1900 et 1908
Les premiers descripteurs (Edvard Ehlers en 1900 et Henri-Alexandre Danlos en 1908), dermatologues, ont principalement insisté sur les manifestations cutanées de cette maladie génétique diffuse du tissu conjonctif et leurs successeurs ont enfermé la description clinique de ce syndrome dans un cadre restrictif cutanéo-articulaire, négligeant les symptômes pourtant les plus générateurs de situations de handicap que sont les douleurs diffuses, la fatigue avec troubles de la vigilance parfois très importants, les troubles digestifs, respiratoires et urinaires. Mais aussi d’autres manifestations de la sphère ophtalmologique et ORL.
Une sous-estimation
L’incidence précise de la survenue des syndromes d’Ehlers-Danlos n’est pas connue mais la littérature retient les chiffres de 1/5 000 à 1/10 000 naissances. Les syndromes d’Ehlers-Danlos sont, actuellement, reconnus comme maladies rares avec une incidence de 1 pour 2000 à 10 000 naissances. Ces chiffres sont certainement sous-estimés, du fait de sa méconnaissance par le corps médical et de l’existence de nombreuses formes frustes ou latentes, principalement chez les hommes.
Le syndrome d’Ehlers-Danlos est une maladie génétique dont la transmission, est le plus souvent autosomique dominante.
Une clinique revisitée
Le diagnostic, repose sur l’examen clinique que nous avons personnellement fait chez plus de 600 patients, permettant ainsi d’enrichir le tableau clinique classiquement décrit et repris dans les enseignements aux étudiants.
Nous avons retenu pour établir le diagnostic la coexistence, des manifestations cliniques suivantes :
- l’hypermobilité,
- la fragilité cutanée (troubles de la cicatrisation, lésions cutanées « faciles », vergetures…),
- les troubles proprioceptifs (difficultés de perception du corps et de contrôle des mouvements),
- les ecchymoses nombreuses et les hémorragies diverses (épistaxis, gingivorragies…)
- les douleurs (diffuses, polymorphes et souvent résistantes aux thérapies par voie générale ou locale),
- la fatigue et les troubles de vigilance,
- les troubles digestifs (constipation reflux),
- les troubles respiratoires (« blocages respiratoires », dyspnée).
Il n’existe pas, à présent, de test histologique, biologique ou génétique fiable permettant en pratique courante de faire le diagnostic qui repose sur un ensemble de constatations cliniques suffisantes pour le diagnostic différentiel et la mise en œuvre de la démarche thérapeutique et de réadaptation. De surcroît,
cette symptomatologie varie beaucoup d’un moment à l’autre de la vie d’un individu et entre deux personnes de la même famille. Cette variabilité dont on connaît maintenant quelques paramètres (climatiques, chocs violents, surmenage tissulaire par des mouvements répétés, événements endocriniens chez la femme) est une des caractéristiques même du syndrome.
Particularités dans la sphère ORL
Chez nos patients nous avons constaté la présence de manifestations de la sphère ORL qu’il nous a paru important de faire connaître auprès des médecins de cette spécialité mais aussi des autres pour une interprétation adaptée dans le contexte du syndrome d’Ehlers-Danlos et pour éviter les deux écueils habituels dans ce syndrome : la construction d’un diagnostic erroné et l’étiquette mal vécue de troubles psychosomatiques.
Nous avons, retenu les 74 dernières personnes examinées en mai 2010 pour réaliser une étude des manifestations de la sphère ORL et recueilli puis côté la sévérité selon une échelle validée que nous utilisons usuellement pour la mesure des situations des handicaps (dispositif handitest) les symptômes suivants : hypoacousie, hyperacousie, acouphènes, hyperosmie et vertiges (tableau 1).
0 : pas de manifestation
1 : manifestation légère ou rare
2 : manifestation de sévérité moyenne
3 : manifestation de sévérité importante
4 : manifestation de sévérité très importante.
