DANS le discours qu’il prononce le 11 décembre 1965, lors de la remise du Prix Nobel, François Jacob évoque le laboratoire d’André Lwolf à l’Institut Pasteur où il est admis en octobre 1950 : « J’ai eu la chance d’arriver au bon endroit et au bon moment. Au bon endroit, parce que là, dans les combles de l’Institut Pasteur, un nouvel état d’esprit était entrain de naître, fait d’enthousiasme, de critique lucide, de non conformisme et d’amitié. Au bon moment, parce qu’alors la biologie, en pleine effervescence, changeait ses modes de pensée, découvrait dans les micro-organismes un matériel nouveau et simple et se rapprochait de la physique et de la chimie. Un instant rare où l’ignorance se transforme en vertu ».
François Jacob a 30 ans. Son rêve de devenir chirurgien s’est brisé en juin 1940 lorsqu’il doit, au bout de sa deuxième année de médecine, quitter la France pour rejoindre Londres et les Forces françaises libres. Grièvement blessé lors de la campagne de Normandie en août 1944, il est hospitalisé pendant sept mois à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. « À la fin de la guerre, j’étais en morceau, avec des éclats d’obus dans les membres, un bras et une jambe qui ne fonctionnaient plus. Pendant cinq ans je n’ai pas su ce que j’allais devenir. Je n’avais plus de goût à rien », raconte-t-il au mensuel « Biofutur ». Incapable de pratiquer la chirurgie, il complète son cursus médical en 1947 et se tournevers la biologie.
Un couloir pour deux.
André Lwolf l’accueille alors dans ce qu’il appelle son « grenier », le service de Physiologie microbienne créé en 1938 dans un local mansardé de l’ancien Institut de biochimie. « Exigu » et « inconfortable », le laboratoire a vu passer quantité de chercheurs venus du monde entier. François Jacob en fait une description : Il « était traversé par un long couloir où tous se rencontraient pour discuter sans fin expériences et hypothèses. À l’une de ses extrémités, l’équipe de Jacques Monod ajoutait des ß-galactosides à des cultures de bactéries pour induire la synthèse de ß-galactosidase ; à l’autre extrémité, André Lwolff et ses collaborateurs baignaient d’ultraviolets des cultures de bactéries lysogènes car ils venaient de découvrir que cette opération induisait la synthèse du bactériophage. Chacun "induisait" à sa manière, convaincu que les deux phénomènes n’avaient rien de commun, excepté le nom ».
Jacques Monod avait intégré le « grenier » un peu plus tôt en 1945, à 35 ans. Il s’y rendait déjà souvent, pour rompre son isolement et partager les résultats des travaux qu’il menait à la Faculté des sciences de la Sorbonne, avec André Lwoff. Ce dernier racontera plus tard : « Il était très malheureux, Jacques Monod, parce qu’il était aulaboratoire de zoologie », une toute petite pièce ouverte sur une galerie peuplée d’animaux empaillés où il travaillait seul à sa thèse et « personne ne s’intéressait à ce qu’il faisait ». Une expédition au Groënland aux côtés de Paul-Émile Victor en 1934 puis un stage de deux ans à l’Institut de technologie de Californie lui permettront de s’échapper loin de la Sorbonne avant que n’éclate la guerre qui le verra aussi s’engager dans la résistance. En décembre 1940, Lwoff lui suggère que le phénomène de la « diauxie » qu’il avait observé et qui faisait l’objet de ses travaux de thèse avait sans doute un lien avec « l’adaptation enzymatique ».
L’induction enzymatique.
