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Dossier

Ophtalmologie

Des pistes pour restaurer la vision

Publié le 05/10/2018
Des pistes pour restaurer la vision

Oeil
PASIEKA/SPL/PHANIE

En 2001, le chien Lancelot grimpait avec enthousiasme les marches du Capitole, pour promouvoir les recherches sur la thérapie génique auprès des parlementaires américains. Comme nombre de ces congénères, ce sympathique briard était né aveugle en raison d’une dystrophie rétinienne congénitale similaire à l’amaurose de Leber. Le transfert d’une version saine du gène défaillant (RPE65) par un vecteur viral lui a permis de retrouver une vision suffisante pour se déplacer et tendre la pâte aux sénateurs.

Thérapie génique

Les travaux se sont poursuivis et en janvier 2018, le Luxturna, virus adéno-associé (AAV) modifié contenant le RPE65, est devenu le premier médicament de thérapie génique approuvé par la FDA. Les essais cliniques ont montré que ce procédé consistant à injecter en sous-rétinien un virus porteur du gène RPE65 peut améliorer, modestement et sous réserve qu’il reste un nombre suffisant de cellules rétiniennes, l’acuité visuelle des patients atteints d’amaurose de Leber, maladie responsable de 10 à 20 % des cécités de l’enfant. Le résultat le plus remarquable a été observé chez un enfant totalement aveugle qui a pu reprendre des activités sportives. « Nous œuvrons pour obtenir l’enregistrement de ce traitement curatif le plus vite possible en France », a déclaré le Pr José-Alain Sahel, directeur de l’Institut de la vision (hôpital des Quinze-Vingts et Fondation Rothschild), lors d'une séance de l'Académie de pharmacie. Pour ce spécialiste, la thérapie génique est « l’une des voies les plus prometteuses ». Cependant, d’après les premiers essais, cette thérapie n’empêche pas toujours la progression de la dégénérescence chez les patients les plus âgés.

Des essais cliniques de thérapie génique sont aussi en cours dans de nombreux types de dégénérescence rétinienne (maladie de Stagardt, choïdérémie, rétinoschisis…). Mais l’approche consistant à apporter une version normale du gène défaillant est limitée par le grand nombre de mutations, responsables de pathologies rétiniennes. Par ailleurs, elle n’a d’intérêt que pour les maladies monogéniques.
 

« Transformer un aveugle en malvoyant »

Aussi enthousiasmants soient-ils, ces traitements n’ont pas pour objectif de rétablir une fonction visuelle parfaite, mais d’offrir une certaine autonomie aux patients. La FDA a d’ailleurs approuvé la thérapie génique pour l’amaurose de Leber, non pas sur des tests d’acuité visuelle ou sur un biomarqueur, mais sur un test de mobilité. « Aujourd’hui, notre ambition c’est de transformer un aveugle en malvoyant », a expliqué le Pr Sahel, avant de conclure, avec mesure : « Nous en sommes au commencement, il faut tout explorer, ne pas trop promettre. »

Rétine artificielle

Pour les affections multigéniques et multifactorielles, comme la DMLA, une autre voie consiste à apporter par thérapie génique des facteurs protecteurs, qui vont limiter la perte des photorécepteurs restants, quelles que soient les mutations et les facteurs en cause.

La plupart des dystrophies rétiniennes sont dues à des mutations qui s’expriment dans les bâtonnets, responsables de la vision nocturne, et entraînent leur disparition. L’équipe du Pr Sahel a démontré que cette destruction des bâtonnets entraîne secondairement la dégénérescence des cônes, responsables de la vision diurne, colorée et centrale. Elle a ensuite constaté que les bâtonnets sécrètent un facteur trophique (RdCVF pour Rod-derived Cône Viability Factor), nécessaire à la survie des cônes. Chez l’animal, l’apport de ce facteur permet de rétablir une fonction visuelle « imparfaite, mais bien meilleure », selon le Pr Sahel. Une start-up a été créée pour développer une thérapie génique par un virus AAV capable de transférer le gène RdCVF à la rétine. « Nous espérons commencer un essai clinique l’an prochain, a précisé le Pr Sahel. À partir de nos résultats chez l’animal, nous avons projeté une préservation de la fonction visuelle pendant 20 ou 30 ans, voire plus. »

Quand les cellules ne peuvent plus être sauvées, reste l’espoir de les remplacer par des thérapies cellulaires, par optogénétique ou par des prothèses, ce qui dans l’idéal permettrait de proposer une stratégie thérapeutique à tous les patients.

