Chez l’enfant, une supplémentation alimentaire s’avère le plus souvent superflue, voire dangereuse, sauf peut-être dans quelques cas. À l’occasion des 26es Rencontres de pédiatrie pratique, qui se sont tenues les 21 et 22 janvier 2022, les pédiatres ont fait le tri entre compléments futiles et supplémentations utiles. Une édition qui a aussi permis de revenir sur la forte hausse des tentatives de suicide observée chez l’enfant et les signes qui doivent alerter.
Le recours aux compléments alimentaires est en expansion en pédiatrie. De fait, entre les 2e et 3e volets de l’étude individuelle nationale de consommation alimentaire (Inca), soit entre 2006 et 2015, l’utilisation de ces produits chez les moins de 18 ans a augmenté de près de 20 %. Si bien que 14 % des enfants consommeraient désormais des compléments sans statut de médicament. Un engouement particulièrement marqué pendant les saisons épidémiques, qui pourrait avoir été encore amplifié par la pandémie, estime le Pr Patrick Tounian, chef du service de nutrition pédiatrique de l’hôpital Trousseau (Paris).
Dans ce contexte, l’Agence nationale de sécurité sanitaire et alimentaire (Anses) a alerté l’an dernier quant aux risques d’une surconsommation de compléments alimentaires chez l’enfant, rappelle le Pr Tounian. L’instance « était alors très claire, (considérant) que hors régimes particuliers, les carences alimentaires sont rares », et que seule une supplémentation en vitamine D est justifiée, résume le pédiatre. Une affirmation sur laquelle il est revenu lors des 26es Rencontres de pédiatrie pratique en s’attachant à examiner l’intérêt de chacun des principaux types de compléments alimentaires, à commencer par les vitamines, qui restent probablement « les plus utilisés ».
Excepté pour la D, les vitamines, le plus souvent superflues
Pour le Pr Tounian, une supplémentation en vitamines apparaît bel et bien superflue dans la grande majorité des cas, ces nutriments étant souvent apportés en quantité suffisante par l’alimentation. En effet, alors que les compléments en vitamines B ou C sont affectionnés par les parents d’enfants faiblement consommateurs de fruits et légumes qui craignent la carence, les hypovitaminoses apparaissent « exceptionnelles ». Car ces vitamines, certes majoritairement présentes dans les végétaux, peuvent être trouvées dans les quelques produits frais généralement acceptés par les enfants – à l’instar des pommes (riches en vitamine C ou acide ascorbique) ou de la salade (riche en acide folique ou vitamine B9) –, voire dans quelques produits d’origine animale comme les laitages. De plus, pour certains de ces nutriments, comme l’acide ascorbique, l’organisme constitue une « réserve ». Ainsi, les situations à risque qui justifient vraiment une supplémentation restent rares en pédiatrie, le Pr Tounian citant en particulier, pour la vitamine B9, le traitement de l’anémie et, pour la vitamine C, certains troubles psychiatriques ou développementaux, comme l’autisme, pouvant conduire à une éviction totale des végétaux frais par hypersélectivité alimentaire.
Une vitamine dont les apports restent généralement insuffisants fait toutefois figure d’exception et justifie le recours à une supplémentation : la vitamine D, dont les besoins s’élèvent, chez l’enfant, à 10 à 20 μg/j. Ce qui correspond à plus de 10 œufs, ou à plus de 3 kg de viande ou d’abats, souligne le Pr Tounian. Ainsi la Société française de pédiatrie (SFP) a-t-elle élaboré de nouvelles recommandations, qui devaient être publiées début 2022 et qui invitent à supplémenter systématiquement à la dose de 400 à 800 UI/j tous les enfants de 0 à 2 ans. Une habitude à poursuivre idéalement jusqu’à 18 ans, en passant éventuellement, chez l’adolescent, « à 50 000 UI tous les trois mois, voire à 100 000 UI deux fois par an, une fois à l’automne et une fois en hiver », pour favoriser l’observance, indique le Pr Tounian. Chez les enfants à risque, ces doses doivent être doublées.
Seule précaution : les médicaments sont à préférer aux compléments alimentaires, non approuvés par l’ANSM, parfois extrêmement concentrés en vitamine D, avec risque de surdosage. Comme le soulignait l’Anses dans son alerte de 2021, des cas d’hypervitaminose particulièrement délétères avec hypercalcémie, néphrocalcinoses, déshydratations, etc., ont en effet été attribués à ce genre de produits.
Les minéraux, victimes des nouvelles tendances alimentaires
Au-delà des vitamines, quelques minéraux peuvent aussi faire l’objet d’une supplémentation, en particulier dans le contexte actuel de tendance à une réduction de la consommation de produits d’origine animale. C’est d’abord le cas du calcium. Face à la remise en cause des laitages, le Pr Tounian continue d’affirmer que certaines eaux minérales et surtout les produits laitiers restent seuls naturellement capables d’approcher les besoins journaliers. Ainsi la SFP préconise-t-elle désormais – dans des recommandations qui devraient être publiées prochainement – de consommer 3 à 4 portions de laitage par jour et de recourir à une supplémentation « quand les apports sont inférieurs à 300 mg/j », résume le Pr Tounian.
De même, les apports en fer sont souvent insuffisants. « (La carence en fer) est la maladie nutritionnelle de la planète : j’ai vu des milliers d’enfants qui étaient carencés en fer car ils ne mangeaient pas assez de produits carnés », affirme le Pr Tounian. Comme le soulignait déjà la SFP en 2017, les besoins en fer absorbé sont d’1 mg par jour chez l’enfant (et même de 2 mg par jour chez l’adolescent), ce qui correspond à 180 g de produits carnés – « ce qui est déjà beaucoup », reconnaît le Pr Tounian –, 400 g de céréales complètes, 1,3 kg d’épinards cuits ou 2 kg de légumes secs cuits. Ainsi la société savante recommande-t-elle, chez les enfants consommant moins de deux portions de viande par jour, de doser la ferritinémie. « Parce que certains variants génétiques permettent à quelques enfants de bien absorber le fer végétal et ainsi d’éviter la carence martiale », explique le pédiatre. Une supplémentation n’est requise qu’en deçà de 15 μg/L de ferritinémie.
Au-delà des carences
Mais les compléments alimentaires ne sont pas consommés que pour prévenir ou corriger d’éventuelles carences. La vitamine C est ainsi parfois utilisée pour doper l’immunité et prévenir les infections saisonnières. Un intérêt que le Pr Tounian ne dément que partiellement. De fait, une méta-analyse de 2013 aurait montré que si une supplémentation en vitamine C ne permet pas véritablement d’éviter les infections ORL hautes, elle semble capable de réduire la durée et la sévérité des symptômes. À condition toutefois d’être utilisée « constamment, à la dose de 200 mg/j au moins ».
De même, les oméga 3 (EPA, DHA), acides gras impliqués dans le développement neurologique et souvent présentés comme des boosters du fonctionnement cérébral, pourraient bel et bien avoir un effet significatif sur les performances cognitives. C’est ce qu’aurait conclu une autre méta-analyse citée par le Pr Tounian. « Ce travail a montré que les oméga 3 pouvaient améliorer les symptômes du TDAH », affirme-t-il. Si le pédiatre semble réticent à recommander une supplémentation à tous les enfants, des compléments en oméga 3 sont préconisés « chez les végétaliens, dont on est sûr qu’ils ne consommeront jamais de produits de la mer ». Pour ceux qui consomment moins de deux portions de poisson par semaine, « la question reste ouverte ».