Générations suivantes : l’épigénétique à la portée de la thérapeutique ?

Les épidrogues, un cran au-dessus du génome

Publié le 11/09/2014
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Des modifications qui sont par essence réversibles

Des modifications qui sont par essence réversibles
Crédit photo : PHANIE

« Par définition, l’épigénétique est l’ensemble des mécanismes qui convertissent l’information génétique en caractères observables ou phénotype, rappelle le Pr Dominique Bellet (Institut Curie, Paris). Pour mémoire, toutes nos cellules ont près de 23 000 gènes. On peut les assimiler à 23 000 partitions musicales. Les biothérapies dites ciblées visent des altérations de ce génotype, soit les fausses notes associées à certaines tumeurs ».

« Mais, au-delà de notre génotype ou des partitions musicales, il y a un chef d’orchestre. Toutes nos cellules ne jouent en effet pas la même musique. Le corps humain est constitué de plus de 250 types de tissus différents... Au-delà de la génétique il existe donc un mécanisme, l’épigénétique, qui vient de façon réversible "allumer" ou "éteindre" certains gènes. L’épigénétique permettant ainsi, si l’on poursuit la métaphore, de lire ou pas telle ou telle ligne de ces partitions musicales. Or, les cellules cancéreuses, au-delà des altérations génétiques, peuvent être le siège d’altérations épigénétiques. On observe souvent notamment une "extinction" des gènes dits suppresseurs de tumeurs. Et c’est ce type d’altérations épigénétiques, réversibles, que visent les épidrogues. Elles pourraient donc permettre non seulement d’attaquer spécifiquement les cellules cancéreuses mais aussi – du moins l’espère-t-on – de reverser le phénotype tumoral en phénotype sain et d’exercer une activité très ciblée, avec à la clé un bénéfice risque potentiellement très favorable, résume-t-il. D’où l’enthousiasme qui entoure aujourd’hui cette nouvelle piste, même si c’est un champ de recherche complexe ». D’autant qu’une même cellule cancéreuse peut héberger à la fois des altérations génotypiques et épigénétiques...

Deux grandes familles

L’épigénétique module l’expression des gènes essentiellement par deux mécanismes : la méthylation au niveau de l’ADN des promoteurs de gènes ; l’acétylation des protéines entourant l’ADN (les histones), dont le déploiement dans l’espace masque/démasque telle ou telle partie de l’ADN associé. Résultat, on distingue deux grands types d’épidrogues correspondant à ces processus. Celles promouvant une dé-méthylation des promoteurs (de gènes suppresseurs de tumeurs par exemple), comme l’azacytidine (AZA-Vidaza), ont notamment été testées dans les myélodysplasies mais aussi dans les CPNPC.

On a d’autre part, les épidrogues ciblant une désacétylation des histones, comme l’étinostat. Il a récemment été essayé dans les cancers du sein triple négatifs dans un essai de phase II (1) et dans un essai de phase I en association avec l’AZA-Vidaza. Des études sur modèles murins de CPNPC l’ont testé en association à une immunothérapie (anti-PD1).

« Pour l’heure, les résultats préliminaires de ces études, dont certains sont encourageants, n’ont pas encore fait la preuve du concept. Un des écueils est qu’il est bien délicat de déterminer les doses requises, sûrement faibles. Mais l’on n’est aujourd’hui qu’au début du chemin », commente le Pr Bellet.

Perspectives

« Au-delà du cancer, 70 % des maladies chroniques seraient liées à des altérations épigénétiques. C’est un champ de recherche très complexe mais passionnant », précise-t-il. Actuellement, les épidrogues destinées à la cancérologie visent des variations épigénétiques impliquées dans la transformation de la cellule normale en cellule tumorale. Cibler ces modifications épigénétiques, par essence réversibles –  a contrario des modifications génétiques ciblées par les biothérapies – pourrait permettre de reverser le phénotype tumoral en phénotype sain. C’est pourquoi cette voie paraît prometteuse. À Curie, plusieurs chercheurs s’y consacrent déjà depuis quelques années.

Et à l’ASCO, des essais préliminaires associant immunothérapie et épidrogue ont d’ores et déjà été présentés. On peut en effet espérer que bloquer, par une épidrogue, un mécanisme promouvant la transformation maligne tout en levant les blocages mis en place par les cellules cancéreuses pour échapper au nettoyage par le système immunitaire, constitue une stratégie très efficace. Cette approche s’apparente en effet à la mise en place d’un programme antivirus au sein d’un logiciel défectueux avec réactivation du nettoyage automatique. Enfin, elle témoigne de l’énorme enthousiaste suscité par cette piste thérapeutique très originale.

Entretien avec Dominique Bellet (Institut Curie, Paris)

(1) JCO 2014;325 S; 569

Pascale Solère

Source : Congrès spécialiste