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Dossier

EHPAD

Les généralistes répondent à l’appel

Par Amandine Le Blanc - Publié le 17/11/2017
Les généralistes répondent à l’appel

Dr Chambraud et Elvina Bredas
Amandine Le Blanc

Grèves, effectifs insuffisants, manque de personnels formés… Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont depuis plusieurs mois dans la tourmente. En septembre dernier, une députée tirait la sonnette d’alarme dans un rapport édifiant. Intervenants réguliers dans ces structures d’accueil médicalisées, les généralistes sont parfois témoins de situations difficiles. Et même si un tiers de résidences manquent de praticiens coordonnateurs, les médecins de famille continuent d’y intervenir.

Les EHPAD sont en souffrance. Directeurs d’établissement, familles des résidents, professionnels de santé, médecins coordonnateurs… Ces derniers mois, tous ont alerté les pouvoirs publics sur la situation explosive des maisons de retraite médicalisées. En septembre dernier, Monique Iborra, députée LREM de Haute-Garonne, faisait état d’une situation alarmante dans un rapport « flash » présenté à l’Assemblée. Taux d’absentéisme et d’accidents du travail record pour les aides-soignants, « maltraitance institutionnelle », difficulté à recruter des médecins coordonnateurs, ressources humaines et financières insuffisantes… L’état des lieux est inquiétant. « Tout le monde appelle au secours dans les EHPAD. Il faut leur venir en aide et développer un véritable plan d’urgence », estime le Dr Renaud Marin la Meslée, président du Syndicat national des généralistes et gériatres intervenant en EHPAD (SNGIE).

La situation dans ces structures, les généralistes en sont à la fois acteurs et témoins puisque tous, ou presque, interviennent en EHPAD. Selon une étude de l’URPS des Pays de la Loire menée en 2014, 90 % des généralistes de la région prennent en charge des résidents de 85 ans d’âge moyen. Ils s’occupent en moyenne de 17 seniors dans trois établissements différents. Les médecins en zone rurale en suivent deux fois plus.

Pénurie de médecins traitants

Le Dr Philippe Chambraud, généraliste parisien, intervient dans pas moins de 10 EHPAD. Ce matin, il est en visite à La Maison de l’érable Argenté, à Clamart. Chaque semaine, il vient une heure pour s’occuper des 25 résidents dont il est le médecin traitant. « Aucun ne figurait parmi mes patients avant de rentrer en EHPAD. J’ai accepté d’intervenir ici parce que j’habite à Clamart », explique-t-il. Les généralistes comme le Dr Chambraud sont précieux pour ces établissements qui ont fréquemment du mal à en trouver. « Un certain nombre de praticiens ne veulent plus aller en EHPAD », explique le Dr Philippe Marissal, généraliste et médecin coordonnateur en maison de retraite médicalisée dans l’Ain. « Trois raisons à cela, souligne le Dr Chambraud. La première, c’est la distance. La deuxième, c’est la mauvaise image de cet exercice, parfois à juste titre car dans certains établissements, il y a beaucoup de contraintes administratives qui sont un vrai repoussoir. Enfin, certains médecins n’ont tout simplement pas d’appétence pour la gériatrie », ajoute-t-il. L’enquête de l’Union régionale (URPS) des Pays de la Loire montrait par exemple que 18 % des médecins intervenant en EHPAD avaient déjà arrêté – à leur initiative – leur activité dans un établissement. Pour 63 % d’entre eux, la cause de cette cessation était la distance entre le cabinet et la maison de retraite, 17 % mettaient en cause les difficultés relationnelles avec la direction de l’EHPAD. Le niveau de rémunération trop faible n’intervenait que dans 17 % des cas. « Aujourd’hui, tous les généralistes ont tellement de travail qu’ils n’ont pas envie de s’embêter avec des contraintes supplémentaires – d’horaire, de parking, de récupération de l’information, etc. Les confrères qui ne veulent pas y aller, nous les prenons entre quatre yeux pour expliquer qu’ils ne peuvent pas prendre que les bons côtés de la médecine et laisser les mauvais aux autres », estime le Dr Marissal.

