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Dossier

AFEF 2021

Hépatologie : le défi des stéatopathies métaboliques

Par Dr Maia Bovard Gouffrant - Publié le 18/10/2021
Hépatologie : le défi des stéatopathies métaboliques


SPL/ PHANIE

À côté des atteintes hépatiques liées à l’alcool et des hépatites virales, les stéato­pathies hépatiques métaboliques préoccupent de plus en plus. En témoignent les 89es Journées scientifiques de l’AFEF (Association française pour l’étude du foie) qui se sont tenues à Biarritz du 29 septembre au 2 octobre 2021 et ont accordé une large place à ces problématiques. De plus en plus, l’idée d’un repérage en soins primaires fait son chemin…

La NAFLD (non-alcoholic fatty liver disease) et sa forme agressive, la NASH (non-alcoholic steatohepatitis) – qui favorise l’accumulation de fibrose dans le parenchyme hépatique avec évolution vers la cirrhose et ses complications –, constituent un challenge en hépatologie. Par leur prévalence du fait de l’augmentation de l’obésité et du diabète, mais aussi par leur diagnostic souvent trop tardif au stade de cirrhose ou de carcinome hépatocellulaire (CHC) et par l’absence de traitement spécifique, même si on commence à lorgner du côté des anti­diabétiques.

Vers un dépistage de la fibrose hépatique en soins primaires ?

Les hépatologues font le constat amer que les maladies chroniques du foie sont généralement diagnostiquées à un stade trop avancé. Ainsi, les trois quarts des cas des cirrhoses sont repérés au stade de décompensation et les deux tiers des carcinomes hépatocellulaires ne sont diagnostiqués qu’à des stades tardifs non éligibles à un traitement curatif. Or on dispose maintenant de tests non invasifs qui permettent de rechercher et mesurer la fibrose hépatique. La fibrose hépatique est un facteur pronostic essentiel, non seulement pour le foie mais aussi pour le risque cardiovasculaire. Et, si un dépistage systématique paraît peu envisageable vu la population concernée, il semble pertinent de s’intéresser aux personnes qui ont au moins un facteur de risque (obésité, syndrome métabolique, diabète, alcool).

Diverses publications présentées au congrès de l’AFEF faisaient état d’une stratégie rationnelle pour évaluer la fibrose, en débutant par un test simple tel que le FIB-4 (un score combinant l’âge, les transaminases ALAT/ASAT et la numération des plaquettes) qui sera complété, s’il montre un risque élevé de fibrose hépatique, par un test de seconde ligne, soit un test sanguin plus complexe mais plus onéreux (Fibrotest, FibroMeter, ELF), soit la mesure de l’élasticité hépatique, avant d’en référer éventuellement à un hépatologue.

« Au CHU de Grenoble, une expérience a été menée dans le service de diabétologie en proposant systématiquement aux diabétiques un FIB-4, avec un compte-rendu incitant explicitement à réaliser un test de seconde ligne chez les patients à risque », explique le Dr Charlotte Costentin (CHU de Grenoble). Le seuil retenu pour considérer que le patient était à risque « avait été fixé assez haut, afin d’identifier les sujets les plus à risque de fibrose et surtout les plus à risque de complications, toute la difficulté étant de les emmener à un test de seconde ligne ».

D’autres études ont été menées dans d’autres populations, comme chez des coronariens ou dans des services de psychiatrie. L’objectif est de ne plus voir ces fibroses au stade de complications, ce qui suppose que tout médecin pense à la possibilité d’une fibrose hépatique devant un profil à risque, quel que soit le motif de la consultation, qu’il soit vu pour un diabète, une atteinte cardiaque, une insuffisance rénale ou une apnée du sommeil.

Une étude publiée l’an dernier a montré qu’un repérage pourrait être faisable en médecine générale. 40 médecins des Alpes-Maritimes ont proposé à leurs patients tout-venant âgés de 45 à 79 ans sans pathologie hépatique connue de réaliser un FIB-4. Cela a permis de suspecter une fibrose hépatique chez 19 % d’entre eux, parmi lesquels on a authentifié une atteinte hépatique dans 65 % des cas, la très grande majorité étant liée à une stéatopathie d’origine métabolique seule ou associée à d’autres facteurs de risque. Or ces scores FIB-4 pourraient être calculés dès qu’une prise de sang comprend la numération plaquettaire et les transaminases.

