D’abord un freinage puis une activation

Le calendrier en deux temps de la puberté au féminin

Publié le 16/12/2010
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LES VOIES de la signalisation commandant la stimulation ou la désinhibition des neurones à GnRH, l’hormone qui régule la synthèse et la sécrétion de la LH et de la FSH, sont encore mal connues. L’identification des kisspeptines, dont l’expression est sous le contrôle du gène Kiss1, et de leur récepteur, GPR54, par des chercheurs de l’INSERM (de Roux et coll., 2003), a ouvert une voie dans la compréhension du calendrier et de la progression du processus pubertaire. L’inactivation des gènes GPR54 ou Kiss1 a ainsi une action hypogonadotrope chez des souris des deux sexes. En outre, la plupart des neurones à kisspeptine du noyau arqué hypothalamique (ARC) comme du noyau paraventriculaire antéro-ventral de l’hypothalamus (AVPe), co-expriment le récepteur à l’estrogène alpha (ERα).

Des souris génétiquement modifiées.

L’équipe de Jon Levine a élaboré, après divers croisements, un modèle de souris génétiquement modifiée avec inactivation conditionnelle du gène de l’ERα (Esr1) au niveau des neurones à kisspeptine : la souris KERKO. Les chercheurs observent que l’ouverture vaginale, un témoin visible du démarrage de la puberté chez la souris, est considérablement avancée chez les souris KERKO. Elle survient au bout de 13 jours environ (contre quelque 29 jours chez les souris WT témoins). Les concentrations en LH sont 6 à 7 fois plus élevées chez les souris KERKO à j15 (15 jours après la naissance) par rapport aux souris WT. L’absence du récepteur ERα au niveau des neurones à kisspeptine a donc pour effet d’induire une activation précoce de la neurosécrétion de GnRH. En d’autres termes, la voie de signalisation ERα au niveau de ces neurones semble avoir pour rôle de refréner la libération de l’hormone GnRH en période prépubertaire.

Le suivi de la progression de la puberté par les analyses histologiques chez les souris met en évidence une absence de cycles œstraux physiologiques chez les femelles KERKO et une absence de corps jaune à j35, à l’inverse de ce qu’on observe chez les souris WT. Les souris dépourvues de récepteur ERα au niveau des neurones à kisspeptine ne parviennent donc pas à maintenir des cycles ovulatoires et, par conséquent, ne peuvent progresser plus loin dans la puberté.

Deux populations disctinctes de neurones à kisspeptine.

Des analyses immunohistochimiques montrent ensuite, chez les souris KERKO, une forte réduction de l’expression de la kisspeptine au niveau du noyau AVPe, par rapport aux souris WT, à j25 et j35, et une élévation de son expression au niveau de l’ARC. L’ERα joue donc, à l’étage des neurones à kisspeptine, un rôle opposé sur l’expression du neuropeptide selon la région cérébrale où ils sont localisés.

Ces travaux chez la souris donnent donc une idée plus précise du mécanisme impliqué dans le timing de l’établissement de la puberté féminine : deux processus sous contrôle du récepteur estrogénique ERα, le premier de freination, le second d’accélération, sont mis en oeuvre successivement au niveau de deux populations distinctes de neurones à kisspeptine. La retenue de la libération de GnRH, observée avant le démarrage de la puberté, semble induite par l’activation de l’ERα dans les neurones à kisspeptine du noyau arqué de l’hypothalamus, tandis que la stimulation ultérieure, durant la puberté, de la libération de GnRH est sous le contrôle de la voie de signalisation de l’ERα dans le noyau paraventriculaire antéro-ventral de cette formation. Il reste toutefois à savoir si le même mécanisme peut être observé dans d’autres espèces animales.

Mayer C., Levine JE et coll. Proc Natl Acad Sci USA (2010) Publié en ligne.

 Dr BERNARD GOLFIER

Source : Le Quotidien du Médecin: 8878