La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) est la plus fréquente des myopathies de l’enfant. Elle touche un garçon sur 3 500. Dans cette maladie récessive liée à l’X, des mutations sur l’un des plus longs gènes de l’organisme affectent la synthèse de dystrophine, une protéine clé dans l’homéostasie des cellules musculaires. L’absence de dystrophine conduit à un phénomène de nécrose régénération au sein du muscle où progressivement la fibrose et l’infiltration adipocytaire remplacent le muscle fonctionnel.
Essais thérapeutiques de pharmacogénétique : où en est-on ?
De nombreuses difficultés émaillent la recherche d’un traitement : la dystrophine n’est pas une protéine circulante qu’il suffirait d’injecter : elle interagit au cœur des cellules musculaires ; le très grand gène de la dystrophine, ne peut être réintroduit par un virus… Pour tenter d’améliorer le fonctionnement du gène muté de la dystrophine les essais actuels dans la DMD se concentrent sur deux approches principales :
La première est le filtrage ou by-pass du codon stop. Environ 10 % des enfants souffrant de DMD ont une mutation ponctuelle conduisant à la production d’un codon stop inapproprié qui arrête prématurément la lecture du gène. Eux seuls peuvent espérer bénéficier de l’Ataluren (PTC124). Cette molécule de translecture du gène permet aux ribosomes de bypasser ce codon stop inapproprié et de poursuivre la traduction de l’ARN messager en dystrophine. Même si la translecture n’aboutit que dans 5 à 10% des cellules musculaires, elle restitue suffisamment de dystrophine pour espérer stabiliser la fonction des muscles.
La réanalyse de l’essai international de phase III d’Ataluren versus placébo promue par PTC Therapeutics -qui n’avait pas permis de conclure à une efficacité du fait d’un design large et d’une grande hétérogénéité de prise en charge et de sévérité de la maladie- suggère qu’en traitant les enfants précocement, lorsque le périmètre de marche est encore correct, bien avant la perte de marche, on peut retarder celle-ci. Une nouvelle étude internationale de phase III Ataluren versus placebo débute sur un an avec cette fois-ci des critères d’inclusion stricts. L’Ataluren atteint les muscles respiratoires et cardiaques : serait-il actif sur la cardiomyopathie et l’insuffisance respiratoire, évolution plus tardive et inéluctable de la maladie ? Une démarche internationale essaie d’obtenir une étude observationnelle permettant aux enfants non inclus de bénéficier du traitement.
La deuxième approche, L’exon skipping ou saut d’exon, a pour principe de supprimer un exon déficient pour rétablir le cadre de lecture du gène de la dystrophine. Le vecteur est variable : un oligonucléotide (GSK, Drisapersen) ou un morpholino (Sarepta therapeutics, Eteplirsen). L’avantage de la technique est d’apporter une « réparation » sur-mesure. Elle en a aussi l’inconvénient : les faibles effectifs d’enfants susceptibles de bénéficier du même exon skipping rendent difficile toute mise en évidence d’un effet statistiquement significatif du traitement (stabilisation ou amélioration), d’autant que les essais sont en général réalisés sur une période très courte (1 an).
Les premières publications (1) ont établi la preuve de concept de faisabilité : grâce à la technique d’exon skipping, la protéine dystrophine peut apparaître dans le muscle d’enfants DMD qui n’en avaient pas. Les premières études en ouvert étaient encourageantes. De là à pouvoir montrer une amélioration ou une stabilisation versus placebo, les premiers résultats sont décevants. La seule large étude internationale versus placebo (GSK) n’a pas montré de différence significative entre les enfants traités et le groupe placebo sur le test de marche de 6 minutes à un an. « C’est une énorme déception (le traitement est coûteux et lourd : une injection sous-cutanée par semaine et contre placebo) mais elle était prévisible : elle reposait sur un seul critère (le test de marche à 6 minutes) et incluait des enfants trop hétérogènes en âge et en évolutivité de la maladie… » souligne le Pr Isabelle Desguerre.
