Les enseignements d'une étude écossaise

Les soignants et leur famille surreprésentés parmi les patients Covid

Publié le 17/11/2020
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Alors qu’ils ne sont que 11 % de la population des 18-65 ans, les soignants écossais et leur famille représentaient 17 % des hospitalisations pour Covid-19 dans cette tranche d’âge pendant la première vague. Pour les soignants de première ligne, le risque d’hospitalisation était même multiplié par trois. Une mise au point nécessaire publiée par le BMJ alors que les soignants semblent encore plus atteints lors de cette deuxième vague.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Partout dans le Monde, la première vague du Covid-19 était tellement peu attendue (les moyens de protection n’étant pas ou peu disponibles, par exemple) que les soignants semblent avoir été particulièrement touchés par la maladie. Mais qu’en est-il de leurs familles ? Parmi les sources d’angoisse des personnels hospitaliers, la crainte de transmettre le virus aux proches était prégnante.

L’étude de Anoop Shah et coll. (Glasgow, Ecosse) a été menée sur 158 445 professionnels de santé au plus fort de l’épidémie de Covid-19 (entre le 1er mars et le 6 juin 2020). Elle a évalué le sur-risque de ces personnels de santé hospitaliers (travaillant essentiellement pour le NHS) par rapport à la population générale. Il s’agissait en grande majorité de femmes (78,7 %). Les auteurs ont distingué ceux, qui, de par leur fonction et/ou spécialité, étaient au contact direct des patients Covid (soit 57,3 % d’entre eux), de ceux dont le rôle est éloigné des patients (anatomopathologistes, biologistes médicaux, bioinformaticiens…). Pour 22,2 % des personnels hospitaliers, il n’existait pas de précision quant à l’éventuel contact avec les patients. L’étude a aussi inclus 229 905 membres de la famille des soignants âgés de 18 à 65 ans (38,4 % de femmes), et c’est une première.

Sur une population régionale de 5 463 300 habitants, 3 452 592 personnes sont âgées de 18 à 65 ans. Pendant la période de la première vague, 6 346 personnes ont été hospitalisées dans cette région dont 33 % de 18-65 ans (2 097). Les soignants et leurs familles ont constitué un sixième (17,2 %) des admissions hospitalières pour COVID-19 chez les 18-65 ans, alors même qu’ils ne représentent que 11,2 % de la population en âge de travailler.

Sur-risque chez les soignants en contact direct avec les patients

L’analyse détaillée montre qu’après ajustement sur un certain nombre de valeurs confondantes (âge, sexe, origine ethnique et comorbidités), le risque de Covid-19 des personnels n’ayant pas de contacts avec les patients atteints était identique à celui de la population générale (HR : 0,81 ; ). En revanche, en cas de contact direct, le risque d’hospitalisation était triplé par rapport aux autres adultes en âge de travailler (HR : 3,30 ; [2,13 - 5,13]). Pour les membres de la famille de ces soignants, le risque était, pour sa part, doublé (1,79, [1,10 - 2,91]). Parmi les soignants, les spécialistes de première ligne, comme les urgentistes, les réanimateurs et/ou les soignants participant à la ventilation des patients (médecins et paramédicaux) ont connu le risque le plus important d’hospitalisations (risque estimé à 0,25 % pour les personnels des urgences, 0,14 % pour la réanimation et 0,05 % pour le personnel hospitalier non soignant).

Les auteurs notent aussi que parmi les soignants qui ont été hospitalisés (243), 1 sur 8 a été admis en soins intensifs et 2,5 % (6) sont décédés. Pour les familles de soignants (soit 117 patients), 20 % ont été admis en soins intensifs, et 18 personnes (12,9 %) sont décédées.

Dans un éditorial qui accompagne l’article, les Drs Ulf Karlsson et Carl-Johan Fraenkel (Skane, Suède) soulignent que, depuis les premiers jours de la pandémie, des progrès nets ont été effectués dans la protection des soignants. Ils avancent que grâce à ces progrès, le risque d’infection de soignants devrait être réduit au cours de cette deuxième vague. Or, il semble que ce ne soit pas le cas, du moins en France. Pourtant, les connaissances sur la transmission et la dynamique du virus sont bien meilleures, l’impact des infections asymptomatiques et pré-asymptomatiques mieux connu, l’accès aux équipements de protection et aux tests est désormais généralisé, le triage des patients est optimisé et le port du masque a été largement adopté dans la population générale.

Comment expliquer alors la plus grande sensibilité des soignants français aux infections depuis le début de l’automne ? Différents facteurs pourraient jouer un rôle : la fatigue du personnel qui n’a pas pu prendre de vacances depuis plusieurs mois, une certaine lassitude à la lourdeur des procédures d’habillage et de déshabillage, le mélange au sein des mêmes lieux des patients Covid et non Covid, un plus grand risque d’infection en dehors de l’hôpital, ou bien – mais cela reste à prouver — une infectivité particulière des variants circulants actuellement. 

Shah A, Wood R, Gribben C et coll. Risk of hospital admission with coronavirus disease 2019 in healthcare workers and their households: nationwide linkage cohort study. BMJ 2020; 371 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m3582 (Published 28 October 2020)
Karlsson U, Fraenkel C. Covid-19: risks to healthcare workers and their families. BMJ 2020; 371 doi: https://doi.org/10.1136/bmj.m3944

Dr Isabelle Catala

Source : Le Quotidien du médecin