Construit par strates successives, le système de santé au travail français montre ses limites, ne peut que constater la députée du Nord Charlotte Lecocq dans son rapport remis en août dernier au Premier Ministre, Edouard Philippe. Aux yeux de la parlementaire, le système actuel manque de lisibilité avec de récurrents doublons dans les périmètres d’activité des nombreux acteurs de terrain impliqués dans la santé au travail.
Pour la mission Lecocq, un choc de simplification apparait donc nécessaire dans le but de répondre aux enjeux sociétaux majeurs comme l’allongement de la vie au travail ou la prise en charge des maladies chroniques et autres risques liés à la santé psychologique des salariés. Afin de « développer de façon effective » cette culture de la prévention insufflée dans les différents plans de santé au travail, le rapport Lecocq émet seize recommandations.
Autant de pistes qui doivent servir de base à la concertation du gouvernement avec les partenaires sociaux en vue du projet de loi santé au travail dont la présentation est programmée à compter du printemps prochain. Cette phase de concertation semble toutefois prendre du retard. « La date de la lettre de cadrage servant de base aux négociations n’arrête pas de reculer, ce qui est un peu inquiétant. On l’a annoncé en octobre, novembre puis décembre et désormais cela serait pour début janvier », déplore le Dr Anne-Michele Chartier, présidente de la CFE-CGC santé au travail. Les organisations syndicales doivent pour l’heure se contenter des « incantations » du rapport Lecocq. « Quand on lit par exemple la proposition de donner davantage de lisibilité nationale à la politique de santé au travail et d’y consacrer un effort significatif, on ne peut pas être contre mais ce rapport manque complètement d’opérationnel », juge le Dr Chartier.
Guichet unique
L’une des mesures phares de la mission parlementaire est sans doute la création d’un « guichet unique » dans les territoires pour simplifier les démarches des entreprises. Sur le papier, le Dr Chartier est plutôt favorable à cette idée. « Il y a beaucoup de structures qui oeuvrent pour la santé au travail mais elles ne sont pas coordonnées entre-elles », souligne la présidente de la CFE-CGC santé au travail. Ce guichet unique, la CFTC « le réclame depuis longtemps », à condition qu’il soit « relayé par des structures suffisamment proches de l’entreprise », à l’instar des Services de santé au travail interentreprises (SSTI). La CGT est en revanche plus prudente. « Nous avons trop d’exemples en France d’institutions fusionnées avec des moyens réduits qui sont devenues des lieux de souffrance au travail avec pour conséquence une dégradation du service rendu », note le syndicat. « La fusion des différents acteurs concourant à la prévention de la santé au travail au sein d’une unique instance tripartite ne doit pas être un outil aux mains du gouvernement pour mettre à mort la gouvernance paritaire », met en garde FO.
La santé sacrifiée ?
Du côté des organisations de médecins du travail, l’accueil du rapport Lecocq est plutôt froid. Pour le Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST), « ce rapport met les structures de prévention au service des seuls employeurs » et « le risque est grand de voir la santé au travail sacrifiée à la productivité ou à la défense de l’emploi ». Au final, « les préconisations du rapport sont en contradiction avec l’affichage d’un objectif de prévention primaire », résume le syndicat.
Président de l’Association Santé et médecine du travail (A-SMT), le Dr Jean-Louis Zylberberg pointe aussi certains paradoxes à la lecture du rapport Lecocq. « Pour qu’il y ait une prévention primaire efficace, il faut une visibilité des effets délétères du travail sur la santé. Or le grand discours de ce rapport est en totale contradiction avec la réalité où tout est fait pour ne surtout pas rendre visibles les effets du travail sur la santé », déclare-t-il. « Les tableaux de maladies professionnelles comme la reconnaissance des accidents du travail relèvent du compromis social. Pour pouvoir être réparé d’une pathologie, c’est un véritable parcours du combattant », illustre le Dr Zylberberg.
Enfin dans ce rapport sur la santé au travail, le Dr Chartier regrette que le problème central du manque d’attractivité de la médecine du travail ne soit pas abordé. « Il y a une inquiétude des confrères médecins du travail sur la dérive des services de santé au travail qui sont en train de s’éloigner de la santé. Ces services font des prestations pour les employeurs. En tant que médecin, on voit notre sens du travail au service des salariés suivis qui s’effrite. On n’est plus dans le service aux salariés mais des prestations pour les employeurs », considère la présidente de la CFE-CGC santé au travail.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024