Grâce à la vaccination, la diphtérie est considérée comme une maladie du passé sur notre continent. Pourtant, l’été 2022 a été marqué par l’explosion du nombre de cas de diphtérie dans les centres d’accueil pour migrants en Europe de l’Ouest. C’est la plus forte hausse observée depuis 70 ans et un décès a même été rapporté. Le consortium pan-européen de recherche, mis en place à l’époque pour caractériser cette épidémie, vient de publier ses travaux.
L’équipe codirigée par Sylvain Brisse (chef de l’équipe biodiversité et épidémiologie des bactéries pathogènes à l’Institut Pasteur) et Adrian Egli (institut de microbiologie médicale de l’université de Zurich) tire deux conclusions importantes. La première est que l’épidémie s’est étendue à des populations vulnérables non migrantes et la seconde que des mesures de surveillance et des campagnes de vaccination enrayent efficacement ce genre d’événement tout en évitant qu’ils ne se reproduisent. Le sujet est d’autant plus sérieux que des gènes de résistance aux antibiotiques ont été repérés dans les génomes des bactéries impliqués dans cette épidémie. Leur article est paru dans le New England Journal of Medicine,
Pour leurs travaux, les auteurs ont étudié 362 cas d’infection à Corynebacterium diphtheriae survenus dans 10 pays européens entre janvier et novembre 2022 (1). Des données cliniques et génomiques ont été croisées avec les informations sur les routes de migration empruntées par les patients. Le pays le plus touché était l’Allemagne (118 cas), suivie de l’Autriche (66), le Royaume Uni (59), la Suisse (52), la France (30), la Belgique (21), la Norvège (8), les Pays-Bas (5), l’Italie (3) et enfin l’Espagne (1 cas). Les patients étaient jeunes, âgés de18 ans en médiane, et presque exclusivement des hommes et originaires de 19 pays différents mais avec une majorité d’Afghans et de Syriens.
Les formes cutanées très majoritaires
Dans plus de trois quarts des cas (77,5 %), il s’agissait de formes cutanées caractérisées par des ulcères entourés d’une membrane grise et de formes respiratoires dans 15,3 % des cas. Quelque 2,6 % des patients cumulaient des manifestations cutanées et respiratoires. Les auteurs ont identifié quatre clusters génétiques majeurs, sans qu’il y ait pour autant de différences cliniques associées. Cela souligne, selon eux, la nature multiclonale de l’épidémie. La dérive générique entre les quatre clusters laisse deviner l’existence d’un cluster « ancêtre commun » entre 2018 et 2020, possiblement présent dans les pays d’origine, où le niveau de vaccination est faible.
Par ailleurs, chaque cluster était réparti entre plusieurs pays, ce qui signifie que de nombreux malades ont franchi les frontières intra-européennes à plusieurs reprises. Les migrants de la cohorte avaient d’ailleurs tous traversé plusieurs pays européens avant le diagnostic. La route des Balkans étant le chemin de migration le plus fréquent, il est probable que les formes cutanées se soient développées lors de ce voyage et n’aient pas été détectées.
La surreprésentation des hommes parmi les cas ne s’explique pas uniquement par le fait que les hommes sont plus nombreux parmi les migrants arrivant en Europe. « Une autre explication pourrait résider dans les différences de comportements écrivent les auteurs. Les hommes circulent plus au sein de la population que les femmes qui restent dans des groupes sociaux plus restreints, analysent les auteurs. En outre, les femmes ont davantage de contacts avec le corps médical, de par leurs grossesses. »
Les auteurs s’inquiètent de la présence de gènes de résistance à l’érythromycine et aux bêta-lactamines, détectés dans un des sous-groupes qui sont de nature à menacer l’efficacité des traitements de première ligne. Le taux de létalité d’une diphtérie respiratoire non traitée est de 29 %.
Une réaction efficace
Dans les semaines qui suivirent la réalisation de cette étude, le nombre de cas a radicalement diminué. Les auteurs attribuent ce reflux à un certain nombre de mesures prises : recherche des cas contacts, chimioprophylaxie voire campagnes de vaccination. Des actions néanmoins trop tardives pour empêcher la survenue de quelques cas dans des populations non migrantes vulnérables (sans abris et consommateurs de drogues injectables).
« Nos données montrent qu’un certain nombre d’actions sont nécessaires en Europe pour réduire le risque de réémergence, préviennent les chercheurs. Sensibiliser les migrants et les soignants ainsi que toutes les personnes avec qui ils sont en contact, initier des protocoles de vaccination, suivre les personnes à risque, déployer des circuits diagnostiques rapides pour investiguer les cas contacts, et développer des tests de susceptibilité aux antibiotiques », listent-ils. Bien que le niveau de vaccination des enfants reste élevé en Europe, la perte progressive de l’immunité met en danger les personnes âgées et les rappels vaccinaux ne sont, à l’heure actuelle, pas recommandés par l’Organisation mondiale de la santé malgré la diminution progressive de la séroprotection.
Pour Isabelle Parent du Châtelet, responsable d’unité à Santé publique France, « l'étude montre à quel point il est important de veiller à ce que les vaccinations contre la diphtérie soient à jour en particulier pour les groupes de population vulnérables et que la diphtérie représente un risque notamment chez les personnes migrantes, les personnes sans domicile fixe, les consommateurs de drogues injectables, les personnes non vaccinées et les personnes âgées souffrant de maladies préexistantes, ainsi que les personnes ayant des liens professionnels avec ces groupes. Cela signifie également que les cliniciens doivent prêter attention aux symptômes courants de la diphtérie, en particulier lorsque leurs patients ont un lien professionnel ou autre avec ces populations vulnérables. »
(1) À titre de comparaison, entre 2016 et 2021, 27 cas de diphtérie étaient recensés chaque année en moyenne dans l’Union européenne par le centre européen de prévention et de contrôle de maladies (ECDC).
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