Le vocabulaire guerrier s'est imposé dans le champ médiatique pour qualifier la lutte contre le SARS-CoV-2. Or, tout conflit armé a ses soldats, et le Pr Gilles Pialoux est l'un d'entre eux. Dans un carnet de bord publié aux éditions Jean-Claude Lattès, le chef du service des Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon (AP-HP) nous livre le témoignage au jour le jour d'une guerre « menée avec une tranchée de retard ».
Véritable plongée dans la tornade qu'ont connue les hôpitaux d'Île-de-France lors de la première vague de l'épidémie, le récit du Pr Pialoux débute fin décembre 2019. Ce qui deviendra le Covid-19 n'est encore qu'une vague rumeur venue de Chine. Les unes de la presse sont occupées par l'affaire Gabriel Matzneff ou l'évasion rocambolesque de Carlos Ghosn. Vu d'ici, on se croirait presque sur une autre planète. Au fil des pages, et de réunions de staff entranches de vie, l'intérêt scientifique distant va laisser place à la crainte, la crainte à la panique, et la panique à la révolte courageuse d'un monde de la santé à la « solidarité sans faille » face à l'ennemi commun.
Fragments de vie et notes de service
Conçu comme un carnet de notes, alimenté de fragments de vie, de dialogues, de notes de service et de quelques diagrammes, le livre joue sur les variations de tons. Il nous relate le premier cas suspect, une fausse alerte (« notre première et unique balle à blanc ») qui laisse entrevoir les failles béantes d'un hôpital public ravagé par les politiques publiques successives. S'ensuivent les premières réunions de crise après la découverte du patient zéro de l'hôpital Tenon (il engendrera huit contaminations parmi les autres patients), puis le « chassé-croisé des malades et des morts » dans les couloirs de l'hôpital. On y découvre ainsi le témoignage d'un médecin forcé par sa compagne à dormir sur le canapé, les récits de pénurie et d'équipes exténuées, de solidarités admirables, ou encore les mails du directeur de l'AP-HP Martin Hirsch, destinés à maintenir le moral des troupes.
Tous ces moments sont comme autant de « flash-back » d'un vétéran en état de stress post-traumatique, la sémantique martiale ne nous quitte pas. Le Pr Pialoux évoque par moments une impression de déjà-vu, lui qui a éprouvé le feu du combat avec l'épidémie de VIH. Médicalement, l'auteur ne se cache pas derrière son petit doigt. Il reprend tout ce que la communauté a ignoré, tout ce qu'elle a cru savoir, et tout le temps qu'elle a parfois perdu en guerre d'ego. Les tableaux cliniques assénés avec certitude la veille sont contredits le lendemain. Tout cela constitue le terreau fertile des fake news et d'une forme inédite de populisme médical né à Marseille.
La recherche désorganisée par la crise
C'est comme si le sol se dérobait sans cesse sous les pieds de soignants condamnés à courir pour ne pas tomber. Une anecdote frappante relatée dans le livre : alors qu'une sélection de plus en plus stricte s'opère à l'entrée de la réanimation, un interne écrit le cas clinique d'un patient dont il est persuadé qu'il est sur le point de s'en sortir bien qu'il a été récusé de réanimation. « On pouvait réanimer en salle de médecine » ! Au moment où il conclut son son texte, le patient meurt : la disparition du liquide dans ses poumons était en fait le signe d'une déshydratation sévère, « illusion de la jeunesse », décrit l'auteur qui, compte tenu de son âge et de ses antécédents cardiaques, craint pour sa propre santé. Il modifie ses directives anticipées.
À l'heure où les services hospitaliers sont de nouveaux submergés, les enseignements de la première vague sont nombreux et parfois amers. Comme l'écrit le Pr Pialoux, les équipes ont tenu bon grâce à la solidarité de leurs pairs et du reste de la société, et aussi grâce à une trêve entre les administrations de tutelles et les médecins. Alors que la crise sanitaire a désorganisé la recherche « en une collusion néfaste entre la science et la politique », que les équipes médicales sont « laminées » et que la crise est devenue politique, économique et sociale, le miracle se renouvellera-t-il ?
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