Exclusion sociale

Les déterminants suicide

Publié le 05/12/2013
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ÉMILIE OLIE (1)

SELON Durkheim, qui affirmait que « la pauvreté protège du suicide », le suicide est associé à un faible niveau d’intégration sociale. Pourtant, un accroissement récent de la mortalité par suicide a été rapporté en lien avec l’augmentation du chômage (2). Et il existe aussi la théorie interpersonnelle du suicide (3), centre les conduites suicidaires (CS), sur l’impression d’être un poids pour l’entourage et le sentiment d’isolement. Reconnaissons que ceci fait écho à la problématique suicidaire chez les personnes âgées et isolées, ou en milieu carcéral. Mais si l’existence d’un stress psychosocial précipite le passage à l’acte suicidaire, elle ne suffit pas à l’expliquer.

Les CS reposent donc sur un modèle de stress/vulnérabilité (4). Ainsi les sujets vulnérables présentent une altération des capacités de prise de décision, basées sur un dysfonctionnement préfrontal et persévèrent dans des choix associés à une forte récompense immédiate malgré les conséquences négatives à long terme (5). Ce pattern de réponse rappelle le comportement alimentaire d’animaux exclus (tendance à choisir des aliments peu nutritifs à fort degré hédonique immédiat, au détriment d’aliments nutritifs moins goûteux nécessaires à leur survie).

Chez l’homme, l’exclusion sociale est responsable d’une douleur sociale définie comme l’expérience négative résultant de l’atteinte réelle ou potentielle des relations sociales d’un individu ou de sa valeur sociale (6). Sous-tendue par les régions préfrontales associées à la vulnérabilité suicidaire (7), elle appartient au domaine de la douleur psychologique. Il est intéressant de noter que les sujets vulnérables ont une propension accrue à présenter une douleur psychologique lorsqu’ils sont déprimés (8) et qu’ils consomment plus d’antalgiques opiacés, ce qui pourrait indiquer une perception accrue de la douleur, tant physique que psychologique (9).

Ces travaux récents autorisent la lecture suivante des CS : chez les sujets porteurs d’une vulnérabilité suicidaire, les stress psychosociaux créent un sentiment de rejet, qui conduit à une perception douloureuse telle que seule la mort pourrait soulager.

(1) Chef de clinique, Montpellier.

(2) Stuckler D, Basu S, Suhrcke M, et al. The public health effect of economic crises and alternative policy responses in Europe: an empirical analysis. Lancet. 2009;374(9686):315-23. Epub 2009/07/11.

(3) Joiner TE, Brown JS, Wingate LR. The psychology and neurobiology of suicidal behavior. Annu Rev Psychol. 2005;56:287-314. Epub 2005/02/16.

(4) Courtet P, Gottesman II, Jollant F, et al. The neuroscience of suicidal behaviors: what can we expect from endophenotype strategies? Translational psychiatry [Internet]. 2011 May 10 3134241]; 1. Available from: http://www.nature.com/tp/journal/v1/n5/pdf/tp20116a.pdf.

(5) Jollant F, Bellivier F, Leboyer M, et al. Impaired decision making in suicide attempters. Am J Psychiatry. 2005;162(2):304-10.

(6) Eisenberger NI. The pain of social disconnection: examining the shared neural underpinnings of physical and social pain. Nat Rev Neurosci [Internet]. 2012 Jun; 13(6):[421-34 pp.]. Available from: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/entrez/query.fcgi?cmd=Retrieve&db=PubMed&do….

(7) Jollant F, Lawrence NL, Olie E, et al. The suicidal mind and brain: a review of neuropsychological and neuroimaging studies. World J Biol Psychiatry. 2011;12(5):319-39. Epub 2011/03/10.

(8) Olie E, Guillaume S, Jaussent I, et al. Higher psychological pain during a major depressive episode may be a factor of vulnerability to suicidal ideation and act. J Affect Disord. 2009. Epub 2009/04/28.

(9) Olie E, Courtet P, Poulain V, et al. History of suicidal behaviour and analgesic use in community-dwelling elderly. Psychother Psychosom. 2013.


Source : Bilan spécialistes