissance extrêmement importante. Il y a des intentions fortes. Maintenant, on attend encore d’en voir la réalisation concrète, en particulier dans nos services, pour les patients et pour les soignants qui sont en très grande difficulté.
La situation de la psychiatrie en France est grave. Pour rappel, 70 000 lits ont été fermés en 15 ans, alors qu’un Français sur 4 est malade, sans compter les proches. Les coûts directs et indirects s’élèvent à 160 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation par rapport aux 109 milliards qu’on avait identifié en 2009. Un grand Colloque au CESE le 18 octobre permettra de présenter ces chiffres.
Les coûts augmentent sans pour autant aboutir à des soins de meilleure qualité. Au contraire. En ce moment, on assiste à une baisse d’attractivité du secteur, avec des départs de soignants des services hospitaliers. La situation est très inquiétante. Il y a une vraie urgence à réenchanter la psychiatrie, à améliorer l’attractivité, à faciliter l’accès aux soins et à financer la recherche et l’innovation. Ce sont là des chantiers auxquels il faut s’attaquer très vite.
Concernant le Covid, une publication du « Lancet Regional Health Europe » revient sur la surmortalité associée à la maladie mentale…
Ce sont des résultats que nous avons également observés et publiés. Tout le monde a les mêmes chiffres, avec deux fois plus de risque de développer un Covid grave et deux fois plus de risque d’en mourir si on est atteint d’une maladie mentale.
C’est pourquoi la vaccination est primordiale. Plusieurs appels ont été lancés en ce sens. Une initiative internationale est d’ailleurs prévue ce 10 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, pour rappeler la nécessité d’un plan de vaccination systématique car ces patients sont en danger. Une mobilisation est indispensable et c’est le sens de cet appel. Il faut sans cesse rappeler le lien entre maladie mentale et infection, marteler qu’il n’y a pas de santé sans santé mentale et mettre en œuvre une santé globale qui prend en charge les maladies mentales et les maladies somatiques.
Le lien entre inflammation/infection et dépression n’est pas suffisamment reconnu selon vous ?
Nous venons de sortir un textbook sur l’immunopsychiatrie. C’est passé inaperçu, alors que c’est un sujet énorme. Le Congrès de l’European College of Neuropsychopharmacology (ECNP), qui s’est tenu du 2 au 5 octobre, était concentré sur cette thématique. Il n’y a qu’en France qu’on ne s’y intéresse pas.
Pourtant, les données s’accumulent sur des marqueurs sanguins, sur les conséquences au niveau cérébral et du système digestif. Les liens entre maladie mentale et inflammation sont démontrés, mais peu connus, et les représentations ne changent pas. Quand, six mois après un Covid, un patient est fatigué, manque d’énergie et de motivation, il ne fera pas le lien entre le Covid et le déclenchement d’une dépression. C’est identifié comme un Covid long, mais en France, les psychiatres ne sont pas dans la boucle de la prise en charge. C’est une spécificité tristement française. Le tabou sur la dépression dans notre pays est catastrophique.
À cet égard, que penser du remboursement des consultations de psychologues ?
Il est démontré qu’au cours d’une psychothérapie, qu’elle soit cognitive, comportementale ou autre, les marqueurs de l’inflammation baissent au fur et à mesure de l’amélioration. Il n’y a pas d’un côté un traitement psychologique qui aurait des effets sur l’âme et de l’autre, un traitement médicamenteux qui aurait un effet sur les marqueurs de l’inflammation. Le traitement d’une dépression n’est pas une approche médicamenteuse ou une psychothérapie, mais bien les deux, associés à des règles d’hygiène de vie (sommeil, alimentation, activité physique) qui sont aussi importantes pour améliorer et traiter la dépression. On a là un trépied. Le remboursement de la psychothérapie est ainsi indispensable pour toute une frange de la population qui n’y a pas accès en dehors des hôpitaux et des centres médico-psychologiques où les psychologues sont complètement débordés.
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