« Je ne tiens jamais compte des résultats d’un examen que je n’aurais pas demandé », affirme Jean-Pierre Benhamou, ancien chef de service du service d’hépatologie, hôpital Beaujon, Clichy.
S’il est vrai que nous creusons notre tombe avec nos dents, il est aussi exact que nous creusons le trou de la sécurité sociale avec des prescriptions inutiles d’examens complémentaires voire supplémentaires. Ces examens sont parfois peu chers à titre individuel mais leur répétition et leur multiplication à l’échelon national augmentent sensiblement les dépenses de santé sans aucun retentissement sur la qualité de la prise en charge. À titre d’exemple, les dosages de l’amylasémie et de la lipasémie sont respectivement côtés 2,16 € et 2,43 €. Ils sont prescrits un nombre considérable de fois de façon parfaitement injustifiée sans aucun bénéfice pour la prise en charge du patient, voire en entraînant des effets délétères en raison de l’angoisse induite par des résultats à peine hors normes. Nous allons résumer ici ce qu’il faut faire et surtout, ce qu’il ne FAUT PAS FAIRE !
Faut-il encore doser…
...l’amylasémie ? NON ! Rappelons que, en 2001, les conclusions du jury de la conférence de consensus françaises sur la pancréatite aiguë ont clairement énoncé que, pour le diagnostic de la pancréatite aiguë, le dosage de la lipasémie seule était supérieur en termes de sensibilité et de spécificité au dosage de l’amylasémie, de l’amylasurie ou de toute combinaison de ces trois dosages. La sensibilité et la spécificité de la lipasémie sont respectivement de 82-100 % et 82-99 %. Dans ces conditions, le dosage de l’amylasémie devrait disparaître de la liste des dosages possibles.
...les isoenzymes de l’amylase ? NON ! La recherche de la cause de l’origine organique (salivaire ou pancréatique) sous-entend que la clinique n’oriente pas et que donc, le dosage a été fait chez un patient asymptomatique. Cette situation ne devrait plus être rencontrée dès lors que l’on ne demande plus les dosages d’enzymes pancréatiques en dehors du contexte d’une douleur abdominale aiguë évoquant une pancréatite aiguë. Si l’anamnèse et la biologie simple ne permettent pas de débrouiller une situation clinique, il est bien démontré que la réalisation d’une scanographie en urgence (éventuellement sans injection de produit de contraste en cas de doute sur la fonction rénale) est l’examen le plus rentable en termes d’efficacité, de rapidité et de coût, à l’exclusion de tout autre examen radiologique (radiographie sans préparation de l’abdomen ou échographie).
…la macroamylase ? NON ! Ici encore, cette question ne devrait plus être posée. Si malgré tout, on se la pose, la constatation d’une lipasémie normale et/ou d’une amylasurie normale suffit à faire porter le diagnostic de macroamylasémie.
… la lipasémie ? OUI ! La réponse est ici clairement « oui » à condition de réserver ce dosage au diagnostic positif de pancréatite aiguë. Autrement dit, ce dosage ne devrait être fait qu’une seule fois, au moment d’une douleur aiguë, pour affirmer le diagnostic de pancréatite aiguë.
Faut-il aussi doser la lipasémie...
...à plusieurs reprises au cours d’une pancréatite aiguë ou pour en évaluer la gravité ? NON !
La lipasémie n’a aucun intérêt comme élément de surveillance ou d’appréciation de la gravité d’une pancréatite aiguë. Elle n’est sortie comme facteur indépendant de la gravité de la pancréatite aiguë dans aucune étude.
... au cours de la pancréatite chronique ? NON ! Le dosage de la lipasémie au cours du suivi d’une pancréatite chronique (en dehors d’une période d’acutisation) n’a aucun intérêt.
...en cas de suspicion de cancer pancréatique ? NON ! Le dosage de la lipasémie a encore moins d’intérêt (si cela est possible) pour le diagnostic positif de tumeur du pancréas en dehors de l’exceptionnel carcinome à cellules acinaires.
...pour le dépistage du cancer pancréatique ? NON ! Le dosage de la lipasémie, pas plus que celui du Ca 19-9 d’ailleurs, n’a pas sa place en raison d’une absence totale de sensibilité dans cette situation.
...dans le cadre d’un check-up ? NON ! C’est cette situation qui amène une avalanche d’examen radiologique (scanner et IRM) et/ou endoscopique (échoendoscopie) après qu’une valeur discrètement anormale a été mise en évidence.
En dehors d’une affection pancréatique
L’élévation des enzymes pancréatiques en dehors d’une affection pancréatique est une situation fréquente appelée élévation chronique non pathologique des enzymes pancréatiques, ou encore syndrome de Gullo en raison du nombre incroyable d’articles publiés par son principal auteur sur cette situation sans aucun intérêt clinique. Ces articles semblent malheureusement légitimer le dosage des enzymes pancréatiques dans une population de malades asymptomatiques. À partir d’une série de 18 malades ayant une élévation chronique de l’amylase (1,4 à 4,1 fois la normale), de la lipase (1,5 à 7,7) et de la trypsine sérique (1,6 à 13,9) et après un suivi moyen de 8 ans (5 à 17 ans), les taux d’enzymes sériques restaient élevés de façon fluctuante et aucune affection pancréatique n’émergeait. L’électrophorèse de l’amylase montrait que celle-ci était d’origine pancréatique (critère d’inclusion). Aucune explication claire de cette élévation n’était trouvée mais trois membres de la même famille avaient cette « anomalie » suggérant un mécanisme génétique. Il n’y a aucune indication dans cette situation à chercher des anomalies génétiques (CFTR, SPINK1, trypsinogène cationique) ni à faire des examens d’imagerie coûteux et anxiogènes. Faute de mieux, ces travaux nous permettent de donner une explication « fondée sur les preuves » à nos malades et à nos correspondants inquiets.
Service de pancréatologie-gastroentérologie, pôle des maladies de l’appareil digestif, hôpital Beaujon, Clichy.
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