Un décret publié le 28 avril au « Journal officiel » (JO) suscite la polémique chez les psychiatres experts judiciaires et dans la communauté de la psychiatrie légale. Le texte autorise le croisement automatisé et systématique des données du fichier Hopsyweb, qui permet aux agences régionales de santé (ARS) de suivre les hospitalisations sans consentement, avec le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Il s'inscrit dans l'application la loi sur la prévention des actes de terrorisme et le renseignement,
Dans un communiqué commun, trois associations de psychiatres - l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie (AFPBN, section Psychiatrie légale), la Compagnie nationale des experts psychiatres près les Cours d'appel (CNEPCA) et l’Association nationale des psychiatres experts judiciaires (ANPEJ) - dénoncent un « dangereux amalgame entre trouble mental et radicalisation violente, et plus généralement entre trouble mental et risque de violence » et une stigmatisation de l’ensemble des personnes concernées par un trouble mental.
Un amalgame « délétère »
« Cet amalgame est délétère. Les patients atteints de troubles mentaux sont la cible d’un regard stigmatisant, les renvoyant à la dangerosité, la transgression, voire aux infractions qu’ils pourraient commettre, déplore auprès du « Quotidien » le Dr Manuel Orsat, psychiatre, secrétaire générale de la CNEPCA, membre de l’AFPBN et secrétaire de l’ANPEJ. Les psychiatres ont déjà beaucoup à faire afin de soigner la souffrance de ces patients pour ne pas être pris d’assaut avec des injonctions sur la sécurité. Cette dimension récurrente dans les discours finit par paralyser les soins. »
Dès 2018, les psychiatres et les usagers contestaient déjà le décret créant le fichier Hopsyweb et permettant le traitement et la consultation, par les autorités, des données à caractère personnel de patients suivis en soins sans consentement. Un premier projet de croisement avec le FSPRT, sur sollicitation des autorités, avait suscité l’indignation et les réserves de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), notamment sur l’absence de limite de temps pour la conservation des données. Malgré un recours des psychiatres, le Conseil d’État avait validé le décret en 2019. Et, en 2021, un autre décret avait autorisé les services de renseignement à consulter le fichier Hopsyweb.
« Ce nouveau décret va plus loin en autorisant l’automatisation du croisement des fichiers. L’autorité administrative - les préfets - pourra également accéder aux informations de santé, même en dehors d'une enquête », explique au « Quotidien » le Dr Frédéric Meunier, psychiatre et président de l’ANPEJ, dénonçant un « pas de plus dans une position sécuritaire ».
Plusieurs enjeux sont soulevés par ce nouveau texte, estiment les représentants des psychiatres. « L’utilisation de données de santé dans un but sécuritaire est déjà problématique, mais à cela s’ajoute le croisement de fichiers aux vocations initiales qui n’ont rien à voir, l’un étant axé sur le soin et la préservation de la santé, l’autre sur la sécurité publique », détaille le Dr Meunier, pointant un risque pour l’ensemble des patients. Et de poursuivre : « L’accès aux soins des personnes souffrant de troubles psychiques doit être garanti par l’absence de jugement mais aussi l’absence de conséquences à cet accès, notamment judiciaires. »
Le texte ignore par ailleurs les principaux facteurs de risque de violence, qui sont, rappelle le psychiatre, « les mêmes que la personne souffre ou non d’un trouble mental sévère, à savoir les antécédents de violences graves, l’usage de substances et les troubles de la personnalité ».
Absence de filières dédiées, une exception française
Le décret opère enfin une forme de rupture avec le choix de la France de n’avoir qu’une seule filière de soins psychiatriques, quels que soient le statut et le risque présenté par la personne. Alors que, dans de nombreux pays européens, des filières spécifiques sont dédiées aux patients atteints de troubles mentaux et qui présentent un risque de violence ou de dangers associés (fugue, automutilation, etc.), la France fait figure d’« exception » avec un « choix historique » de privilégier un système de prise en charge unique avec quelques unités pour les détenus (unités hospitalières spécialement aménagées, UHSA) et des unités pour malades difficiles (patients particulièrement violents, quel que soit leur statut légal). « Nous devons assumer ce choix, ou mener, comme l’ont fait d’autres pays européens, une réforme réfléchie de l’offre de soins en psychiatrie pour les patients dits "médicolégaux" », est-il estimé dans le communiqué.
Le texte conjoint aux psychiatres experts judiciaires et à la communauté de la psychiatrie légale réclame ainsi le retrait immédiat du décret, seul préalable possible, selon eux, « à toute discussion sur la mise en œuvre de dispositifs spécifiques de prise en charge en psychiatrie légale ».
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