PAR LE Pr JEAN-LOUIS BRESSON*
L’AUTISME est caractérisé par une altération des interactions sociales réciproques, de la communication verbale, et par un caractère restreint, répétitif et stéréotypé des intérêts et des comportements. Son diagnostic est clinique, entièrement basé sur l’observation du comportement. Son origine demeure inconnue. Les théories psychodynamiques ont initialement vu dans l’environnement, notamment familial, la cause exclusive de la maladie. Les recherches développées au cours des deux dernières décennies dans les domaines de la neurobiologie et de la génétique ont fait émerger une conception plus organique en révélant la présence d’anomalies précoces du développement cérébral. La prise en charge conventionnelle de l’autisme repose sur l’éducation ou la rééducation des enfants – selon des modalités qui leur sont spécifiques – mais aussi des enseignants et des parents. Cependant, ses limites et les frustrations qu’elles engendrent, peuvent conduire certains parents à recourir à des prises en charge alternatives (PCA), d’autant plus volontiers qu’ils les perçoivent généralement comme dépourvues de tout danger.
L’analyse de la littérature scientifique n’a cependant retrouvé qu’un très petit nombre d’études consacrées à l’efficacité de ce régime sur l’évolution de l’autisme. La plupart d’entre elles sont entachées de défauts méthodologiques tels que leurs résultats ne peuvent pas être pris en considération. Seule une étude récente respecte l’ensemble des conditions nécessaires à l’évaluation des effets d’une intervention dans ce cadre. Elle ne montre aucun effet du régime sur l’évolution de l’autisme. Les données scientifiques actuelles ne permettent donc pas de conclure à un effet bénéfique du régime SGSC sur l’évolution de l’autisme.
La tolérance du régime SGSC chez l’enfant autiste est inconnue, personne ne l’ayant évaluée à ce jour… En effet, les études d’une durée suffisante (1 à 4 ans) pour l’apprécier de façon fiable ne s’y sont pas intéressées. Il n’est donc pas possible d’affirmer qu’un tel régime soit dépourvu de conséquence néfaste à court, moyen ou long termes, ce d’autant que la modification des habitudes qu’il provoque peut avoir un effet défavorable sur la consommation alimentaire.
Il peut paraître surprenant que l’usage d’un régime très contraignant (exclusion de deux grandes catégories d’aliments et de presque toutes les préparations commerciales), qui n’a pas apporté la preuve de son efficacité, ni démontré son innocuité, soit aussi répandu. Ceci est probablement lié à une suite d’hypothèses qui pourrait passer pour une véritable justification d’emploi auprès de personnes non averties.
La théorie opioïde.
La théorie opioïde, citée à l’appui du régime SGSC, invoque l’action de neuromédiateurs. Elle postule que des peptides à activité opioïde sont libérés dans l’intestin lors de la digestion de certaines protéines (gluten et caséine), franchissent intacts la muqueuse intestinale, sont transportés par voie sanguine, traversent la barrière hémato-encéphalique et parviennent enfin au système nerveux central où leur présence en excès perturbe le fonctionnement cérébral.
L’exclusion du gluten et de la caséine de l’alimentation reflète directement l’importance que cette théorie attribue aux peptides qui en dérivent (exorphines) dans la genèse des troubles. Cependant, le gluten et la caséine ne sont pas les seules protéines comportant des séquences peptidiques à activité opioïde encryptées dans leur structure primaire. En contiennent aussi : les différentes sous-unités de l’hémoglobine ; l’albumine bovine ; le cytochrome b présent dans les mitochondries de toutes les cellules nucléées ; le riz et le maïs, très utilisés au cours des régimes sans gluten ; le soja, largement employé dans les régimes sans protéines du lait ; la rubisco, enzyme foliaire et une des molécules les plus abondantes de la biosphère ; enfin le lait maternel, qui associe précurseurs et formes libres. Contrairement aux propriétés qui lui sont généralement prêtées, le régime SGSC ne permet pas d’éliminer toutes les sources potentielles de peptides opioïdes de l’alimentation. En réalité, la mise en pratique du régime selon les préceptes de la théorie opioïde exigerait l’exclusion de presque tous les aliments disponibles, y compris du lait de femme.
Quid de la peptidurie ?
Toujours selon cette théorie, les sujets autistes se distingueraient des enfants de développement normal par la présence en quantité excessive de peptides dans les urines. Anormale en termes quantitatifs, la peptidurie le serait également en termes qualitatifs, car constituée de peptides à activité opioïde Ces derniers ont été à la fois présentés comme le témoin de leur passage dans le sang et comme une caractéristique de la maladie. Ils pourraient même être utilisés pour juger de l’efficacité du régime. En fait, les méthodes de référence actuellement utilisées n’ont pas permis de mettre en évidence de différence significative entre sujets autistes et de développement normal en termes de peptidurie, ni de retrouver de peptides opioïdes dans les urines des premiers. En conséquence, l’analyse des peptides urinaires ne peut être considérée comme un élément du diagnostic de l’autisme, ni comme un examen utile à sa surveillance ou à l’appréciation de sa prise en charge diététique éventuelle.
Il n’existe donc aucune raison d’encourager le recours à un régime qui n’a pas fait la preuve de son efficacité, ni de son innocuité. Le corps médical devrait être mieux informé de la nature des PCA, afin de pouvoir aborder librement ce sujet avec les familles et d’éviter ainsi que le régime ne soit réalisé en dehors de toute surveillance médicale, notamment nutritionnelle.
*Centre d’Investigation Clinique Mère-Enfant, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris.
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