C’EST EN 2006 qu’un locus a été identifié sur le chromosome 9 dans plusieurs familles atteintes de l’association d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d’une démence frontotemporale (DFT). De nombreuses équipes internationales se sont alors engagées dans la quête du gène responsable de cette transmission autosomique. En 2011, deux équipes indépendantes, celle de Rosa Rademakers de la Mayo Clinic et celle de Bryan Traynor du National Institutes of Health, publient leurs résultats en même temps sur une découverte majeure : l’implication d’un gène au nom compliqué, le gène C9ORF72.
L’anomalie génétique est inhabituelle et c’est la raison pour laquelle il a fallu autant de temps pour la détecter. Il s’agit de la répétition de six bases (GGGGCC) qui ont la particularité de se situer dans des régions non codantes du gène. L’expansion de cet hexanucléotide peut atteindre plusieurs centaines de motifs, jusqu’à 1600, alors qu’elle est inférieure à 24 chez les sujets sains. Il faut rappeler que des répétitions de séquences de nucléotides, différentes de celle du gène C9ORF72, sont décrites dans d’autres affections neurologiques comme la maladie de Huntington, les atrophies cérébelleuses dominantes et la maladie de Kennedy où il existe une répétition de triplets.
Les mécanismes qui rendent cette anomalie génétique pathogène ne sont pas définis actuellement. La fonction du gène C9ORF72 n’est pas connue. L’expansion d’hexanucléotides étant située dans une partie intronique du gène, elle n’est donc pas traduite au niveau de la protéine. Une conséquence de la mutation pourrait être une perturbation des ARN. On a montré la présence d’agrégats nucléaires d’ARN au sein de la moelle épinière et du cortex frontal chez des patients présentant cette anomalie génétique. On ne sait toutefois pas si ce sont vraiment ces agrégats qui sont pathogènes, par exemple en séquestrant des facteurs de transcriptions. Il s’agit donc d’une histoire à suivre et l’on peut s’attendre à une avalanche de publications dans ce domaine. Beaucoup d’espoirs se fondent sur la mise au point future d’un modèle murin transgénique.
Dans les formes sporadiques aussi.
La prévalence de cette anomalie génétique est importante. Elle varie suivant les séries, mais le gène C9ORF72 serait impliqué dans plus de 10 % des formes familiales de DFT pure dans 24 à 46 % des formes familiales de SLA pure et dans plus de 80 % des formes familiales de DFT-SLA. Le phénotype des formes familiales de SLA liées à ce gène se caractérise par un début plus précoce de cinq ans en moyenne et une progression plus rapide du handicap. Un point important est qu’elle est retrouvée également dans un pourcentage non négligeable de formes sporadiques, 8 % dans une série française récente publiée par Stéphanie Millecamps (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière). On voit donc que la frontière entre des formes familiales de SLA et les formes sporadiques n’est peut-être pas aussi tranchée qu’on le pensait. Un autre enseignement qu’a apporté cette découverte est de renforcer l’idée qu’il existe un continuum entre la SLA et certaines DFT. Pour encore compliquer les choses, le gène C9ORF72 pourrait également être impliqué, mais de façon certainement beaucoup plus mineure, dans d’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson.
Questions éthiques
Cette découverte a des conséquences importantes pour la pratique neurologique mais pose aussi de nombreuses questions, y compris dans le champ de l’éthique. La recherche d’expansions d’hexanucléotides dans le gène C9ORF72 est désormais possible à visée diagnostique dans des laboratoires de génétique. Elle est certainement tout à fait indiquée chez un patient présentant une SLA et/ou de DFT qui a des antécédents familiaux d’une de ces deux pathologies. La recherche systématique de cette mutation dans les formes sporadiques, qui pourrait se justifier au regard de sa fréquence non négligeable, reste plus problématique. Il faut être conscient des conséquences qu’est susceptible d’avoir, dans une pathologie déjà très grave, l’annonce d’un facteur génétique entraînant un risque pour les autres membres de la famille. Cette recherche ne peut être réalisée que chez un patient clairement informé des répercussions possibles d’un résultat positif. La question du diagnostic présymptomatique est encore plus délicate. La découverte de cette anomalie génétique est encore récente et nous avons besoin de progresser dans la connaissance notamment de sa pénétrance qui fait encore débat. Il est en outre impossible de prédire si le patient va développer une SLA, une DFT ou l’association des deux pathologies. Le diagnostic présymptomatique ne peut se concevoir que dans un cadre bien précis tel que cela a été mis en place dans la maladie de Huntington, où il existe un entretien psychologique préalable et une période de réflexion laissée au sujet avant de réaliser le test. Ce qui est certain c’est que les neurologues doivent savoir qu’ils vont être confrontés à des demandes dans la SLA et les DFT. Afin de les guider dans ces situations difficiles, il est indispensable qu’un minimum de recommandations, ou au moins de conseils, soit validé. C’est un chantier qu’il va falloir engager pour parvenir à une réflexion multidisciplinaire associant médecins, généticiens, psychologues, philosophes, juristes et spécialistes des questions d’éthique médicale.
INSERM U678 et département des maladies du système nerveux, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
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