PAR LE Dr OLIVIER MOUTERDE*
MALADIE DE CROHN (MC) et rectocolite hémorragique (RCH) sont les deux principales maladies inflammatoires du tube digestif (MITD).
La MC peut atteindre l’ensemble du tube digestif, de la bouche (aphtose) à l’anus (abcès, fistules, parfois délabrants). Les lésions sont segmentaires et l’histologie est évocatrice quand elle montre des ulcérations transmurales avec des granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires. La RCH n’atteint que le côlon, de façon continue à partir de l’anus, l’histologie est évocatrice lorsqu’elle montre une atteinte muqueuse avec des micro-abcès cryptiques.
Dans les colites isolées, le diagnostic différentiel entre MC et RCH n’est parfois pas évident lors de la première ou des premières poussées, faisant parler de « colite indéterminée ». Les bilans paracliniques permettent le plus souvent de classer secondairement ces colites, la distinction ayant une importance sur la thérapeutique et le pronostic.
Les deux maladies partagent des hypothèses physiopathologiques communes : une prédisposition génétique portant probablement sur les interactions entre antigène de la flore et réaction immunitaire, sur laquelle se déclenche une cascade auto-immunitaire à tropisme digestif en réponse à un événement déclencheur non encore identifié.
L’épidémiologie montre une augmentation progressive de l’incidence des MITD dans les pays développés, faisant envisager un facteur environnemental. De nombreuses pistes ont été évoquées, allant de l’utilisation des réfrigérateurs à celle du dentifrice…
Les MITD de l’enfant se distinguent de celles de l’adulte par de nombreux points, même si elles partagent la même physiopathologie, certains symptômes, traitements et complications évolutives.
L’épidémiologie montre une augmentation nette de l’incidence des MITD, due en grande partie à une augmentation des formes pédiatriques. La pratique le confirme, les MITD surviennent plus tôt et plus fréquemment chez l’enfant depuis quelques années. La maladie de Crohn représente trois quarts des cas.
Les symptômes sont, pour certains, communs avec ceux des adultes : rectorragies, perturbations hépatiques en rapport avec une cholangite sclérosante associée (plutôt dans la RCH), aphtes et lésions anales (maladie de Crohn), amaigrissement, arthralgies, érythème noueux, douleurs abdominales, diarrhée. Certains signes sont spécifiques de l’enfant, le retard de croissance et de puberté. Ce retard peut précéder les autres signes, par exemple dans les formes iléales isolées de la maladie de Crohn où le retard diagnostique peut atteindre 1 ou 2 ans du fait de la discrétion des symptômes digestifs. Le suivi régulier des courbes de poids et de taille ainsi que de la maturation pubertaire est donc fondamental chez l’enfant pour dépister ces maladies comme de nombreuses autres. Des signes cliniques sont évocateurs en cas d’infléchissement de croissance isolé, surtout les lésions anales souvent asymptomatiques et non signalées par le patient (intérêt d’un examen complet), l’hippocratisme digital qui signe une évolution chronique. L’empâtement de la fosse iliaque droite est évocateur de maladie de Crohn. Le principal diagnostic différentiel dans les formes symptomatiques est la colite ou l’entérite infectieuse, qui usuellement guérit dans un délai de deux semaines. C’est la chronicité des symptômes qui fait évoquer une MITD.
Les explorations sont au stade de « débrouillage » : la recherche d’un syndrome inflammatoire, la sérologie avec les anticorps anti-Saccharomyces cerevisiae (ASCA), présents dans 70 % des maladies de Crohn, et les anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires (ANCA), présents dans 70 % des RCH. La carence en fer avec la baisse du VGM signe le caractère chronique de la maladie. L’échographie-Doppler est très performante en première intention (et en suivi) dans des mains entraînées pour localiser un épaississement inflammatoire du côlon ou du grêle. Dans un deuxième temps, un avis de gastropédiatre est indispensable pour compléter le bilan (endoscopie haute et basse et entéro-IRM) et initier le traitement.
Un pronostic plus sombre que chez l’adulte.
Chez l’enfant la stratégie thérapeutique doit intégrer les données concernant la croissance et la puberté, afin de permettre à l’enfant de mener à bien son pic de croissance pubertaire qui conditionne la taille définitive. En ce sens, les corticoïdes sont utilisés avec parcimonie, car ils peuvent favoriser la croissance par leur effet anti-inflammatoire, mais aussi la bloquer s’ils sont pris en trop fortes doses sur de trop longues périodes.
En traitement de la poussée, le 5-amino-salicylate (mésalasine) peut être tenté en première intention. Il est plus efficace dans la RCH que dans la maladie de Crohn. Un autre traitement de la poussée, plus efficace dans le Crohn, est la nutrition, très utilisée en pédiatrie. Elle cumule un effet aussi puissant sur les poussées que celui des corticoïdes et un effet décisif sur le poids, la taille et la maturation pubertaire. La nutrition peut être prescrite per os ou par sonde nasogastrique nocturne selon le produit et la tolérance de l’enfant. Il existe un produit spécifique (Modulen IBD), qui peut être pris per os ou par sonde. Le traitement de fond, pour la RCH comme la maladie de Crohn, fait appel aux immunosuppresseurs comme l’azathioprine (Imurel) ou le métothrexate, puis en cas d’échec aux anti-TNF (infliximab [Remicad], adalimumab [Humira]), comme chez l’adulte.
Le pronostic est plus sombre chez l’enfant, non pas tant du fait de formes plus actives que du fait de la durée d’évolution. La maladie de Crohn reste active chez la plupart des malades pendant des années, voire des décennies. L’enfant est donc exposé au fil des années aux complications (fistules, sténoses dans la maladie de Crohn, cancer dans la RCH) à plus ou moins long terme. La chirurgie est parfois nécessaire à l’âge pédiatrique, curative pour la RCH, pour traiter les complications dans la maladie de Crohn.
*CHU de Rouen ; professeur associé, université de Sherbrooke.
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