PRÈS DE LA MOITIÉ des patients drépanocytaires sont désormais des adultes. « La mortalité pédiatrique a chuté au cours de ces 30 dernières années, se félicite le Pr Robert Girot, du centre de la Drépanocytose à l’hôpital Tenon (Paris). La survie à l’âge de 20 ans est de 95 à 98 % en 2013, alors qu’elle n’était que de 50-60 % il y a 50 ans ». Le pronostic a été bouleversé par une organisation en centres spécialisés capables de recevoir les urgences spécifiques 24h/24 et de proposer un suivi mettant en place toutes les mesures symptomatiques, préventives et curatives. « La situation n’est pas aussi satisfaisante chez l’adulte, puisque la survie médiane se situe à 50-60 ans, déplore le Pr Girot. La drépanocytose devient une maladie chronique de l’adulte ». L’histoire de la drépanocytose à cet âge de la vie est au fond mal connue et les spécialistes assistent à l’émergence de nouveaux problèmes, comme la détérioration multi-organes. Toute la problématique s’organise autour d’une intervention avant ce stade avancé.
Le Doppler transcrânien partout en France.
La généralisation du Doppler transcrânien est l’un des outils prédictifs disponibles. « Cet examen permet de repérer les 10-15 % d’enfants à risque de formes graves, explique le Pr Montalembert. C’est l’un des facteurs identifiés, comme l’âge, la survenue de protéinurie ou d’une anémie grave ‹ 4 g/dl. Le Doppler transcrânien n’est pas encore disponible dans toutes les villes de France ». Des enfants peu malades dans l’enfance peuvent s’aggraver secondairement avec des décès inexpliqués. Certains développent à l’âge adulte une détérioration d’organes, où rein, cœur, poumons, cerveau peuvent être atteints. « Qu’est-ce qui fait qu’un patient va rentrer dans un programme de transfusion et de dialyse à l’âge de 30 ans, voire développer une hypertension artérielle pulmonaire ? Il faudrait introduire l’hydroxyurée, les échanges transfusionnels ou encore la greffe de moelle avant d’en arriver là ». Dans l’optique de mieux décrire la maladie chez l’adulte, le groupe francilien est en train d’organiser un observatoire avec la constitution de cohortes.
Un réseau de ville à développer.
Le dispositif en place très performant montre encore quelques failles. « Si le quadrillage est serré en région parisienne et aux Antilles, avec par exemple en Ile-de-France, 6 centres de référence pour la prise en charge des syndromes drépanocytaires majeurs et plusieurs centres de compétence, ce n’est pas le cas partout ailleurs sur le territoire », souligne le Pr Mariane de Montalembert, présidente du Réseau Ouest Francilien de Soins des Enfants Drépanocytaires (ROFSED) et pédiatre à l’hôpital Necker-Enfants Malades (Paris). De plus, le système de soins a besoin de s’appuyer sur un réseau de ville et force est de constater que tous les médecins ne sont pas suffisamment armés. « Il est nécessaire de développer la formation des médecins d’adultes en particulier, insiste-t-elle. Il faut poursuivre les efforts d’éducation des patients et de leurs familles. Les symptômes devant aller faire consulter aux urgences doivent être connus de tous ». L’adolescence est un cap difficile avec risque de perdus de vue, ce qui justifie un accompagnement attentif et renforcé.
Les défauts de l’hydroxyurée.
L’hydroxyurée indiquée dans les formes graves n’est pas sans défauts. « Cette chimiothérapie qui fait réapparaître l’hémoglobine fœtale fonctionne très bien chez les enfants, mais un peu moins bien ensuite chez l’adolescent et l’adulte, poursuit le Pr Girot. Pourquoi cette perte d’efficacité ? Près de 80-90 % des patients drépanocytaires vont rester répondeurs à vie, quand l’effet va s’épuiser pour 5-10 % d’entre eux, les 5 à 10 % restants étant d’emblée réfractaires ». Mais surtout, le risque d’infertilité chez les hommes avec une baisse de la spermatogénèse fait réaliser une cryoconservation de sperme. « C’est un problème très moderne, qui concerne dans notre centre à Tenon près de 1 000 patients âgés en médiane de 30 ans ». L’hydroxyurée est de plus contre-indiquée en cours de grossesse. « Même si les données sont rassurantes, nous n’avons qu’un recul de 20 ans pour conclure de manière catégorique à l’absence d’effets cancérogènes et/ou leucémogènes. La question reste posée ».
La greffe sous-utilisée.
L’enjeu d’un repérage précoce concerne bien sûr la greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). « La greffe de CSH est d’autant mieux tolérée qu’elle est réalisée dans l’enfance », explique le Pr Girot. Toutefois, explique le Pr Éliane Gluckman, hématologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris) et pionnière internationale dans la greffe de cellules souches de sang de cordon ombilical, « la greffe de CSH est une ressource sous-utilisée, y compris dans les indications telles que définies aujourd’hui les limitant aux formes graves. Seules quelques dizaines de patients sont greffées par an. C’est pourtant le seul traitement curatif, avec 90 % de patients totalement guéris, que l’on ne revoit plus qu’une fois par an en consultation ». Quelles raisons à cet état de fait ? À l’absence de donneurs apparentés HLA identiques (moelle ou sang de cordon), mais pas seulement. Il existe des freins quant à l’acceptabilité auprès du patient, de la famille et des médecins. « La mortalité d’une greffe n’est pas nulle, de l’ordre de 5 %, précise le Pr Montalembert. Or, par ailleurs, on dispose de plusieurs traitements permettant de temporiser avec l’hydroxyurée et les échanges transfusionnels, aussi lourds soient-ils ».
La mortalité liée à la greffe reste faible surtout si elle est réalisée dans l’enfance, en moyenne vers l’âge de 7-8 ans. « L’ensemble des données internationales le confirment, rassure le Pr Gluckman. On dispose de statistiques mondiales, avec 1 200 greffes, dont 600 en Europe et 600 aux États-Unis, la France étant le leader mondial avec 200 greffes ». De plus, toutes les équipes travaillent activement à faire baisser encore ces chiffres. « L’objectif est de diminuer la toxicité, en particulier d’alléger le conditionnement pré-greffe et d’arriver à préserver la fertilité ultérieure ». À cet égard, des recherches sont en cours sur le fait de tolérer un certain degré de chimérisme entre les cellules du donneur et du receveur. « Peut-être qu’une prise de greffe de 20-30 % serait suffisante ». Autre voie de guérison, la thérapie génique, pour l’instant à l’état purement théorique. « Si de bons résultats ont été obtenus chez 2 patients thalassémiques, notamment avec l’équipe française de Marina Cavazzana-Calvo, aucun patient drépanocytaire n’a encore été traité dans le monde », rapportent tous les experts. Et si « la thérapie génique verra le jour à un moment donné » assure le Pr Montalembert, « la recherche est actuellement au point mort », constate le Pr Gluckman.
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