Des thérapies cellulaires par injection de cellules pigmentaires dérivées de cellules-souches embryonnaires humaines sont déjà en phase clinique, dans la rétinite pigmentaire. En France, un premier essai devrait démarrer prochainement à l’hôpital des Quinze-Vingts, dont l’originalité est de faire appel à un patch cellulaire obtenu en cultivant ces cellules sur un fragment de membrane amniotique. Cette approche, élaborée pour une meilleure survie des cellules, pourrait être expérimentée dans un deuxième temps pour des rétinopathies plus fréquentes comme les formes sèches de DMLA. Enfin, des travaux précliniques en cours font appel à des cellules reprogrammées dérivées du patient lui-même.

Parfois, des cellules persistent dans la rétine, mais ont perdu leur segment externe photorécepteur. L’optogénétique, en cours d’essai clinique, permettrait de réactiver ces « cônes dormants » en photorécepteurs, en y transférant une opsine (protéine photosensible) provenant d’une algue.

Lorsque les photorécepteurs ont disparu, comme au stade ultime de DMLA ou de rétinopathie pigmentaire, les recherches s’orientent vers des prothèses rétiniennes. Les premiers implants ont été posés il y a une quinzaine d’années, chez des patients atteints de rétinopathies pigmentaires. Aujourd’hui, environ 200 patients ont été appareillés dans le monde.

L’implant Argus II de Second Sight est le premier à avoir reçu le marquage européen et américain. Plusieurs dizaines de patients atteints de rétinite pigmentaire en ont bénéficié en France dans le cadre du forfait innovation. L’implant est épi-rétinien : situé à la surface de la rétine, il stimule directement les cellules ganglionnaires, ce qui exige un signal fort. Pour cela, le patient porte des lunettes munies d’une caméra qui envoie les images filmées à un microprocesseur de poche. Là encore, l’objectif se limite à faciliter le quotidien. Grâce à ces dispositifs, des patients jadis aveugles perçoivent des formes et reconnaissent des objets. « Les performances visuelles restent très stables dans le temps, alors que pour beaucoup d’implants, on constate une baisse du signal après quelques mois », a observé le Dr Serge Picaud (Institut de la vision). Deux patients parviennent à lire de gros caractères sur un écran, bien que cet implant ne contienne que 60 électrodes, ce qui correspond à une image de 60 pixels. « 600 pixels sont nécessaires pour commencer à reconnaître les visages et pouvoir lire un texte », a précisé le Dr Picaud.

L’implant allemand Alpha IMS (Retina Implant) dispose, lui, de 1 500 électrodes. Il est implanté sous la rétine, à l’emplacement des photorécepteurs, et non en épi-rétinien, ce qui fait espérer un résultat plus physiologique, sans lunettes. Inconvénient, l’alimentation de ce circuit nécessite la mise en place d’un fil reliant la prothèse à une pile implantée derrière l’oreille, ce qui exige une chirurgie très complexe. Par ailleurs, étonnamment, les performances d’Alpha IMS ne semblent pas supérieures à celles de Second Sight.

Ces résulats médiocres, malgré le grand nombre de pixels, semblent liées à la diffusion du courant aux électrodes voisines, ce qui a conduit à la mise au point d’un implant sous-rétinien nouvelle génération, dans lequel 378 électrodes sont fondues dans une grille de masse qui les enserre et empêche le courant de diffuser. Une première patiente, atteinte de DMLA sèche, a été implantée fin 2017 à la Fondation Rothschild. Depuis, trois malades ont reçu ce dispositif et sont en phase de rééducation.

Régénérer le nerf optique

Lorsque le nerf optique est lésé, en cas d’accident par exemple, ou de glaucome avancé ayant entraîné la destruction des cellules ganglionnaires, deux projets (aux perspectives cliniques encore lointaines) sont en cours à l’Institut de la vision. L’un consiste à stimuler directement le cerveau grâce à un dispositif comprenant des lunettes-caméra, qui transmettent les informations visuelles à un module externe qui les transforme en signaux lumineux avant de les envoyer, sans fil, à un implant cortical formé de microLed. Le deuxième projet, mené avec les États-Unis, porte sur la régénérescence du nerf optique par des petites molécules trophiques et surtout par des molécules de guidage, dans l’espoir de réactiver des mécanismes de régénération présents lors de l’embryogenèse.

Et les aveugles de naissance ?

Contrairement à ce que l’on pensait, même des enfants aveugles de naissance pourraient récupérer une certaine fonction visuelle. Dans une étude indienne, sur 53 enfants atteints d’une cataracte congénitale et opérés à l’âge de huit ans ou plus tardivement, 48 ont acquis une représentation dans l’espace. « Aujourd’hui, les modèles animaux nous conduisent à penser qu’une bonne partie de l’information spatiale est codée génétiquement, a remarqué le Pr Sahel. C’est la résolution, le raffinement de l’image qui est affecté par la lésion. Nous espérons pouvoir un jour redonner à ces enfants une bonne orientation dans l’espace malgré une mauvaise résolution. »

 

Dr Isabelle Leroy

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