Génétique des cancers

Concept et techniques arrivent à maturité

Publié le 17/06/2011
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« L’ÉVOLUTION – si ce n’est la révolution – à laquelle nous assistons a commencé avec la découverte des oncogènes, versions mutées des gènes à l’origine du déclenchement et/ou de la progression tumorale », rappelle le Dr Olivier Delattre. C’était à la fin des années 1970. Cette découverte a d’ailleurs été récompensée par le prix Nobel de médecine attribué à J. Michael Bishop et Harold E. Vamus en 1989. Néanmoins, les travaux sur les oncogènes sont longtemps restés cantonnés à la recherche fondamentale et il a fallu attendre le début des années 2000 pour que leurs applications cliniques s’imposent.

Le premier exemple a été celui de la leucémie myéloïde chronique avec l’identification du rôle central d’une mutation génique, la translocation à la jonction des chromosomes 9 et 22, qui crée le gène de fusion bcr-abl ou chromosome de Philadelphie codant pour une protéine chimérique BCR-ABL anormale dotée d’une activité tyrosine kinase. Il a été démontré que le chromosome de Philadelphie est à lui seul capable de transformer les cellules normales. Partant de cette découverte, une molécule capable de bloquer cette kinase, l’imatinib, qui une activité remarquable sur la protéine BCR-ABL, a été mise au point. La preuve d’un nouveau concept a ainsi été apportée : une drogue peut être efficace sur un oncogène donné. L’ère des thérapies ciblées était ouverte.

Des techniques de moins en moins chères.

Deux événements se sont ensuite conjugués : les industriels ont développé des molécules ciblant des protéines anormales, en particulier des inhibiteurs de tyrosine kinase et, parallèlement, l’évolution des techniques a rendu possible la caractérisation moléculaire de tumeurs de plus en plus nombreuses. Les techniques de génétique moléculaire ont fait des progrès considérables et peuvent d’ores et déjà être réalisées sur des séries d’échantillons de centaines de patients. Ces grandes séries ont bien entendu diminué les coûts.

« Il a fallu 20 ans et plusieurs milliards de dollars pour séquencer le génome humain ; le séquençage des tumeurs coûte aujourd’hui environ 10 000 euros et devrait continuer à baisser jusqu’à moins de 1 000 euros », explique Olivier Delattre. Ces techniques deviennent ainsi compatibles avec une prise en charge clinique.

Un accès sur l’ensemble du territoire.

L’INCa a anticipé cette évolution et a mis en place, depuis 3-4 ans, des plates-formes de génétique moléculaire dont l’objectif est de pouvoir donner accès à ces techniques, sur l’ensemble du territoire, à tout patient susceptible de recevoir une thérapie ciblée. Actuellement, il ne s’agit pas du séquençage du génome entier, mais de la mise en évidence des mutations identifiées comme responsables d’un certain nombre de cancers et accessibles à une thérapie ciblée ou de la recherche d’un marqueur utile pour prévoir la réponse à ce type de traitement. C’est le cas, par exemple, de la mutation du gène k-ras qui rend inefficace chez les patients atteints d’un cancer du côlon et qui en sont porteurs l’inhibition du récepteur de l’EGF. Aujourd’hui, grâce à la mise en place de ces plates-formes qui fonctionnent en réseau, tout patient chez lequel un diagnostic de cancer du côlon métastatique a été porté doit faire l’objet d’une analyse de k-ras avant la mise en route du traitement pour déterminer s’il bénéficiera ou non d’une thérapie ciblée par un inhibiteur de l’EGFR. Dans le cadre du cancer du poumon, ce sont, au contraire, des mutations rendant les tumeurs sensibles aux inhibiteurs de l’EGFR qui ont été identifiées. Elles concernent environ 10 % de ces cancers, mais les recherches se poursuivent pour trouver d’autres cibles. Une mutation obtenue par fusion génique aml4-alk a ainsi été découverte dans un petit pourcentage de cancers pulmonaires qui se sont donc révélés sensibles à des inhibiteurs d’ALK en cours d’évaluation. « Si on avait essayé ces médicaments dans les cancers du poumon « tout-venant » on aurait pu passer à côté de l’efficacité de ces classes thérapeutiques », observe Olivier Delattre. D’ailleurs, actuellement, la caractérisation de plus en plus fine et de plus en plus exhaustive des tumeurs modifie profondément les essais cliniques, poursuit-il.

La liste des thérapies ciblées s’allonge, comme on vient encore de le constater lors du congrès de l’ASCO, avec notamment l’arrivée des inhibiteurs de BRAF qui ouvrent un espoir inédit pour les patients atteints d’un mélanome métastatique.

L’évolution des techniques devrait se poursuivre et permettre, à terme, non plus de tester un ou plusieurs gènes, mais de faire le séquençage complet de la tumeur afin de repérer la ou les cibles sur laquelle ou sur lesquelles il est possible d’agir. On s’achemine ainsi vers des traitements de plus en plus individualisés.

D’après un entretien avec le Dr Olivier Delattre, unité de génétique et biologie des cancers, Institut Curie, Paris.

 Dr MARINE JORAS

Source : Bilan spécialistes