Grand Prix de l'Académie des Sciences (ou prix Jean-Pierre Lecocq) en 2014, le Breakthrough Prize in Life Sciences (BPLS), le prix de médecine des fondateurs de Facebook, Google et 23andMe en 2015, prix Princesse des Asturies, le prix espagnol le plus prestigieux, en 2015, prix Gairdner en 2016, l'une des antichambres du Nobel, et enfin le dernier en date le prix L'Oréal-Unesco pour les femmes et la science le 24 mars 2016.
Depuis la publication en 2012 de la découverte en collaboration de CRISPR-Cas9 dans « Science », les récompenses s'amoncellent dans l'escarcelle des deux chercheuses, la Française Emmanuelle Charpentier, aujourd'hui à l'Institut Max Planck de Berlin, et l'Américaine Jennifer Doudna de l'université de Californie à Berkeley. La « folie CRISPR-Cas9 » (« CRISPR Craze ») annoncée en 2013 en couverture du même magazine scientifique de référence n'a fait que gagner de l'ampleur.
Un peu comme « un logiciel de traitement de texte », selon les termes du Pr Jennifer Doudna, CRIPSR-Cas9 permet d'éliminer et d'ajouter des fractions de matériel génétique avec précision. Elle peut être utilisée pour neutraliser des gènes, corriger des maladies génétiques ou introduire des gènes pour créer des modèles animaux. La technologie peut être utilisée comme un médicament direct, estime le Pr Charpentier.
Une microchirurgie du génome
Cet outil d'édition du génome est une « petite » révolution en génétique. Simple, extrêmement efficace et peu coûteux, CRISPR-Cas9 bat à plate couture ses prédécesseurs dans la « microchirurgie » du génome, les nucléases à doigt de zinc (1996) et les TALENs (2010). « C'est la première technique d'édition du génome démocratique », a indiqué le Pr Charpentier lors d'une séance exceptionnelle à l'Académie des Sciences le 22 avril à l'occasion du prix L'Oréal-Unesco.
Le potentiel d'un tel outil génétique va au-delà de ce que les scientifiques pouvaient en attendre. Et on ne mesure pas encore très bien jusqu'où il pourra mener. Emmanuelle Charpentier cite à ce sujet Jacques Monod qui, dans « Le Hasard et la nécessité » en 1970, affirmait que « non seulement la génétique moléculaire moderne ne nous donne aucun moyen d'agir sur le patrimoine héréditaire pour l'enrichir de traits nouveaux, pour créer un "surhomme" génétique, mais elle révèle la vanité d'un tel espoir : l'échelle microscopique du génome interdit pour l'instant et sans doute à jamais de telles manipulations ».
Un enseignement tiré des bactéries
C'est une ironie de l'histoire que CRISPR-Cas9 trouve ses origines dans la recherche fondamentale sur les bactéries et de leur mode de défense contre les phages. « C'était à l'époque "unfashion", se souvient la chercheuse française, qui avoue s'exprimer plus facilement en anglais aujourd'hui après avoir quitté la France et l'Institut Pasteur pour une carrière internationale aux États-Unis, en Suède et en Allemagne. CRISPR, c'est le système immunitaire le plus simple chez les bactéries. Environ 50-60 % d'entre elles ont ce système adaptatif. Par chance, j'ai travaillé sur Streptococcus pyogenes, une espèce où le système est présent à 90 % de façon exceptionnelle ».
Cette nouvelle technologie a beaucoup d'applications en thérapie humaine avec des perspectives inédites de thérapie génique, de thérapie cellulaire, d'immunothérapie mais aussi dans les domaines de l'agriculture, et des biotechnologies. Le Pr Emmanuelle Charpentier a consacré beaucoup de temps à apprendre à d'autres scientifiques à se servir de la technologie CRIPSR-Cas9. Ce qui explique que son exploitation se soit répandue si vite.
Cela ouvre par exemple la possibilité de supprimer des gènes défaillants à l'origine de pathologies, par exemple en intervenant sur les cellules pulmonaires chez des enfants atteints de mucoviscidose, ou sur les muscles de patients souffrant de dystrophie musculaire.
Cliver mais aussi activer, amplifier ou marquer
CRIPSR-Cas9 permet de cliver mais aussi d'activer, d'amplifier ou de marquer. Les applications en médecine humaine consistent au développement de thérapeutiques directes ex vivo ou in vivo, mais aussi de mieux comprendre les fonctions des gènes, de créer des modèles animaux plus performants et de trouver de nouvelles cibles thérapeutiques.
Comment introduire la technologie dans les cellules et les tissus qui en ont besoin ? C'est, de l'avis du Pr Charpentier, « le grand défi d'aujourd'hui pour utiliser cet outil très rapidement ». Son application en thérapie humaine est envisagée ex vivo ou in vivo. « On peut attendre les premiers essais cliniques d'ici quelques années », estime Emmanuelle Charpentier.
Une administration directe est potentiellement possible car la demi-vie est très courte, ce qui évite les mauvais ciblages, et la matrice introduite pour la réparation rapide. Quant à la toxicité, le risque principal est d'entraîner des mutations non voulues dites « off targets ». « Quand le système est exprimé à un haut niveau, il finit par travailler de façon non spécifique, d'où l'intérêt de rester à un bas niveau », précise Emmanuelle Charpentier.
La technique a d'ores et déjà été utilisée pour sauver un enfant ayant une leucémie incurable et pour améliorer la vue d'un patient souffrant de rétinite pigmentaire. L'Institut Crick de Londres exploite depuis janvier 2016 la technique pour étudier les gènes en cause dans l'infertilité et les fausses couches. Si les travaux sont limités à des fins de recherche, cela ne va pas sans poser des questions éthiques.
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