› Par le Pr Serge Halimi*
L’INCIDENCE croissante de toutes les formes de diabète, principalement de celui de type 2, s’est accompagnée il y a presque deux décennies maintenant, de sa reconnaissance comme un facteur de risque cardio-vasculaire (CV) majeur, à l’origine de multiples coronaropathies et accidents vasculaires cérébraux (AVC) qui touchent durant leur vie 50 à 70 % des patients. Les diabétiques des deux sexes sont en effet fortement surreprésentés dans les unités de soins intensifs de cardiologie (USIC) où environ un patient sur quatre est diabétique, une proportion plus élevée pour ce qui concerne les femmes (30 à 40 %).
Durant les trois dernières décennies, la mortalité d’origine CV a considérablement décliné dans la population générale, avant que cela soit constaté pour les patients diabétiques également. Mais cette évolution ne semble pas avoir concerné les femmes diabétiques. Ce constat surprenant pose globalement la question de savoir si les femmes diabétiques ne sont pas victimes d’une sous-estimation de leur risque CV et ce qu’il conviendrait de faire pour modifier cette situation à l’avenir (1-3).
Le risque cardio-vasculaire des sujets diabétiques est accru (fig. 1).
Le diabétique de type 2 (DT2) est, dans plus de trois quarts des cas, porteur, en plus de son hyperglycémie, d’une obésité centrale, d’une dyslipidémie athérogène caractéristique, d’une hypertension artérielle et d’autres troubles associés. Le pronostic post-infarctus est considéré comme plus défavorable, quoique la taille de l’infarctus soit moins importante, les lésions coronaires sont plus étendues. Il y a une vingtaine d’années, le risque CV des DT2 a été estimé de 2 à 4 fois supérieur à celui de la population générale. On a même considéré alors qu’un DT2 en prévention primaire avait un pronostic identique à celui d’un non-diabétique en prévention secondaire (4).
Le risque CV des hommes diabétiques a diminué (Fig. 2).
Le risque CV des hommes diabétiques a diminué durant la dernière décennie : si cette affirmation a été nuancée depuis, ce risque a beaucoup décru chez l’homme diabétique et, aujourd’hui, on admet un risque double de celui des sujets non-diabétiques. La mortalité CV a beaucoup diminué en général et chez les diabétiques en particulier durant les deux dernières décennies (5). Cette évolution favorable est en réalité enregistrée chez l’homme diabétique et dans les pays disposant de moyens médicaux modernes ou d’une prévention primaire, d’un dépistage de l’ischémie myocardique silencieuse et d’une prévention secondaire en post-infarctus bien planifiées. Tout ceci a considérablement fait reculer l’incidence des coronaropathies et amélioré le pronostic post-infarctus des diabétiques. Ces stratégies ont concerné beaucoup de pays… Mais les femmes diabétiques en ont-elles autant bénéficié que les hommes, ou alors leur risque offre-t-il des particularités ?
La femme diabétique est-elle plus à surrisque que l’homme diabétique ?
Le surrisque cardio-vasculaire de la femme diabétique est aujourd’hui bien établi (Fig. 1). L’étude INTERHEART portant sur 15 000 infarctus du myocarde dans 52 pays, retient ainsi des odds ratios de 4,3 (IC 95 % 3,5±5,2) pour les femmes et 2,7 (IC 2,4±3,0) pour les hommes diabétiques (6). De plus, la gravité des coronaropathies et le pronostic post-infarctus à long terme sont plus péjoratifs pour les femmes que pour les hommes diabétiques (7-8).
Pour les AVC, les données sont plus contradictoires (9). Une étude britannique portant sur 41 799 personnes avec diabète et 202 733 sans diabète trouve un HR de 4,66 pour les hommes et 8,18 pour les femmes diabétiques entre 35-54 ans. Au-delà de ces âges, celui-ci décline (10).
Pour les maladies artérielles des membres, les données sont rares, l’étude Framingham avait retenu plus de claudications intermittentes et d’amputations chez les femmes que chez les hommes diabétiques mais ces données sont très anciennes (11). En revanche, il n’est pas exclu que ce risque soit élevé chez les jeunes femmes diabétiques de type 1 (1-2).
Une étude américaine (NANES) a montré, chez les diabétiques, une baisse de la mortalité CV pour les hommes, de 26,6 décès/an/1 000 personnes entre 1971-1986 à 12,8 entre 1998-2000, alors que chez les femmes il est resté stable : 10,5 et 9,4 décès/an/1 000 personnes entre 1971-1986 et entre 1998-2000 respectivement (Fig. 2) [5].
