Entretien avec le Pr Pierre-Yves Benhamou*
« L’AVENIR du traitement de diabète de type 1 repose aujourd’hui sur trois axes de recherche qui ne sont pas tous au même stade d’avancement », explique le Pr Pierre-Yves Benhamou, chef du service d’endocrinologie et de diabétologie du CHU de Grenoble. La première option thérapeutique – sur laquelle ne travaille pas le Pr Benhamou – vise à agir en amont, assez tôt dans la maladie, quand les cellules d’îlots pancréatiques, saines et viables, restent encore assez nombreuses. « Cela passe par des progrès en immunothérapie qui consistent à mettre au point un traitement qui serait une sorte de "vaccination". L’objectif de cette approche serait de bloquer la maladie auto-immune. Si on y parvenait, on pourrait envisager une régénération des cellules bêta pancréatiques. Celle-ci pourrait être spontanée, ou peut-être conviendrait-il de la stimuler. La finalité est que le patient recommence à fonctionner avec ses propres cellules bêta », indique-t-il.
Cette approche a été, dans son concept, validée il y a une dizaine d’années par plusieurs essais multicentriques. « Mais on bute actuellement sur des problèmes de mise au point de ce type de traitement. Et nous avons besoin de mieux connaître les effets secondaires de cette voie thérapeutique à moyen et long terme », précise le Pr Benhamou.
Diabeloop.
Le deuxième axe de recherche repose sur la mise au point de ce qu’on appelle désormais un pancréas artificiel. « Cette approche vise à permettre au patient de délivrer de l’insuline de façon autonomisée avec un pilotage par le taux ambiant de glycémie. Il s’agit sans doute de l’axe de recherche qui connaîtra le plus rapidement une réalité clinique », indique le Pr Benhamou. Ce pancréas artificiel fonctionne via l’utilisation d’une pompe à insuline, d’un système de capteur qui mesure la glycémie en continu et, entre les deux, d’un algorithme mathématique hébergé sur un boîtier de type smartphone capable de piloter la pompe à insuline.
Actuellement, cinq grands groupes internationaux travaillent sur la mise au point de ce pancréas artificiel. En France, le projet est porté par un consortium, baptisé Diabeloop (coordonné par le Dr Guillaume Charpentier), qui réunit les équipes du CH de Corbeil-Essonnes et des CHU de Grenoble, Montpellier, Toulouse, Nancy, Besançon et Caen. « Deux autres partenaires testent la pompe à insuline : les CHU de Strasbourg et de Marseille ; on peut aussi citer le CEA de Grenoble, qui a mis au point l’algorithme », explique le Pr Benhamou.
De la nuit à l’ambulatoire.
La plupart de ces équipes dans le monde ont démontré actuellement qu’elles étaient capables de bien maîtriser la glycémie, au moins dans la période nocturne. « Pour l’instant, pratiquement toutes les études ont été menées sur quelques jours en milieu hospitalier. Aujourd’hui, l’enjeu est de laisser sortir les patients de l’hôpital et de tester le dispositif en ambulatoire. En 2013, un essai, publié dans le New England Journal of Medecine, a été conduit chez des adolescents en colonies de vacances. Ils ont utilisé un pancréas artificiel sur la période nocturne, pendant trois semaines. Cet essai a montré qu’il était possible de réduire le risque d’hypoglycémie et d’améliorer le contrôle glycémique nocturne », indique le Pr Benhamou.
Désormais l’objectif des équipes engagées dans le projet est de prolonger la durée d’observation – au-delà de quelques jours – et de démontrer que le dispositif est fiable en ambulatoire. « Nous essayons aussi de mieux maîtriser ce que nous appelons lesperturbations, c’est-à-dire l’activité physique ou le repas par exemple. À un moment, il faudra aussi passer à une étude de pré-commercialisation qui permettra de pousser le système dans tous ses retranchements et de mesurer tous les incidents ou erreurs d’utilisation possibles. Cela sera une étape indispensable avant d’envisager la commercialisation », précise le Pr Benhamou.
