COÏNCIDENCE : deux institutions médicales représentatives viennent de prendre en même temps des positions officielles qui remettent gravement en question notre mission de soignant. Ainsi le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) diffuse un communiqué de presse en faveur d’un test de dépistage prénatal non invasif (DPNI) de la T21 systématiquement proposé à toutes les femmes. Peu après, en vue d’un futur vote parlementaire, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) se déclare partisan d’une assistance médicale à mourir en fin de vie. Malgré des contenus différents, ces publications peuvent-elles être rapprochées ? En quoi leur application risque-t-elle de modifier radicalement notre approche du patient mais aussi notre conception de la médecine ? Faut-il s’en inquiéter ?
Des différences évidentes.
Les contextes auxquels se réfèrent ces textes ne sont pas les mêmes. Dans l’un il s’agit, « devant des situations cliniques exceptionnelles » d’autoriser « une sédation, adaptée, profonde et terminale ». Dans l’autre, le DPNI est vanté en raison de sa très grande fiabilité qui permet de détecter précocement l’ADN fœtal circulant sans recourir aux actes invasifs (amnio ou choriocentèse). Le CNGOF souhaite à terme sa généralisation. L’issue des grossesses ainsi dépistées n’est pas évoquée mais elle ne fait aucun doute puisque, avec les méthodes classiques utilisées depuis 16 ans, nous observons 96 % d’interruption dite médicale de grossesse (IMG) des fœtus diagnostiqués porteurs de la T21. Le lien dépistage-IMG est quasi inéluctable et s’inscrit même dans notre subconscient. Le DPNI va amplifier cette pratique dans le cadre d’une « organisation scientifique » de la sélection prénatale et d’un eugénisme industriel.
Une logique commune. Peut-on nier la réalité commune à ces deux situations ? À chaque extrémité de la vie, qu’il concerne quelques milliers d’embryons porteurs de la T21 ou qu’il soit supposé exceptionnel devant un malade en phase terminale, il y a bien interruption de la vie pour laquelle le médecin est sollicité. Ce fait est contraire à l’essence même de notre métier et du code de déontologie : le médecin « n’a pas le droit de donner délibérément la mort » (art. 38).
De supposés garde-fous.
Afin de prévenir toute dérive potentielle, le CNO insiste sur l’importance d’une décision collégiale, seule habilitée à donner une suite favorable à la requête d’un malade en fin de vie. Parallèlement, en médecine prénatale, la loi bioéthique impose l’accord préalable de plusieurs médecins experts appartenant à un Centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal si les futurs parents souhaitent une IMG. Cependant une confusion des genres va surgir. En raison de la précocité de la réponse du DPNI - possible bien avant la fin du délai légal de l’IVG - tout laisse à penser que ces mêmes médecins experts ne seront plus sollicités.
Le leurre de l’information. Les deux institutions insistent sur la qualité respective du recueil et de la délivrance de l’information. Ainsi notre Ordre exige « l’absence de toute entrave » à la liberté dans la demande du patient qui exprimerait de manière réitérée et consciente ses dernières volontés. Or, dans cette situation extrême, la liberté de chacun est-elle toujours réellement garantie ?
Par ailleurs, en médecine prénatale, la loi dit que l’information délivrée doit être « loyale, claire et adaptée ». Qu’en sera-t-il avec le DPNI ? Comment aborder tous les enjeux d’un test qui bouscule notre réflexion ? Le risque n’est-il pas d’observer un changement dans notre pratique avec proposition du DPNI soumise à condition selon la formule suivante : « Madame, souhaitez-vous conserver votre grossesse si votre enfant est porteur de la T21 ?.. Raccourci bien économe en temps, dans le cadre d’une consultation durant laquelle il nous faut aborder tant d’autres sujets. Avant même la première échographie, au lieu de parler de la vie intra-utérine, les couples seront confrontés à la possibilité d’une interruption de grossesse dès leur entretien initial avec le médecin.
Un changement radical et insidieux. Ainsi deux documents officiels scellent les bases d’une nouvelle culture médicale. Qu’il soit banalisé ou exceptionnel, l’acte d’interruption de la vie fera bientôt partie de notre « arsenal thérapeutique ». Mais il s’agit de supprimer des malades, non la maladie. Notre regard sur le malade et la maladie va changer. Est-ce au profit d’une médecine plus humaine ?
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