Maladies orphelines du foie dues au déficit de la synthèse des acides biliaires

Orphacol, acide cholique, gagne la bataille juridique de l’AMM européenne

Publié le 03/03/2014
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Crédit photo : PHANIE

Les déficits de synthèse des acides biliaires primaires sont des maladies héréditaires autosomiques récessives. Parmi ces maladies ultra-orphelines du foie, deux types ont été identifiés, caractérisés par un déficit en 3ß-hydroxy-C27-stéroïde déshydrogénase/isomérase (3ß HSD, enzyme microsomale) soit en Δ4-3-oxostéroïde 5ß-réductase (Δ4-3-oxoR, enzyme cytosolique).

La maladie débute en général dans l’enfance parfois dès les premières semaines de vie par une cholestase. Le Pr Emmanuel Jacquemin, service Hépatologie et transplantation hépatiques pédiatriques à l’Hôpital Bicêtre (AP-HP) rappelle que « toute jaunisse néonatale qui dure 2 semaines si elle n’est pas forcément grave, doit être explorée ». Cette cholestase est particulière : ni d’augmentation des γ-GT, ni augmentation des acides biliaires sanguins, ni prurit. Que se passe-t-il ? Dans les 2 déficits enzymatiques la chaîne de synthèse d’acide cholique se bloque : en aval, pas d’acide cholique ; en amont, des précurseurs inactifs et toxiques s’accumulent dans le foie. Or l’acide cholique rétrocontrôle sa propre synthèse : moins il y en a, plus l’organisme cherche à en synthétiser. Un emballement se crée, amplifiant l’accumulation des métabolites toxiques. De plus, la chasse biliaire, mécanisme d’élimination des toxiques physiologiquement déclenchée par l’augmentation d’acide cholique est ici impossible : il n’y a pas d’acide cholique... d’où la stase des métabolites, l’inflammation, la fibrose, la cirrhose et l’évolution spontanée vers le décès.

La carence en sels biliaires provoque une malabsorption des graisses et des vitamines liposolubles A, D, E, K. Peuvent attirer l’attention : asthénie, ictère, hépatomégalie, ascite, diarrhée grasse, rachitisme, kératite, troubles de la coagulation. Le diagnostic repose sur la détection de métabolites urinaires caractéristiques en spectrophotométrie de masse sur un prélèvement d’urine congelé. Le déficit est confirmé par l’analyse génétique.

La découverte du traitement

Sans acide cholique, le traitement est palliatif (corrections vitaminiques, acide ursodésoxycholique) avant transplantation. À la fin des années 1990, des métabolites anormaux sont retrouvés par spectrophotométrie de masse dans les urines. En 1993, le Pr Emmanuel Jacquemin montre que l’acide cholique en traitement oral quotidien supprime par rétrocontrôle la synthèse de métabolites anormaux. Depuis, sur la petite cohorte de 22 patients (maladie extrêmement rare : 1 nouveau cas par an en France), tous sont en vie avec un recul de 6 mois à 20 ans (médiane : 16 ans). Aucun n’a eu de transplantation hépatique, trois femmes traitées ont mené 6 grossesses normales à terme. La biologie s’est normalisée (disparition des métabolites urinaires anormaux, correction de la malabsorption, normalisation des tests hépatiques) mais aussi l’histologie : quasi normalisation du score métavir après 5 ans de traitement, disparition de la cirrhose après 7 ans de traitement. « La démarche initiée dans le service répondait à un besoin précis ; cette histoire est un exemple très démonstratif : il y en a peu dans l’histoire médicale. Si on veut bien traiter les maladies il faut bien les décortiquer et comprendre leurs mécanismes précis. Sous traitement par acide cholique, une régulation physiologique de la boucle de synthèse se réinstalle et la production de métabolites s’arrête. La cirrhose disparaît. Quand on touche le point sensible, on a un moyen d’action extrêmement efficace. Ces jeunes patients qui deviennent adultes vivent normalement », précise le Pr Jacquemin.

Du développement à l’AMM

En 1993, le Pr Emmanuel Jacquemin se procure de la poudre d’acide cholique en Allemagne. Puis une préparation à base d’acide cholique est mise au point par la pharmacie AP-HP à l’hôpital Bicêtre. Elle obtient en 2002 le statut de médicament orphelin. En 2007, l’AP-HP, signe un accord de partenariat avec CTRS, un laboratoire spécialisé dans le développement de maladies rares et gaves. Cette petite PME française enregistre l’acide cholique sous Orphacol et obtient une ATU nominative (autorisation temporaire d’utilisation) pour la France. Après 2 refus et un recours devant le cours de justice Européenne la demande d’AMM européenne déposée en 2009 par CTRS aboutit le 12 septembre 2013. Le récit de la manière dont CTRS a fait valoir ses droits contre la Commission Européenne, fait l’objet d’un livret « la Saga Orphacol » téléchargeable gratuitement sur internet.

D’après la conférence de presse AP-HP et CTRS : « Prise en charge des maladies du foie : exemple d’un partenariat réussi entre l’AP-HP et une PME française innovante : le laboratoire CTRS. L’illustration d’Orphacol »

Dr SOPHIE PARIENTÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9306