Si l’hospitalisation de tout nouveau-né fébrile continue de faire consensus, les pédiatres, réunis en congrès à Lille, ouvrent la porte à une gestion ambulatoire de la fièvre des nourrissons de 2 à 3 mois, souvent surtraités. L’utilisation de nouveaux tests biologiques permettrait de sécuriser cette stratégie.
Chez le nourrisson de moins de 3 mois, l’apparition d’une fièvre fait craindre avant tout l’existence d’une infection bactérienne grave. En cas d’épisode fébrile dans cette tranche d’âge, la probabilité d’infections bactériennes sévères ou IBS (pneumopathies, infections urinaires, bactériémies et méningites) est en effet élevée, variant de 5 à 15 % selon les études tandis que le risque d’infections bactériennes invasives ou IBI (bactériémies et méningites) atteint 3 % dans certaines séries.
Faut-il pour autant hospitaliser, explorer et traiter de façon systématique tous les nourrissons fébriles de moins de 3 mois ? Pour les nouveau-nés de moins de 28 jours l’attitude « interventionniste » avec hospitalisation de principe, bilan biologique complet systématique (y compris ponction lombaire) et antibiothérapie probabiliste d’emblée semble faire consensus. La prise en charge des nourrissons de 1 à 3 mois suscite en revanche davantage de questions, comme en témoignent les échanges qui ont eu lieu sur ce sujet lors du congrès de la Société française de pédiatrie (Lille, 18-20 mai). Et si les recos internationales jouent la carte de la prudence, certains auteurs cherchent à minimiser les interventions que ce soit pour le confort du patient, pour des raisons économiques ou dans un souci d’antibiorésistance.
L’hospitalisation en question
En ville, de nombreuses situations sont d’ailleurs régulièrement gérées en ambulatoire, avec des explorations a minima, sans que cela ne soit préjudiciable au patient selon les résultats de l’étude américaine menée par RH Pantell et al. Dans ce travail, seulement 35 % des nourrissons fébriles âgés de 1 à 3 mois et jugés cliniquement « à risque » avaient fait l’objet d’une prise en charge exhaustive à l’hôpital et 41 % de ceux estimés à faible risque avaient bénéficié d’un bilan biologique de base (NFS et analyse d’urine). Avec, à la clé, aucune différence en termes de détection des IBS ou en terme pronostique par rapport à une prise en charge hospitalière plus lourde.
Pour le Pr Emmanuel Grimprel (hôpital Trousseau, Paris), ces résultats montrent « qu’il y a une porte ouverte à une gestion ambulatoire des petits nourrissons fébriles » avec, probablement, « un rétropédalage possible dans cette petite population encore largement sur-traitée et sur-hospitalisée ».
La clinique seule peu contributive
Dans ce contexte, tout l’enjeu consiste à pouvoir discriminer les nourrissons à haut risque d’IBS, chez qui une prise en charge exhaustive s’impose, de ceux à bas risque chez qui une simple observation pourrait être proposée dans un premier temps.
Dans cette optique, la clinique seule apparaît peu contributive.
Plusieurs scores visant à repérer les éléments péjoratifs ont été proposés comme le « Yale Observation Scale » ou le « Young Infant Observation Scale » basé essentiellement sur des paramètres systémiques. Mais ces scores « ont montré une très mauvaise sensibilité et une spécificité médiocre », résume le Dr Karen Milcent (hôpital Béclère, Paris). L’aspect toxique de l’enfant (léthargie, tachycardie, tachypnée) a aussi été proposé comme critère décisionnel mais s’est vite révélé inadapté. Quant à la fièvre, une température élevée (plus de 39,5 -40°) a certes une bonne spécificité vis-à-vis des IBS mais une très mauvaise sensibilité. Enfin, « l’impression du clinicien est réputée avoir une bonne sensibilité pour les bactériémies », mais cette assertion repose sur des d’études très anciennes.
D’autres approches ont tenté, au contraire, d’identifier les sujets à faible risque en s’appuyant sur des éléments clinico-biologiques rassurants comme les critères de Rochester (absence de d’antécédents de mauvais pronostic type prématurité, pathologie chronique antibiothérapie en cours ou passée et hospitalisation ; bonne apparence générale ; absence de point d’appel clinique et bilan biologique de base normal). Mais, là encore, avec des performances insuffisantes.
De nouveaux examens biologiques
L’utilisation de « nouveaux » examens biologiques pourrait changer la donne et permettre d’affiner les prises en charge. Longtemps considérée comme inadaptée aux nourrissons de moins de 3 mois, la bandelette urinaire (BU) a récemment été réhabilitée dans cette tranche d’âge. Avec, selon le Dr Milcent , « des performances aussi bonnes que dans les populations plus âgées ». Trois études récentes ont, en effet, montré qu’une BU pratiquée sur des urines prélevées par sondage présente une bonne spécificité et une excellente sensibilité pour le dépistage d’une infection urinaire chez le nourrisson fébrile de moins de 3 mois. En cas de prélèvement par poche, comme c’est le plus souvent le cas en France, la spécificité baisse (78 %) mais la sensibilité reste élevée, proche de 96 % selon l’étude Pronour portant sur plus de 2000 nourrissons pris en charge dans 15 centres français. Ainsi, « une BU négative (poche ou sondage) rend très improbable le diagnostic d’IU fébrile chez le nourrisson de moins de 3 mois ».
Autre marqueur en vogue : la procalcitonine (PCT) pourrait aussi avoir un intérêt chez le tout-petit, notamment du fait de sa cinétique rapide d’augmentation en cas d’infection bactérienne. Par rapport à la CRP, la PCT ne fait pas mieux pour la prédiction des IBS. « Cependant, la majorité des IBS étant représentée par les infections urinaires, la BU peut aisément éliminer ce diagnostic ». Pour le repérage des infections invasives la PCT semble en revanche particulièrement contributive surtout si l’on prend en compte l’aspect clinique de l’enfant, avec une sensibilité de 90 % (vs 70 % pour la CRP) et une spécificité de 87 % chez les enfants de « bonne apparence clinique ». À l’heure actuelle, « la PCT est donc le marqueur qui prédit le mieux le risque d’infections bactériennes invasives et, chez les enfants dont l’état général n’est pas altéré,
son utilisation pourrait permettre de limiter les ponctions lombaires ».
Enfin, en période épidémique, l’utilisation de tests de diagnostic rapide d’infection respiratoire virale (grippe et VRS) « devrait permettre chez les nourrissons âgés de plus d’un mois, quand ils sont positifs, de limiter la réalisation d’examen complémentaire (en particulier de ponction lombaire) et la prescription d’antibiotiques ». Chez un nourrisson fébrile, la positivité de ces examens plaide, en effet, pour une fièvre d’origine virale et réduit de façon significative la probabilité d’infections bactériennes. Selon deux études récentes, le taux d’IBS passe ainsi de 13 % à 2, 5 % en cas de test grippe positif et de 13 % à 7 % en cas de test VRS positif. Et, d’ores déjà, même s’ils ne sont pas officiellement recommandés, ces tests influencent la pratique comme le suggère l’étude Pronour avec moins de PL (49 % vs 65 %) et d’antibiothérapie (36 % vs 45 %) en cas de positivité.
À l’avenir, « la généralisation de la BU, le positionnement des tests virologiques rapide respiratoire combinés à la procalcitonine et à la clinique devrait permettre de proposer des règles de décision clinique plus pertinente à même d’éviter des ponctions lombaires, des hospitalisations et des antibiothérapies inutiles », espère le Dr Milcent.