On atteint ici la limite des essais : l’histoire globale de la maladie est connue (diagnostic : 3 à 4 ans ; perte de marche : de 8 à 12-13 ans ; début d’insuffisance respiratoire et cardiaque : 10-14 ans) mais pas les variations individuelles. Pour conclure à un effet quelconque d’un traitement, il faut pouvoir comparer les enfants, identifier des facteurs prédictifs d’évolution (2) et en particulier, savoir au moment où l’on donne un traitement si l’enfant est en poussée de la maladie ou en phase de stabilisation en plateau. Actuellement, on utilise le test de 6 minutes de marche. Le coupler à l’âge serait un minimum : la maladie n’évolue certainement pas de la même façon et à la même vitesse si pour un même périmètre de marche -par exemple 100 mètres à 6 minutes- l’enfant est âgé de 13 ans ou seulement de 8 ans…
Des progrès importants dans la prise en charge au quotidien
Des centres de prise en charge labellisés ont homogénéisé la prise en charge de la DMD et permis d’importants progrès ces dernières années. En traitant de façon précoce voire préventive, les complications, on améliore la survie et probablement aussi la qualité de vie des enfants. Ainsi, la surveillance cardiaque et le traitement de la cardiomyopathie dès 10 ans retardent l’évolution vers l’insuffisance cardiaque et allongent la survie. La surveillance et la prise en charge systématique de l’insuffisance respiratoire à un stade précoce, notamment par ventilation non invasive, augmente la survie de 10 ans en moyenne ! Quant à la prise en charge orthopédique, variable selon les pays, elle est en France proactive avec une chirurgie orthopédique précoce vers 12-13 ans, pour ne pas laisser la scoliose évoluer.
L’utilisation des corticoïdes (3) (4) à la dose de 0,75 mg/kg/j dès 6 ou 7 ans retarde l’âge de perte de marche (environ 18 mois) et en limite les conséquences orthopédiques. Les Anglo-Saxons les utilisent largement. En France, on instaure volontiers une corticothérapie tout en restant très attentif à l’évolution de la balance bénéfices/effets secondaires (notamment prise de poids qui augmente la dépendance et ostéoporose). Les IEC (5) ont une place dans la prise en charge légitime en prévention de la cardiomyopathie mais semblent aussi intéressants sur le plan musculaire en raison de leur action sur la voie du TGF bêta : maintien de l’homéostasie, entretien de la trophicité du muscle, limitation de la fibrose. Un point important, car progressivement l’installation de la fibrose musculaire en elle-même diminue le renouvellement des cellules souches musculaires, créant un cercle vicieux conduisant à la dégradation de la fonction musculaire.
Préserver le muscle pour gagner du temps
« Pour espérer qu’une dystrophine réexprimée dans le muscle puisse restaurer la fonction contractile en interagissant avec les autres protéines, il faut traiter quand le muscle n’est pas détruit ! Il est donc fondamental de préserver le muscle au maximum parallèlement aux essais thérapeutiques. Entretenir le muscle, le faire marcher le mieux possible, gagne du temps sur le moment où une thérapie plus ciblée sera disponible ! D’où l’importance d’améliorer encore la prise en charge quotidienne, mais aussi de rechercher des biomarqueurs en explorant les facteurs individuels (capacité de régénération musculaire, sensibilité inflammatoire, prédisposition aux formes sévères amenant à une perte précoce de la marche) pour pouvoir dépister et agir à un moment où on a une chance d’être efficace. Il est probable qu’il n’y ait pas de traitement miracle et que soient complémentaires l’entretien de la trophicité musculaire et la recherche pour chaque enfant malade d’une correction spécifique ciblée sur l’anomalie de son gène de la dystrophine. Le téléthon apporte de l’espoir et une aide indispensable à la recherche, mais avant une éventuelle guérison, la route est longue. À nous de veiller à ne pas susciter ou entretenir de faux espoirs », conclut le Pr Isabelle Desguerre.
D’après un entretien avec le Pr Isabelle Desguerre, Neuropédiatre, CHU Necker-Enfants Malades, Paris
(1) Cirak S. et al., Exon skipping and dystrophin restauration in patients with Duchenne muscular dystrophy after systemic phosphorodiamidate morpholino oligomer treatment: an open-label, phase 2, dose-escalation study. Lancet, 2011 vol. 378(9791) pp. 595-605
(2) Desguerre I. et al, Clinical heterogeneity of Duchenne muscular dystrophy (DMD): Definition of Sub-Phenotypes and Predictive Criteria by Long-Term Follow-Up. PLos ONE, 2 009 vol. 4 (2) pp. e4347
(3) McDonald CM. et al, The cooperative international neuromuscular research
group duchenne natural history study-A longitudinal investigation in the era of glucocorticoid therapy : design of protocol and the methods used. Muscle Nerve, 2013 vol. 48 (1) pp.32-54
(4) Henricson EK. et al, The cooperative international neuromuscular research group Duchenne natural history study- glucocorticoid treatment preserves clinically meaningful functional milestones and reduces rate of disease progression as measured by muscle testing and other commonly used clinical trial outcome measures. Muscle Nerve, 2 013 vol. 48 (1) pp.55-67
(5) Chabrier S. et al., Angiotensin-converting-enzyme inhibitors vs. steroids as first-line drug treatment in duchenne muscular dystrophy. Dev. Med. Child Neurol., 2 010 vol. 52 (11) pp. 1 067-8
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