Il reste à montrer le rapport coût/efficacité de ce dépistage, question à laquelle veut répondre un projet de l’AFEF comprenant un volet médico-économique. Mais une chose est sûre : « vu l’étendue de la population potentiellement menacée par la NAFLD/NASH, si on veut améliorer le pronostic des maladies hépatiques chroniques en dépistant la fibrose précocement, il faut impérativement s’appuyer sur les médecins traitants », insiste le Dr Costentin.

Traiter le diabète pour soigner le foie ?

La NAFLD et la NASH ont en commun avec le diabète les troubles du métabolisme lipidique et l’insulinorésistance, d’où l’hypothèse que certains antidiabétiques pourraient participer à réduire la stéatose et/ou la fibrose.

a metformine est insulinosensibilisante mais n’a pratiquement aucun effet sur les lésions hépatiques. « Par contre, des études déjà assez anciennes montrent une association entre la prise de metformine et la diminution de 50 % du risque de CHC. Des études plus récentes menées chez des DT2 atteints d’une cirrhose liée à la NASH mettent en évidence une corrélation entre la prise de metformine et la survie sans transplantation hépatique, ni CHC, ni décompensation de la cirrhose, remarque le Pr Jérôme Boursier, hépatologue (Angers). Des résultats qui demandent cependant à être confirmés par des essais spécifiques. »

On avait espéré faire « coup double » sur le diabète et la cirrhose avec les glitazones (ou agonistes PPARγ), qui effectivement amélioraient la fibrose et la NASH, mais en France, elles ont été retirées du marché. Le développement de l’elafibranor, un double agoniste PPARα/δ, a été arrêté, n’ayant pas atteint en phase 3 les objectifs de résolution de la NASH ou de réduction de la fibrose. Pour autant, tous les agonistes PPARα/δ n’ont pas dit leur dernier mot et d’autres sont en phase 2, comme le saroglitazar qui réduit la stéatose et révèle un profil lipidique favorable. Le lanifibranor, un agoniste pan-PPARα/δ/γ, devrait faire l’objet d’une phase 3, après avoir fait ses preuves sur l’amélioration de la NASH et de la fibrose, que les patients soient ou non diabétiques.

Les analogues du GLP1 semblent favoriser la résolution de la NASH parallèlement à leur effet bénéfique sur le poids, le profil lipidique et la fonction hépatique. On attend beaucoup des co-agonistes comme le tirzepatide, agoniste du récepteur du GLP-1 et du GIP (glucose-dependent insulinotropic polypeptide), qui améliorent les marqueurs associés à la NASH et à la fonction hépatique. Par ailleurs, un co-agoniste GLP-1/glucagon aurait un bénéfice encore plus marqué sur le poids et les constantes hépatiques.

En ce qui concerne les inhibiteurs des SGLT2, une petite étude a montré, sous empagliflozine, une diminution de la stéatose hépatique et des enzymes hépatiques. Ces résultats avec les plus récents antidiabétiques sont plutôt un bon signal mais les études ont été menées sur des critères de diabétologie et on attend des essais sur des critères strictement hépatiques.

« L’actualisation du traitement des DT2 intègre maintenant le risque cardiaque et rénal dans la décision thérapeutique. Mais ne devrait-on pas aussi tenir compte de la fonction hépatique et orienter le traitement en fonction des effets potentiels des anti­diabétiques sur la progression des lésions de NASH ?, s’interroge le Dr Jean-Michel Petit, diabétologue (CHU de Dijon). En cas de NAFLD, on pourrait privilégier les agonistes du GLP-1 si on veut insister sur la perte de poids et la baisse de l’HbA1c en l’absence d’atteinte cardiaque ou rénale, et plutôt les iSGLT2 dans le cas contraire. »