Si le médecin traitant estime que le diagnostic d’une douleur aiguë relève d’un plateau technique, ayant éliminé une gravité immédiate, il recourt aux urgences ; un courrier avec anamnèse et surtout traitements pris, est très utile. « Le généraliste ne doit pas se censurer sur la prescription antalgique : même s’il donne un antalgique fort pour soulager son patient d’une douleur sévère (évaluée à l’aide d’une échelle d’auto-évaluation), cela ne gênera pas l’urgentiste dans son enquête diagnostique. Nous n’avons pas besoin que le patient soit douloureux pour que le diagnostic soit pertinent ! », insiste la Dr Virginie-Eve Lvovschi, responsable des urgences médicales et référente douleur au CHU de Rouen, présidente du board douleur de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et organisatrice de la masterclass douleur de la SFMU, le 15 mars dernier.
Toutefois, un certain nombre de prescriptions d’antalgiques hors AMM doivent être limitées. C’est notamment le cas de l’Acupan et du Nefopam mis sur un sucre (hors AMM) : une pratique qui reste trop diffusée alors qu’elle n’a pas montré d’efficacité.
Pas de lien pronostique en aigu
Il n’y a pas de lien encore démontré entre sévérité de la douleur et gravité pronostique pour le patient. C’est pourquoi, outre l’interrogatoire, l’examen clinique de base reste essentiel : « devant une douleur abdominale, la présence d’une défense est un facteur de gravité. À l’inverse, chez la femme, une douleur peu intense dans la poitrine mérite d’être prise très au sérieux, surtout si elle s’accompagne d’une fatigue inhabituelle et de sueurs (phénomènes neurovégétatifs associés). Attention également au terrain : chez un patient psychotique par exemple, une douleur exprimée, même peu intense, a valeur d’alarme en raison d’une tolérance extrême à la douleur. Et, chez la personne âgée douloureuse, une confusion peut être au premier plan, raison pour laquelle il faut toujours penser à rechercher un site douloureux. Enfin, le caractère inhabituel ou nouveau d’une douleur doit alerter, y compris chez un patient douloureux chronique », prévient l’urgentiste.
En revanche, il ne faut pas confondre la nécessité d’avoir recours à une radiographie et le besoin de se rendre aux urgences. En l’occurrence, la plupart des pathologies traumatologiques légères qui n’entraînent pas d’impotence fonctionnelle, ne s’accompagnent pas d’une perte de chance si le diagnostic est fait dans les jours qui suivent : « la prescription d’une attelle, d’un glaçage et d’un antalgique, avec une radiographie à faire dans les 72 heures, suffit, et ne mérite pas systématiquement un recours aux urgences », confirme la Dr Lvovschi.
Quant aux plaintes douloureuses de la femme enceinte, elles restent encore très largement sous-traitées, en raison d’une anxiété vis-à-vis de la tératogénicité, alors qu’il suffit d’aller vérifier sur le site de référence du Crat (1). « Avant 6 mois, les douleurs qui ne sont pas liées à une complication de la grossesse (des calculs urinaires par exemple) sont à soulager avec les mêmes antalgiques qu’habituellement, il n’y a aucune raison de laisser souffrir les femmes enceintes », souligne la Dr Lvovschi.
Exacerbation d’une pathologie chronique connue
Le médecin généraliste a une place de choix dans le parcours de soins du patient douloureux chronique. En cas d’exacerbation aiguë, s’il y a besoin de proposer un morphinique à un patient douloureux sévère déjà sous antalgique, il faut utiliser les scores d’évaluation du potentiel addictif : « la prescription morphinique doit être précoce sur un patient très douloureux, sous peine sinon de favoriser l’apparition d’une douleur rebelle, mais il faut être très vigilant sur le risque de mésusage des antalgiques opioïdes, grâce aux échelles ORT (avant la prescription) et Pomi (en cours de traitement), par exemple. Des recommandations HAS vont d’ailleurs sortir très prochainement en ce sens », indique la Dr Lvovschi. La balance bénéfice-risque de cette prescription doit ensuite être réévaluée très régulièrement.
Cette question se pose de la même façon avant sortie des urgences. Un patient douloureux qui sort sous morphiniques devrait être revu systématiquement : en effet, une réévaluation du traitement instauré en aigu doit être réalisée au 7e jour maximum.
« Enfin, chez une personne âgée douloureuse, un morphinique per os à petites doses, en allant jusqu’au palier thérapeutique le mieux toléré, est préférable à un opiacé faible, faussement rassurant et qui peut entraîner des effets secondaires plus fréquents, loin d’être anodins (comme une confusion fébrile sous Tramadol par exemple) », alerte la Dr Lvovschi.
Entretien avec la Dr Virginie-Eve Lvovschi, responsable des urgences médicales et référente douleur au CHU de Rouen, présidente du board douleur de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) (1) Centre de référence sur les agents tératogènes de l’hôpital Trousseau à Paris : www.lecrat.fr
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