Il suffit de regarder le visage d’un enfant lorsqu’on lui donne quelque chose de sucré pour constater le pouvoir de séduction de cette denrée. La réaction ne sera absolument pas la même si on propose un produit amer, acide ou salé ! Pourquoi aime-t-on tellement le sucre ? « C’est une question physiologique : il semble que les humains soient ‘câblés’ pour la douceur, explique l’historien James Walvin, auteur de l’ouvrage Histoire du sucre, histoire du monde, dont la version française est parue cet été aux éditions La Découverte (1). Depuis leur naissance, malades ou en bonne santé, les nourrissons adorent le sucre et le miel. »
Le goût pour le sucré dans l’alimentation et dans les boissons est universel, et cette saveur est plébiscitée par plusieurs civilisations depuis des millénaires. « Utilisé pour lui-même, pour éliminer l’amertume de certains aliments ou boissons, comme médicament, voire comme signe religieux – le sucre est indispensable à différentes activités humaines dans d’innombrables sociétés », écrit ainsi James Walvin, avant de rappeler que les mots « sucre », « douceur » et « miel » sont régulièrement employés pour « évoquer les moments les plus heureux de la vie et les sensations les plus délicieuses ».
Le miel, première suavité de l’Antiquité
Pendant des siècles, bien avant la découverte de la canne à sucre, la suavité était présente dans l’alimentation grâce au miel. Égypte, Inde, Grèce classique, Empire romain… Le miel a toute sa place dans les récits historiques consacrés à ces régions du monde, y compris dans les textes religieux. « Le Coran évoque fréquemment le sucré : ‘Aimer les douceurs est un signe de foi’… On voit dans le miel un remède divin, dans l’attente du paradis promis où couleraient des rivières de miel. » Dans la Bible également, les images de miel sont nombreuses. « Quand Dieu guide les Hébreux hors d’Égypte, c’est pour les emmener dans ‘un pays où coulent le lait et le miel’ (Exode, 3, 8) », constate l’historien.
À ce moment-là, on est encore loin du sucre tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais son pouvoir est déjà bien installé et ses usages sont nombreux.
Le sucre, moteur de l’esclavage
Outre le miel, le goût sucré peut aussi être obtenu grâce à la transformation de la canne à sucre, « une plante ancienne originaire d'Indonésie, qui a voyagé lentement vers l'Ouest en passant par l’Inde, raconte James Walvin. Les Européens l’ont découverte en Palestine à l’époque des Croisades, avant de commencer à la cultiver en Afrique du Nord, en Crète et en Espagne. » À partir du XVIIe siècle, le sucre va connaître un développement spectaculaire. Alors qu’il était « un produit de luxe très coûteux, réservé aux riches et aux puissants », il devient progressivement accessible, omniprésent et populaire.
Cette nouvelle étape dans l’histoire du sucre est indissociable de la colonisation des Caraïbes, de l’Amérique, avec l’essor des plantations et la réduction en esclavage de millions d’Africains, contraints de travailler dans les champs de cannes à sucre… Un labeur particulièrement difficile, pour lequel les colons avaient besoin de bras. « À leur arrivée sur ces territoires, la main-d'œuvre indienne et indigène s'est éteinte et il n'y avait pas assez d'Européens pour cultiver le sucre, explique James Walvin. Mais comme des esclaves Africains avaient déjà été utilisés dans les îles de l'Atlantique, en particulier à Sao Tomé (où l’économie sucrière a été testée avec succès dès le XVIe siècle), les Portugais ont emmené des esclaves au Brésil. Les Français et les Britanniques ont ensuite fait de même aux Caraïbes. »
L’ampleur du phénomène était telle que l’historien parle « d’africanisation des Amériques ». « On sait que plus de 12 millions d’Africains ont été chargés sur les navires négriers et que plus de 11 millions ont survécu et atteint les rivages américains. Ce qui avait commencé comme un maigre filet transatlantique a grossi pour devenir le plus grand déplacement de population de l’époque prémoderne », complète-t-il.
Des conséquences sanitaires globales
Des plantations de canne à sucre aux raffineries qui se créent en Europe, l’augmentation massive de la production de sucre n’est pas sans conséquence sur l’environnement. À l’époque, déjà, des zones entières de forêts tropicales sont détruites pour que l’on puisse mettre de nouveaux espaces en culture. En Occident, les raffineries tournent à plein régime, font désormais partie du paysage.
Parallèlement, les impacts négatifs du sucre sur la santé commencent à faire leur apparition… Et ce n’est que le début. Preuve s’il en fallait que le sucre est au départ réservé aux plus riches, ce ne sont pas les simples sujets mais les rois et les nobles qui rencontrent d’abord de gros problèmes dentaires. Amateur de douceurs et de desserts, le roi Louis XIV aurait ainsi perdu toutes ses dents à l’âge de quarante ans ! Mais aujourd’hui, les caries ne sont plus réservées à quelques-uns.
L’importante consommation de sucre – notamment via les boissons industrielles (en particulier les boissons gazeuses), les plats préparés, les céréales, les barres chocolatées, les biscuits – a un impact considérable sur la santé des consommateurs. Problèmes dentaires, diabète et obésité concernent une part croissante au sein de la population, sur tous les continents.
Malgré les mises en garde des médecins et des chercheurs, malgré les études scientifiques démontrant ses méfaits, le sucre est encore trop présent dans de nombreuses denrées et sa douceur tient une bonne place dans l’alimentation moderne. Peut-être cette situation changera-t-elle avec la tendance du « Zéro sucre », initiée ces dernières années par de grandes entreprises de sodas. Cependant, « personne ne s’attend à ce que le sucre s’évapore, conclut James Walvin. C’est une industrie qui emploie trop de monde, et l’attachement culturel au sucre est bien trop profond pour qu’il disparaisse du jour au lendemain ».
Entretien avec James Walvin, spécialiste de l’esclavage, professeur d’histoire émérite à l’université d’York (Angleterre) (1) James Walvin. Histoire du sucre, histoire du monde. Traduction de l’anglais par Philippe Pignarre. La Découverte, 300 p, 22 €
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