Jacques Monod s’intéressait alors à la nutrition et à la croissance des cultures bactériennes. Mises en présence de sucres, celles-ci réagissaient différemment selon le mélange choisi : la croissance de certaines d’entre elles au lieu d’être uniformément exponentielle était divisée en deux phases séparées par un temps d’arrêt complet. Il n’aura de cesse de vérifier l’intuition de Lwoff. Ce qu’il fit chez le colibacille - la souche K12 d’Escherichia coli, pour la première fois utilisée à Pasteur, deviendra un des outils majeurs de la biologie moléculaire -, en choisissant d’étudier le système lactose. Lorsqu’une bactérie est placée dans un milieu contenant deux sucres, le glucose et le lactose, elle utilise d’abord le glucose puis quand il n’y a plus de glucose, le lactose. Et c’est la présence de lactose qui provoque la synthèse d’une enzyme (la ß-galactosidase) responsable de l’utilisation décalée des deux sucres. Plutôt que d’employer le terme d’adaptation enzymatique, Jacques Monod préfère celui d’induction enzymatique et montre que l’inductibilité est génétiquement déterminée. Une deuxième enzyme, la perméase, sera découverte plus tard, elle permet l’entrée du lactose dans la bactérie, elle aussi n’est produite que si le milieu contient du lactose ou un analogue du sucre.
L’arrivée de François Jacob en 1950 sera déterminante. Ce dernier poursuit les travaux entrepris par André Lwoff sur les bactéries lysogènes qui lorsqu’elles sont infectées par un bactériophage, virus spécifique des bactéries, peuvent se multiplier indéfiniment en perpétuant le génome du virus, intégré à leur propre génome. Ces bactériophages dit « tempérés » pouvaient rester silencieux au sein de leur hôte pendant plusieurs générations mais l’équilibre pouvait être rompu sous l’action de certains facteurs tels que le rayonnement ultraviolet comme le montrèrent Lwoff et ses collaborateurs. Lwoff appela « prophage », la forme non infectieuse du bactériophage. François Jacob cherchait à élucider, à partir d’expériences sur E. Coli, les mécanismes biochimiques et génétiques du phénomène. Le concept de gène, fragment d’ADN portant l’information génétique dans chaque cellule, était encore récent. Lorsque Watson et Crick découvrent en 1953 la structure de la molécule d’ADN, un dogme prévaut : « Un gène - une protéine (donc une enzyme) ».
L’insight de l’été 1958.
Cette année-là, Jaques Monod partage encore les locaux du service dirigé par André Lwoff, à l’un des bouts du couloir, mais il est désormais chef du nouveau service de biochimie cellulaire. Il quittera le « grenier » en 1955. La collaboration avec François Jacob commençera vraiment peu après son départ à l’étage inférieur : « Jusque-là, nous avions eu de fréquentes discussions (...) mais nous n’avions guère eu l’occasion de faire des expériences en commun ».
Ils imaginent alors la fameuse expérience du PyJaMa qui établit les bases du modèle opéron. Initialement, l’expérience prit d’abord le nom de Pa-Ja-Mo, du nom des trois chercheurs qui l’ont conçu (Pardee, Jacob, Monod) mais ceux-ci avec humour le détournèrent au profit de PyJaMa. C’est en préparant une communication pour la prestigieuse conférence Harvey à l’été 1958 que Jacob qui voulait présenter ses travaux mais aussi ceux effectués par Jacques Monod eut conscience de la similitude des mécanismes en jeu dans les deux systèmes.
À partir de cet « insight », le modèle se mit peu à peu en place. Jacob et Monod vont bousculer les représentations de l’époque en introduisant pour la première fois la notion de gènes régulateurs. Dans le modèle opéron, les gènes sont organisés à la chaîne sur le chromosome de la bactérie. S’il existe bien deux gènes de structure (Y et Z) permettant la synthèse de la perméase et de la ß-galactosidase, la clé de voûte du système est un troisième gène, le gène régulateur (gène I). Il produit une petite protéine, le répresseur qui, en l’absence de lactose, inhibe la synthèse de la ß-galactosidase. Lorsque le lactose est présent, il se fixe sur le gène régulateur qui ne peut plus inhiber la synthèse de la ß-galactosidase et peut être utilisé comme source d’énergie par la bactérie. Pour la première fois, des travaux montraient que les gènes ne s’exprimaient pas de manière linéaire mais étaient activés ou réprimés en fonction des besoins de l’organisme. La science des régulations était née. L’impact sera considérable. Watson et Crick reçurent le prix Nobel en 62, dix ans après leur découverte. Lwoff, Monod et Jacob n’attendrons, eux, que quatre petites années.
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