Plus de 100 000 Réunionnais ont été contaminés par le virus du chikungunya depuis le début de l'année, a estimé le 14 avril le directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) Gérard Cotellon. Si cette estimation est bien supérieure aux 27 521 cas recensés par l’agence Santé publique France, qui fait aussi état de 6 décès, elle est reprise par les chercheurs rassemblés par l’institut Pasteur le 15 avril, afin de faire un point sur les travaux en cours.
« Le pic est pour bientôt », prédit Patrick Mavingui, virologue au CNRS et directeur de l’UMR Pimit, tandis que pour le directeur de l’ARS, il est déjà passé. « Les indicateurs en lien avec le chikungunya en médecine de ville et aux urgences amorcent une baisse », note aussi SPF ce 16 avril. À quoi serviront alors les 90 000 doses (dont 40 000 ont déjà été livrées) d’Ixchiq, administrées dans le cadre de la campagne de vaccination lancée le 7 avril ? Plusieurs semaines s’écouleront en effet entre l’injection d’une dose unique de ce vaccin vivant atténué développé par Valneva et l’apparition d’une immunité protectrice. « Cette campagne tardive ne préviendra pas l’épidémie, concède Patrick Mavingui. Mais ces doses pourront éviter des cas graves, des hospitalisations et des décès, car elles seront données en priorité aux plus vulnérables, c’est-à-dire les personnes âgées et/ou ayant des comorbidités. »
La campagne de vaccination sera aussi l’occasion d’évaluer l’efficacité du vaccin Ixchiq en vie réelle, dans un contexte épidémique. À cette fin, l’étude de phase IV Chik-re-vac va être lancée conjointement par l’ARS, le CHU de La Réunion et l’ANRS-MIE, avec une période de suivi de 2 ans. « Il n’y a pas eu d‘essai clinique dans des zones à forte épidémie jusqu’à présent », lâche Olivier Schwartz, responsable de l’unité Virus et immunité de l’institut Pasteur.
Un variant responsable de l’épidémie de 2005
C’est la deuxième fois que l’île de La Réunion est victime d’une épidémie de chikungunya. Entre 2005 et 2006, 266 000 cas (dont 44 cas de transmission materno-néonatale) ont été recensés, pour 255 décès selon les données de l’ARS.
Si le chikungunya n’a plus fait parler de lui dans l’île au cours des 20 ans qui ont suivi, c’est parce qu’il « n’existe pas de cycle de transmission naturelle à La Réunion, explique Anna-Bella Failloux, qui dirige le laboratoire Arbovirus et insectes vecteurs de l’institut Pasteur. Toute épidémie est donc forcément importée. » Le virus du chikungunya peut en effet circuler parmi les primates non humains en étant transmis par toute une variété d’Aedes (furcifer, luteocephalus, taylori, africanus…) ou parmi les humains en transitant par les Aedes aegypti et les Aedes albopictus (ou moustique tigre). S’il y a 12 espèces de moustiques à La Réunion, l’Aedes albopictus est devenu l’espèce majoritaire depuis que des traitements au DDT dans les années 1950 ont largement éradiqué ses concurrents.
La précédente épidémie de 2005 était d’ailleurs liée à l’Aedes albopictus. Selon la task force mise en place par l’institut Pasteur à l’époque, elle a été causée par le variant E1-226V, porteur d’une mutation qui rend le virus bien plus transmissible par le moustique tigre. Avec 35 % de la population de l’île infectée à l’époque, les chercheurs espéraient qu’une immunité de groupe pourrait en protéger au moins une partie. « Nous pensions que les plus de 30 ans seraient moins touchés aujourd’hui car bénéficiant de la séroprotection de l’épidémie de 2005-2006 ; ce n’est pas le cas », s’étonne Patrick Mavingui. En revanche, la piste de l’immunisation collective pourrait expliquer une moindre sévérité des infections : « pour l’instant, il y a, proportionnellement au nombre de cas, moins de décès (6 confirmés pour 100 000 cas, NDLR) et de formes graves rapportées qu’il y a 20 ans », observe Olivier Schwartz. Selon des études menées à partir des dons de sang, 17 % de la population aurait toujours une sérologie positive (contre plus de 30 % à la sortie de l’épidémie de 2005-2006).
Si des témoignages de personnes affirmant avoir été infectées deux fois circulent, Patrick Mavingui insiste sur le fait « qu’il n’y a pas de cas de réinfection documenté et démontré par une sérologie positive ». Mais cela ne serait pas impossible : des cas de réinfections ont été publiés à partir d’une cohorte de plus de 500 personnes au Kenya, dans laquelle 4 % des jeunes ont été réinfectés.
40 % de formes chroniques
On estime par ailleurs que 40 % des patients souffrent de symptômes pendant plus de trois mois. « Dans la phase chronique, on a des symptômes très proches de la polyarthrite rhumatoïde, explique Olivier Schwartz. Ils se traitent d’ailleurs de la même façon, avec des anti-TNF et des corticoïdes. » À La Réunion, existe déjà une cohorte de 1 000 personnes infectées entre 2005 et 2006 et présentant encore des symptômes arthralgiques en 2025. Les chercheurs envisagent de monter de nouvelles cohortes constituées des patients contaminés en 2024 et 2025 pour mieux comprendre les phénomènes de persistance.
Les chercheurs du Cirad et du Centre national de recherches météorologiques vont également unir leurs efforts dans le cadre du projet Bripo pour élaborer un nouveau modèle de prédiction des épidémies à partir de modèles météorologiques et du système de modélisation Alborun spécialisé dans les populations d’Aedes albopictus. Les experts espèrent prédire les schémas de distribution spatiale et de dynamique saisonnière du moustique tigre à La Réunion lors de la période 2070-2100, suivant différents scénarios climatiques.
Les regards se tournent désormais vers l’Europe où le chikungunya a pris pied en 2007 en Italie, et en 2010 dans le sud de la France. « Si on regarde les cas survenus en France, on constate que l’espèce d’Aedes locales est tout aussi performante pour transmettre le virus que les Aedes indiens », explique Anna-Bella Failloux qui a supervisé des expériences de transmissibilité au sein de l’insectarium de l’Institut Pasteur. L'Anses a alerté en juillet dernier sur le « risque assez élevé » d'une épidémie en France métropolitaine d'ici à 5 ans. Le changement climatique élargit les régions favorables aux épidémies de chikungunya : un milliard de personnes vivent désormais en zone endémique.
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