En outre, des données de quatre larges études populationnelles menées en 1972, 1977, 1982, et 1987 en Finlande, soit un total de 16 779 hommes et 18 235 femmes suivies 10 années, montrent que le risque de premier événement coronaire chez les hommes diabétiques a diminué de 1,67 à 1,37/1 000 personne-années entre 1972-1977 et 1982-1987, alors que dans le même temps il a augmenté chez les femmes diabétiques de 2,33 à 3,42 [12].
Mais le Framingham Heart Study montre au contraire que la baisse de mortalité cardio-vasculaire a concerné les sujets des deux sexes ayant ou non un diabète entre 1950 et 2005 [13]. De plus, les données NANES ont été analysées à nouveau et ne confirmeraient pas l’absence de baisse de risque CV des femmes diabétiques. Il est possible que le vieillissement de cette population féminine ait beaucoup pesé sur ces données. Ceci semble confirmé dans plusieurs études, au Canada et en Europe. Toutefois nombre d’experts attirent l’attention sur une tendance à sous-estimer ce risque CV de la femme diabétique et en négliger le dépistage comme la prise en charge.
Les fondements du surrisque.
Il est établi que les femmes diabétiques cumulent plus de facteurs de risque cardiovasculaire (RCV) que les hommes : l’obésité y est plus prononcée, surtout la répartition centrale des graisses (in 3), et son lien avec le RCV semble plus marqué. De même, l’hypertension artérielle est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes diabétiques.
Ainsi, dans l’UKPDS, 35 % des 2 136 hommes et 46 % des 1 512 femmes diabétiques étaient hypertendus quel que soit le groupe d’âge [in 3]. De plus, les femmes seraient plus vulnérables face à l’hypertension : une hausse de 10 % de pression artérielle systolique étant considérée comme augmentant de 30 % le risque CV des femmes, comparé à 14 % pour les hommes. L’hypertension serait aussi un fort prédicteur de coronaropathies chez les femmes ayant un diabète de type 1.
En matière de dyslipidémie, la femme diabétique, quelle que soit son ethnie, son âge, semble, là encore, plus à risque, puisqu’en règle générale elle présente plus souvent une hypertriglycéridémie, des taux plus élevés de VLDL-TG et VLDLc, une baisse de HDLc et, par voie de conséquence, des particules LDLc plus athérogènes. Il est possible que leur adiposité plus marquée s’accompagne de taux plus élevés d’AGL circulants, d’une production plus élevée de lipoprotéines par le foie et d’une moindre épuration des VLDL. De plus, les conséquences de ce profil lipidique semblent plus sévères chez les femmes diabétiques (type 1 et 2) que chez les hommes diabétiques ou chez les sujets non diabétiques. Enfin les femmes diabétiques sont plus exposées à un état prothrombotique, incluant des taux plus élevés de fibrinogène, facteur VIIc et plasminogène, les exposant à un surrisque de rupture de plaque et de thrombose intraluminale pouvant expliquer la grande sévérité et le pronostic défavorable de leurs accidents coronariens. On décrit aussi un plus haut niveau de stress oxydant et d’inflammation de bas grade (in 3).
Des disparités dans la prise en charge.
Pourquoi, dans une période de réduction marquée du RCV en général et chez les hommes diabétiques en particulier, les femmes échappent-elles aux bienfaits des thérapeutiques introduites depuis deux décennies suite aux conclusions de l’EBM. Nombre d’études semblent indiquer qu’elles sont moins bien soignées selon les recommandations en vigueur : moins de traitement de leur dyslipidémie, de leur hypertension artérielle, de leur hyperglycémie et moins d’aspirine (14). De même, en post-infarctus, elles recevraient moins de statines, IEC, Bêta Bloquants (14). Rappelons toutefois que les recommandations actuelles de prévention secondaire CV ont été établies sur des études menées chez des hommes et non chez des femmes diabétiques, et que leur validité pourrait être discutée.
Néanmoins, si le bénéfice CV obtenu par la baisse du LDLc semble confirmé chez les femmes diabétiques, l’efficacité des IEC et des sartans serait moindre. À cela s’ajoute le fait que les coronaropathies sont plus souvent atypiques chez les femmes diabétiques, que nombre d’entre elles sont peu dépistées par des tests de sensibilisation, que ceux-ci semblent moins sensibles que chez les hommes. Nombre d’ECG d’effort seraient chez elles sous-maximaux par inaptitude physique, surtout en cas d’obésité, de sédentarité chronique et dans certains groupes socioculturels. En conclusion, tout concourt à laisser persister un risque CV excessif chez les femmes diabétiques, en grande partie modifiable. Beaucoup reste à faire en ce domaine et en commençant par une sensibilisation des équipes à cette question trop souvent négligée.
*Service diabétologie pôle digestif. Pôle DigiDune, pavillon Les Écrins, CHU Grenoble.
Faculté J Fourier. shalimi@chu-grenoble.fr
DCI : aucune avec le contenu de cet article
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