PAR LE Dr JEAN-BERNARD ROTTIER*
IL EXISTE TROIS groupes professionnels dont le premier, le notre, est un groupe fondamentalement uni, même s’il existe de multiples façons d’être ophtalmologiste. Nous avons un sentiment d’appartenance fort à notre spécialité, différente et isolée des autres, d’autant que nos demandes de recours se font majoritairement entre nous. Cette unité est concrétisée par l’existence d’une suprastructure appelée « l’Académie de l’ophtalmologie française » qui regroupe la Société française d’ophtalmologie (SFO), le Collège des ophtalmologistes universitaires de France (COUF), le collège des ophtalmologistes des hôpitaux de France (COHF) et le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF). Bien que ce soit le syndicat qui ait porté à bout de bras la défense de la profession et le lobbying pour sa réorganisation, nous sommes arrivés à un stade où chaque composante doit s’approprier, puis soutenir une vision d’avenir partagée. La voix de l’Académie est la voix de toute la spécialité, elle s’exprimera sur tous les grands sujets et prioritairement sur celui de la coopération interprofessionnelle.
Les orthoptistes constituent le deuxième groupe. Ils vivent une importante évolution de leur métier. Pendant 50 ans, ils se sont vus comme des rééducateurs de la fonction visuelle et de l’oculomotricité. Parallèlement, dans la mouvance de 68, a émergé une revendication d’autonomie vis-à-vis des ophtalmologistes avec un mode d’exercice essentiellement libéral qui a cherché à obtenir de plus en plus de prescriptions des généralistes, si bien qu’aujourd’hui nos prescriptions ne génèrent plus que 50 % de leur activité.
Mais depuis une réunion à l’hôtel-Dieu en janvier 2002, ils ont accepté de devenir nos collaborateurs privilégiés. L’orthoptie d’aujourd’hui garde, bien sûr, la rééducation dans son champ d’action, mais s’étend aussi vers le travail en collaboration, la réalisation d’examens complémentaires et le dépistage en santé visuelle.
La question fondamentale est de savoir s’il faudra concevoir un exercice orthoptiste sur le mode des optométristes du Royaume-Uni, c’est-à-dire qui filtre l’accès à l’ophtalmologiste en amont. La réponse dépendra des capacités de formation des internes couplée à la mise en œuvre des nouveaux modes de fonctionnement des structures ophtalmologiques publiques et privées. On sait que le travail aidé permet au flux de patients d’augmenter de 30 % ; encore faut-il que ce flux existe, c’est-à-dire qu’il existe des ophtalmologistes en nombre suffisant. Si ce n’est pas le cas, nous verrons éclore une offre commerciale ou nous devrons nous-mêmes faire émerger une offre médicalisée avec un orthoptiste ayant une mission de premier recours
Nous nous entendons assez bien avec les deux syndicats d’orthoptistes et nous avons une volonté commune de promouvoir leur métier, promotion qui reste la condition sine qua non permettant la réorganisation de l’offre de soins oculaires.
Les opticiens, nombreux mais morcelés.
Le troisième groupe professionnel, qui est le premier par le nombre de ses membres, est celui des opticiens-lunetiers. Ils sont nombreux mais morcelés en six tendances syndicales, dont trois sont importantes. La première (le SynOpE) est constituée actuellement des deux enseignes principales, Optic 2000 et Krys, qui représente 40 % du marché. Nous en sommes assez proches et nous nous réunissons régulièrement. L’organisation que nous proposons, pour peu qu’elle soit efficace, leur conviendrait tout à fait. La deuxième force syndicale est la Fédération nationale des opticiens de France (FNOF), qui soutient plutôt les opticiens indépendants, mais qui vient d’être rejoint en fanfare par Alain Afflelou et par Eric Plat, le nouveau pdg d’Atol, tous les deux « à titre personnel ». Ces ralliements sont assez surprenants dans la mesure où cette structure revendique une position hostile aux enseignes, mais ce qui est encore plus étonnant c’est de lire que la FNOF souhaite développer des protocoles de coopération (selon l’article 51) avec les médecins généralistes, l’opticien devenant « la porte d’entrée de la filière ». Il faut interpréter cette prise de position comme une fuite en avant syndicale devant un futur perçu comme très incertain. En effet, les mutuelles exercent une énorme pression sur le secteur en sélectionnant certains opticiens à qui elles imposent des diminutions de marge de l’ordre 40 % contre un adressage des affiliés. En fait, les opticiens savent bien qu’ils ne peuvent pas assumer cette fonction de premier recours et ils souhaitent, pour la grande majorité, travailler avec nous. Ce qui n’est pas le cas du troisième syndicat, l’Union des opticiens (UDO), dont la stratégie est résolument pro-optométriste, hostile à l’organisation des ophtalmos et des orthoptistes, très proche de Santéclair, soutenue par quelques indépendants ainsi que par les chaînes essentiellement succursalistes Optical Center, les opticiens Hans Anders, la Générale d’optique et Grand Optical. L’idée de ces enseignes n’est pas de participer à la réorganisation de l’offre de soins de façon rationnelle. Elles font juste le constat que le meilleur moyen de vendre plus de lunettes est de les faire prescrire au sein de leurs magasins par leurs propres employés. L’ophtalmologiste est pour elles un freinateur de profits. Heureusement pour les patients, l’UD0 est, pour l’instant, marginalisée.
En fait les composantes de cette filière, fortes de plus de 30 000 professionnels qui travaillent tous les jours ensemble ont, après analyse, des aspirations assez complémentaires. Il serait intéressant, aujourd’hui, de formaliser une réflexion soutenue par la majorité de ces professionnels, ce qui semble à portée de main.
Pour conclure, les ophtalmologistes, les orthoptistes et les opticiens souhaitent une évolution progressive de la répartition des tâches, guidée par le bon sens, avec un centre qui reste ophtalmologique et une couronne constituée des orthoptistes et des opticiens aux territoires progressivement élargis et complémentaires. Il nous faut progresser de façon concertée, au fur et à mesure de l’installation de la pénurie, dans une volonté commune de faire face aux besoins sanitaires et de la population ainsi qu’aux besoins d’équipements optiques.
*Président du Syndicat national des ophtalmologistes de France
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