Hyperacousie
L’hyperacousie est le symptôme que nous constatons le plus souvent (38 % des cas côtés 3 ou 4). Elle est très handicapante ; elle peut rendre intolérable les bruits familiers : ronronnement d’un dispositif de ventilation, passage d’un train ou d’un métro, télévision, concert, crissement d’un pneu. Elle réveille la personne la nuit et contribue un sommeil déjà difficile. Elle gêne la compréhension lorsque plusieurs personnes parlent en même temps. Elle déforme la perception de la musique qui est très bien reconnue mais entendue péniblement. Elle handicape la vie sociale. Par contre, elle permet de saisir le sens de ce qui se dit à voix basse ou à distance. Elle s’accompagne habituellement d’une prédisposition pour la musique. Nous avons suivi quatre personnes qui ont l’oreille absolue, plusieurs musiciens amateurs ou professionnels dont un chanteur d’opéra et une professeur de chant. On a dit de Paganini qu’il avait un syndrome d’Ehlers-Danlos, ce qui expliquerait, peut-être, qu’il ait composé des morceaux difficiles à jouer si l’on n’a pas la dextérité des doigts qui accompagnent le syndrome.
Hypoacousie
L’hypoacousie peut être majeure (nous avons observé trois cas de surdité totale et brusque définitifs) : le plus souvent, hypoacousies transitoires et variables en intensité d’une fois sur l’autre. Elle peut porter avec prédilection sur certaines fréquences et gêner considérablement la vie sociale.
Acouphènes
Les acouphènes sont très fréquents (38 %), plutôt intermittents, plus rarement permanents. Leur intensité est généralement modérée. Ils sont souvent déclenchés par des bruits perçus comme violents (voir tableau 2 : Fréquence des acouphènes chez 74 patients).
Hyperosmie
L’hyperosmie est un symptôme qui peut être utile (deux de nos patientes sont d’excellentes taste-vins, un bon nombre perçoivent remarquablement les odeurs de brûlé ou les fuites de gaz et apprécient les bons plats et les parfums. Par contre, comme pour le son, la perception des odeurs et des goûts est parfois perturbée, déformée jusqu’au désagrément.
Les vertiges positionnels sont habituels, survenant lors des mouvements de la tête, notamment au lever et au coucher. Ils sont dus à une hyperexcitabilité des cellules sensibles des canaux semi-circulaires.
D’autres manifestations de la sphère ORL peuvent être présentes. Les difficultés de déglutition avec fausses routes sont présentes dans 28,8 % des cas que nous avons observés. Il faut mentionner aussi les dysphonies pour lesquelles nous n’avons pas de données chiffrées.
Discussion et conclusion
Le mécanisme commun à ces troubles nous semble être le comportement biomécanique particulier du tissu conjonctif de cette région qui exacerbe les réactions (au niveau du système vestibulaire, acoustique ou olfactif) ou les atténue (au niveau de l’appareil acoustique, par exemple).
La présence de manifestations ORL constitue un appoint supplémentaire pour consolider le diagnostic de syndrome d’Ehlers-Danlos.
La constatation de ces symptômes, sans autre cause, doit faire évoquer le syndrome d’Ehlers-Danlos qui s’identifie cliniquement en présence des autres signes cardinaux.
Sur le plan médico-social, les hyper et hypoacousies mais aussi les vertiges, les acouphènes font partie des gênes fonctionnelles de ce syndrome qu’il faut évaluer pour apprécier, à travers leurs difficultés fonctionnelles, la totalité des situations de handicap rencontrées par ces personnes dans l’objectif de leur inclusion sociale.
Sur le plan médico-légal, un traumatisme violent, particulièrement lors d’un choc arrière en automobile, est responsable d’un déclanchement ou d’une aggravation du syndrome. Ceci implique la réparation intégrale de l’aggravation de l’état antérieur.Restent à proposer des traitements destinés à atténuer les effets handicapants de ces manifestations.
Travail soutenu par la Fondation de France
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