Aujourd’hui, le consortium travaille sur un plan de développement qui devrait déboucher – sans doute en 2017 – sur une large étude multicentrique, via un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), en ambulatoire sur plusieurs semaines. « Avant cela, nous avons programmé d’autres essais : en 2014, 2015 et 2016 », précise le Pr Benhamou, en ajoutant que l’objectif est d’arriver à une mise à disposition du dispositif aux alentours de 2019-2020.
Allogreffes pancréatiques.
La troisième grande voie de recherche concerne bien sûr la thérapie cellulaire, via les allogreffes d’îlots de pancréas. « Aujourd’hui, on rencontre encore deux grands types d’inconvénients. Tout d’abord, la source d’îlots reste encore relativement limitée. Ensuite, les patients ont encore besoin d’un traitement immunosuppresseur permanent », explique le Pr Benhamou, en ajoutant que, pour l’instant, cette voie thérapeutique reste réservée à des patients ayant une forme très sévère et instable de diabète, avec des hypoglycémies menaçant le pronostic vital. « Nous arrivons néanmoins à une certaine maturité dans la procédure. Nous pouvons actuellement promettre au patient qu’il sera sécréteur d’insuline dans 90 % des cas pendant au moins cinq ans et qu’il ne présentera plus d’hypoglycémie sévère pendant la même période », indique-t-il.
Nombre d’îlots.
Le Pr Benhamou souligne qu’il y a actuellement une divergence entre les équipes qui travaillent sur cette thérapie cellulaire, sur le taux d’insulinodépendance, qui dépend du nombre d’îlots greffés : « les patients qui ont reçu une masse importante d’îlots – l’équivalent de trois pancréas – ont un taux de sevrage d’insuline qui atteint 50 % en cinq ans. Ceux qui n’ont reçu que deux pancréas ont un taux de seulement 20 % à cinq ans, précise le Pr Benhamou. Mais ce qui est à retenir, c’est qu’à cinq ans, dans tous les cas, les patients fabriquent de l’insuline et n’ont plus d’hypoglycémies graves. Ils ont aussi un diabète plus facile à équilibrer avec une hémoglobine glyquée qui, dans les trois-quarts des cas, reste inférieure à 7 %. »
Cette thérapie cellulaire est réalisée actuellement en France dans le cadre de deux programmes nationaux. Un premier consortium réunit les CHU de Grenoble, de Lyon, de Strasbourg, de Montpellier, Besançon, Clermont-Ferrand, Nantes, Nancy et Genève. Le deuxième programme est conduit par le CHU de Lille tandis qu’en 2014, le groupe de Paris devrait aussi démarrer cette activité. « Depuis dix ans, il y a eu environ 150 greffes d’îlots en France, laquelle est très bien placée au niveau international dans cette activité », indique le Pr Benhamou.
Cellules souches et intermédiaires.
À l’avenir, cette voie thérapeutique ne pourra concerner un plus grand nombre de patients qu’à la condition de disposer d’une source plus large d’îlots et surtout d’éviter le recours à un traitement antirejet. « À terme, on spécule tous sur la disponibilité des cellules-souches. Mais actuellement, personne n’a de modèle pertinent. L’enjeu est de mettre au point un modèle intermédiaire », indique le Pr Benhamou, qui fonde gros espoirs sur des îlots de porc. « Nous avons aujourd’hui des élevages appropriés à la clinique. L’idée est que ces îlots de porc soient mis en place dans des dispositifs de capsules de chambres implantables qui permettraient de s’affranchir d’un traitement antirejet. Il y a actuellement des exemples de chambres implantables qui ont montré leur capacité à protéger des îlots pendant une durée d’au moins un an sans aucun traitement antirejet », indique le Pr Benhamou.
* Chef du service d’endocrinologie et de diabétologie du CHU de Grenoble.
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