LE QUOTIDIEN - Que vous inspire cette découverte sur le plan éthique ?
Pr AXEL KAHN - Sur le plan éthique, il n’y a pas grand-chose à dire. C’est surtout sur un plan de sécurité qu’il faut s’interroger. L’éthique reste l’interrogation sur la valeur de l’autre. Tout dépend de ce à quoi on utilise cette bactérie. La question se résume à : est-ce que cette manière synthétique de faire des micro-organismes est présente suffisamment de sécurité pour ne pas faire courir de dangers ? Finalement, la fabrication d’une bactérie synthétique peut poser une question éthique uniquement par rapport à une conception religieuse, à quelqu’un qui considère que Dieu a créé la vie et que l’homme est blasphématoire s’il essaye de la recréer.
Le plan de sécurité vous semble-t-il suffisant ?
A priori oui. En principe, il est relativement aisé par cette méthode - puisqu’on maîtrise tout dans la synthèse de l’ADN - de faire en sorte que cette cellule soit prototrophe, c’est-à-dire qu’elle exige une substance particulière pour survivre, substance qui n’est qu’artificielle. En l’absence de ce nutriment totalement essentiel, dès que cette bactérie synthétique s’échappera dans la nature, elle périra. Et j’imagine que, par double sécurité, on en mettra deux en se disant qu’il peut toujours y avoir une mutation qui amène la bactérie à être indépendante de ce produit. Mais avec deux ou trois facteurs de prototrophie, on voit bien que les risques deviennent tout à fait négligeables. Le problème est que, pour avoir ce niveau de sécurité, il faut qu’on l’ait voulu. On peut toujours s’amuser à des romans de science-fiction dans lesquels des pays technologiquement très développés envisageraient de se doter de nouvelles armes bactériologiques. Mais je ne suis pas trop inquiet car il y a tellement de bactéries naturelles spontanément redoutables qui sont même moins difficiles à obtenir, que je ne vois pas pourquoi on en bricolerait une. Il n’y a pas grand-chose d’aussi redoutable que le virus de la variole !
Que peut-on retenir de cette découverte ?
Il y a quelque chose de très important, de très symbolique. C’est vraiment la première fois qu’après quelques divisions de la première cellule synthétique, on se retrouve avec un micro-organisme dont toutes les propriétés et toute la substance sont codées par un gène synthétique. On avait déjà fait des gènes synthétiques pour coder une substance particulière mais ici, on code une bactérie. Par conséquent, on peut considérer que cette bactérie elle-même est synthétique, même si ce n’est pas exactement vrai. Par ailleurs, cette découverte démontre - cela va de soi mais il y a toujours des discussions - que le contrôle majeur du vivant est le contrôle génétique. Ici, on a un mycoplasme de chèvre dans lequel on met un génome artificiel de mycoplasma mycoides et, au bout de quelques divisions, on se retrouve avec une bactérie totalement codée par le génome, c’est-à-dire qui doit avoir toutes les caractéristiques de mycoides plus les marqueurs qui sont introduits. En effet, la totalité de ce que l’on obtient est codé par le génome. Maintenant il va falloir faire des études très précises pour vérifier s’il existe ou non une différence, même petite, avec Mycoplasma mycoides original. Si la bactérie obtenue grâce à ce programme synthétique est indiscernable d’une bactérie naturelle du type de celle dont le génome initial a été extrait, cela voudra dire que la matérialité des bactéries est commandée par les gènes.
Et du point de vue de la recherche, que peut-elle apporter ?
Cette découverte va a priori permettre de démultiplier ce que l’on fait couramment en biotechnologie des micro-organismes. Par mutagénèse on prend différents micro-organismes, on introduit de nouveaux gènes : ça, ce sont les biotechnologies depuis 1972, puisque le génie génétique date de cette année. Mais entre rajouter un deux, trois, quatre, cinq ou six gènes dans un micro-organisme et rajouter un génome de plusieurs centaines de gènes, il y a une marge considérable. Donc on peut imaginer que pour fabriquer des micro-organismes utilisés dans la fermentation, dans la fabrication d’antibiotiques, de médicaments extrêmement complexes, dans la détoxification de la pollution, de métaux lourds, on a beaucoup, beaucoup plus de latitudes. C’est certainement une étape importante.
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