Une coordination clé

Dix-huit médecins interviennent à La Maison de l’érable Argenté, aucun résident n’est sans médecin traitant. Quand le Dr Chambraud arrive sur place, il récupère dans son casier le cahier de correspondance, avec toutes les informations sur les résidents dont il s’occupe. Devant l’ordinateur, avec Elvina Bredas, une infirmière, il passe en revue toutes les tâches à effectuer. Le généraliste consacrera une bonne partie de son heure de présence à signer les différentes ordonnances préparées par l’infirmière ou les prescriptions médicales de transport. Elvina Bredas le briefe sur la situation de certains patients hospitalisés, avec un moral en berne ou un état de santé qui se détériore. Elle lui indique aussi ceux à rencontrer en priorité. Ce matin-là, le Dr Chambraud en verra trois avec l’infirmière. Il n’y aura pas vraiment d’examen, davantage une discussion, pour remonter le moral ou rassurer.

Après être passé dans les chambres, le Dr Chambraud retourne à l’infirmerie pour télétransmettre ses feuilles de soins. « Ce sont des actes libéraux de secteur I. Le premier est remunéré comme une visite, les suivants comme des consultations classiques », explique-t-il.

Entre l’infirmière et le généraliste, l’organisation semble bien huilée. Le Dr Chambraud le reconnaît, cet aspect varie selon les résidences. « En gériatrie particulièrement, il est indispensable de travailler en équipe. Chacun doit être à l’unisson, de la femme de ménage à ceux qui donnent les ordres. C’est un gain de temps énorme », confie-t-il. Et ici, cela semble être effectivement le cas. Le généraliste parisien rend hommage au travail abattu par les personnels de la maison de retraite, les infirmières notamment. « Leur organisation est impressionnante, je ne sais pas comment elles font. Pour suivre ce rythme, il ne faut pas avoir de problèmes personnels. L’équipe sur place se donne du mal. Quand ça se passe comme ça, le médecin derrière a le beau rôle. » Mais quand la coordination n’est pas là, le travail est d’autant plus compliqué. Parmi les obstacles les plus souvent rencontrés en EHPAD, 22 % des généralistes ligériens citaient la difficile transmission d’informations entre professionnels et 15 % l’indisponibilité des données médicales du patient.

L’informatique, repoussoir ou facilitateur

Au-delà de ce qui lui est transmis directement par les infirmières, le Dr Chambraud peut récupérer toutes les informations sur les résidents et leurs prescriptions sur un logiciel, installé début mai. C’est aujourd’hui un outil précieux. « Nous avions un autre programme, mais aucun praticien ne l’utilisait. Ils écrivaient tout à la main, le médecin coordonnateur n’avait pas le temps de retranscrire, les soins n’étaient pas cochés. Il fallait rapidement faire quelque chose », explique Elvina Bredas. Un changement d’autant plus important que les problèmes informatiques deviennent parfois des barrières à la venue des généralistes en EHPAD. « Des médecins ont déjà annoncé : “Je veux bien continuer à venir, mais je n’écris plus dans l’ordinateur, seulement à la main” », explique le Dr Marin La Meslée. L’hétérogénéité des systèmes d’information est ainsi citée comme une difficulté en EHPAD par 50 % des généralistes sondés par l’URPS des Pays de la Loire. Un dossier médical informatique sans double saisie était donc considéré comme la priorité majeure pour améliorer la coordination des soins. Il y a quatre ans, après la mission Verger, le SNGIE avait demandé qu’un médecin généraliste en maison de retraite médicalisée puisse avoir un écran avec trois boutons : dossier médical, prescriptions médicamenteuses et autres prescriptions. « Rien n’a été activé en la matière », constate le président du Syndicat.

À côté des problèmes informatiques le Dr Marin La Meslée identifie le manque de médecin traitant comme le deuxième obstacle majeur, et encore plus dans les territoires problématiques au niveau de la démographie médicale. « Nous voudrions permettre l’installation de maison de santé pluriprofessionnelle à l’intérieur d’un EHPAD et que l’ensemble des praticiens de cette structure puissent être considérés comme le médecin traitant » propose-t-il. « Pour l’instant cela s’est fait dans le nord-est des Landes et l’arrière-pays niçois. »

Amandine Le Blanc