PAR LE Pr FRANÇOIS FEILLET*
LE DÉPISTAGE néonatal a débuté en France, dans les années 1970 avec l’introduction du dépistage de la phénylcétonurie (PCU) grâce à la possibilité de doser, par une méthode simple sur une simple goutte de sang déposée sur un carton buvard, la phénylalanine plasmatique à 3 jours de vie. Depuis cette époque, le dépistage a permis de traiter des milliers de nouveau-nés qui étaient atteints de l’une des cinq maladies actuellement dépistées en France : la PCU, l’hypothyroïdie, l’hyperplasie congénitale des surrénales, la drépanocytose et la mucoviscidose.
Depuis une vingtaine d’années, la technique de la spectrométrie de masse en tandem (tandem MS) a permis d’étendre le dépistage à de nombreuses maladies héréditaires du métabolisme. En effet, l’analyse des acides aminés et des acylcarnitines (dosage de dérivés du métabolisme des acides gras et de certains acides organiques) par cette technique permet de dépister plusieurs dizaines de maladies métaboliques (y compris la PCU) sur cette même goutte de sang déposée sur le carton Guthrie qui sert au dépistage.
Ce dépistage étendu aux maladies métaboliques a été mis en place dans de nombreux pays. Les pays ayant la plus grande expérience étant les États-Unis, l’Australie et l’Allemagne. Il y a néanmoins une grande variabilité dans le nombre de maladies dépistées d’un pays à l’autre. Cela est dû au fait que les critères OMS de Wilson et Jungner, qui définissent les conditions pour qu’un dépistage néonatal d’une maladie soit justifié, sont interprétés de façon différente d’un pays à l’autre pour une même maladie. Ces critères stipulent que la maladie doit : avoir une fréquence suffisante, être traitable et dépistée à un stade présymptomatique, représenter un vrai problème de santé, avoir une histoire naturelle connue, disposer d’une méthode de détection acceptable et au coût proportionnel aux bénéfices ; enfin, le dépistage doit être assuré dans la durée.
L’une de ces maladies, le déficit en medium-chain acyl-CoA déshydrogénase ou déficit en MCAD, est dépistée dans la totalité des pays où cette méthode de dépistage est mise en place car elle seule répond à l’ensemble des critères ci-dessus. Elle est aussi fréquente que la PCU, elle possède un excellent marqueur qui permet son dépistage en période néonatale et il existe un traitement simple (éviction du jeûne et adaptation du régime en cas de maladie intercurrente) et efficace qui permet d’améliorer radicalement l’histoire naturelle de cette maladie qui, si elle n’est pas prise en charge, comporte un risque important d’arrêt cardiaque.
Les autres maladies dépistables peuvent être classées en trois groupes. Les pathologies dont la prise en charge va radicalement modifier l’histoire naturelle (acidurie glutarique de type I, leucinose, tyrosinémie de type I…), les maladies dont la prise en charge va améliorer l’histoire naturelle mais ne va pas modifier radicalement le devenir de l’enfant (acidémies organiques, en particulier) et les maladies dont le dépistage ne sera d’aucun bénéfice pour l’enfant car il n’existe pas à ce jour de traitement efficace disponible (hyperglycinémie sans cétose, notamment).
Comme la technique de tandem MS permet de détecter l’ensemble de ces maladies sur la même analyse quand elle est utilisée pour le dépistage du déficit en MCAD, le choix de dépister telle ou telle autre maladie va relever d’une analyse des critères ci-dessus, maladie par maladie.
Ainsi, le nombre de maladies dépistées varie très sensiblement d’un pays à l’autre. Si les États-Unis se sont mis d’accord sur un panel de 29 maladies, le Royaume-Uni, après une étude systématique de chacune des maladies dépistables n’en a retenu qu’une en 2004 (le déficit en MCAD) et est en train de discuter l’implémentation du dépistage de quelques autres pathologies (moins de dix) dans leur programme.
La France est très en retard.
Le dépistage des maladies héréditaires du métabolisme n’est toujours pas réalisé dans notre pays. La Haute Autorité de santé (HAS) a été saisie du problème il y a quelques années, et un premier rapport est paru en juin 2011. Il recommande de mettre en place le dépistage du déficit en MCAD et de la PCU en France en passant d’une technique de fluorimétrie (actuellement utilisée pour le dépistage de la PCU) à une technique de spectrométrie de masse en tandem qui permettra de dépister ces deux pathologies. Le rapport préconise également une modification de la structuration du dépistage en France, qui est actuellement réalisé dans 22 centres régionaux alors que la mise en place de la spectrométrie de masse en tandem permettrait de ramener le nombre centres à entre 5 et 15 sur l’ensemble du territoire, et donc de réduire le coût global du dépistage). Enfin, cette restructuration imposera de mettre en regard des enfants dépistés, les moyens nécessaires pour assurer leur prise en charge, en se fondant sur la structuration actuelle des centres de référence et de compétence des maladies héréditaires du métabolisme qui sont répartis sur l’ensemble du territoire.
Le second volet du travail de la HAS sur le dépistage néonatal (qui n’a pas débuté à ce jour) évaluera la pertinence de l’extension du dépistage par spectrométrie de masse en tandem aux autres erreurs innées du métabolisme qui peuvent être dépistées en même temps que le déficit en MCAD. La constitution de ce panel est une étape cruciale, car elle va s’appuyer sur une interprétation des critères initiaux qui conditionnera l’esprit de ces nouveaux dépistages néonatals, en particulier si le choix d’y inclure des maladies non traitables était retenu. On peut remarquer que les expériences des autres pays ne vont pas dans ce sens et que certains de ceux qui avaient mis en place un dépistage maximaliste (on dépiste tout ce qui est dépistable) ont tendance à diminuer le nombre de maladies à dépister en ne retenant que celles pour lesquelles un traitement est disponible (même s’il n’est pas complètement curatif).
Le travail de la HAS est donc essentiel, et on peut espérer qu’après ces derniers temps dévolus aux élections politiques, on puisse en revenir à des temps de décision et d’action où la France mettra en place ces nouveaux dépistages. Bien sûr, cette évolution nous obligera à modifier la structure actuelle du dépistage en France, ce qui ne sera pas facile, mais n’oublions pas qu’elle permettra surtout d’augmenter le nombre d’enfants qui en bénéficieront et qui viendront s’ajouter aux milliers d’enfants (et de familles) qui n’auront pas eu à souffrir de ces maladies si l’on parvient à les prendre en charge le plus tôt possible.
* Centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme, Nancy.
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