Le diabète est une affection hétérogène associée à de grandes variations dans la pathogénie, la vitesse de progression de la maladie et les complications. La classification simple et même simpliste en diabètes de type 1 ou type 2 (DT1, DT2) ne peut plus répondre à une telle hétérogénéité. Des efforts doivent être faits pour améliorer la classification des diabètes, tant pour mieux cerner leur risque de complications que pour permettre une réelle individualisation des traitements. Rappelons d’abord que de 6 à 10 % des diabètes en type 2 sont classés par erreur dans cette catégorie, alors qu’il s’agit en réalité de diabètes de type 1 lents (Lada). Mais ce n'est pas tout. En 2018, Ahlqvist et coll. (1) ont proposé une nouvelle classification des DT2 en cinq clusters, répondant à des mécanismes pathogéniques distincts et à des risques de complications différents. Cette tentative, quoiqu'importante, vaut-elle pour des populations non scandinaves ? Est-elle d’une aide réelle pour choisir les traitements de l’hyperglycémie ?
Des questions d'autant plus importantes qu'aujourd'hui nous disposons de davantage de classes thérapeutiques et avec plusieurs molécules par classes, aux évidentes spécificités. Évitons donc de prescrire à tort un traitement peu efficace, évitons d’associer et d’empiler les thérapeutiques sans preuve de leur utilité, ce qui accroît l’inobservance et l’inertie thérapeutique, en particulier lors des besoins de renforcement des traitements.
Les recommandations s'intéressent aux complications mais pas encore aux phénotypes
Beaucoup de médecins fondent à juste titre leurs prescriptions sur les prises de position des sociétés savantes – ADA EASD SFD, lire p. 8 – mais celles-ci entrent relativement peu dans les détails des phénotypes de patients (hormis l’IMC pour certaines d’entre elles). Certes, elles recommandent de réévaluer les effets glycémiques au plus tard après 6 mois de traitement, pour ne pas persister en l’absence de résultat. Cependant, l’initiation par metformine, puis le renforcement par les différentes classes, ne s’appuie presque pas sur la prédiction de la réponse glycémique plausible.
Pourtant, une équipe britannique, Dennis et coll., se penche sur cette question depuis quelques années en revisitant (2) deux études importantes publiées en 2006 et 2009, Adopt et Record. Pour mémoire, la première a comparé trois monothérapies initiales, administrées de façon randomisée à des diabétiques de type 2 nouvellement diagnostiqués et suivis pendant 5 ans : metformine, ou sulfonylurée, ou thiazolidinedione. Il fut constaté une meilleure réponse glycémique initiale sous sulfonylurée mais un échappement plus rapide après quelques années, et une meilleure durabilité sous metformine et plus encore sous thiazolidinedione. La mauvaise durabilité sous sulfonylurée fut alors largement relayée et un argument majeur pour les reléguer à une place secondaire dans les arbres décisionnels.
Mais le groupe de Dennis a étudié séparément les réponses des hommes et des femmes et constaté que la réponse glycémique était plus durable sous sulfonylurée chez les hommes et, à l’inverse, plus durable sous thiazolidinedione chez les femmes. Jusqu’à présent encore, aucune recommandation n’a suggéré de distinguer les sexes comme critère de choix d’un antidiabétique – d'autant plus intéressant quand il existe un IMC faible chez des hommes DT2 et plus d’obésité centrale chez les femmes.
Ce groupe a été plus loin encore en catégorisant les patients des études Adopt et Record selon les clusters décrits dans l’étude scandinave. Ils ont alors analysé les réponses glycémiques et les complications rénales de ces sujets DT2. Un premier point à retenir : les cinq clusters sont retrouvés dans ces études, et présentent une vitesse de dégradation différente de leur contrôle glycémique et un risque différent de maladie rénale. La meilleure baisse d’HbA1c est obtenue sous thiazolidinedione chez les sujets ayant l’insulinorésistance la plus marquée (cluster 3) et sous sulfonylurée lorsque le sujet a eu un diabète à un âge moyen, peu d’insulinorésistance et une faible réserve bétacellulaire (cluster 5).
Une classification incontournable dans les futurs grands essais
On dispose toujours des paramètres clinicobiologiques des patients, et le recours aux indicateurs tels que le Homa-R ou Homa-B n’est pas forcément utile pour les sélectionner et prédire leur réponse thérapeutique. Il est déjà ainsi possible d’identifier simplement les bons répondeurs aux plus anciens antidiabétiques sur le marché. Mais ce regroupement en cluster doit être réalisé dans les futures études, de phase 2 et 3, qui seront menées pour de nouveaux médicaments.
Dans ces travaux sur les clusters, il aurait été très intéressant d’ajouter, aux prédictions métaboliques, une prédiction du risque d’évènements cardiovasculaires (CV). Dans l'étude de Dennis et coll., le risque de devenir rénal a servi de substitut. Il pourrait dans le futur servir d’indicateur pour ne prescrire les nouveaux antidiabétiques, arGLP1 et iSGLT2 notamment (lire p. 20), qu'à ceux qui seront susceptibles d'en tirer le plus de bénéfice… réduisant d’autant leur prescription inutile chez beaucoup d’autres.
Pour les iSGLT2, la réponse est constante chez tous les patients. Mais, en ce qui concerne les arGLP1 il en va autrement, puisque les non (ou faibles) répondeurs sur ces deux paramètres ne sont pas rares (lire aussi p. 15). Ainsi, pour celui considéré souvent comme le plus puissant d’entre eux, le semaglutide, l’analyse des données poolées des études Sustain 1 à 7 indique que la moitié des sujets avec DT2 ne répondent pas suffisamment sur l’HbA1c (– 1%) ou le poids (– 5%).
Tant pour la classification des diabètes de l’adulte que pour la réponse aux traitements, la diabétologie se doit d’aller plus avant dans le domaine de la médecine de précision. L'enjeu est d’assurer plus d’efficacité, et moins de retards et inertie thérapeutique, soit en conséquence moins de dépenses de santé. Autant d'objectifs prioritaires face à une épidémie mondiale.
Exergue : Jusqu’à présent encore, aucune recommandation n’a suggéré de distinguer les hommes des femmes comme critère de choix d’un antidiabétique
Professeur émérite, Université Grenoble-Alpes (1) Ahlqvist E, Storm P, Käräjämäki A, et al. Novel subgroups of adult-onset diabetes and their association with outcomes: a data-driven cluster analysis of six variables. Lancet Diabetes Endocrinol 2018; 6: 361–69.2 (2) Dennis JM, Shields BM, Henley WE, Jones AG, Hattersley AT. Disease progression and treatment response in data-driven subgroups of type 2 diabetes compared with models based on simple clinical features: an analysis using clinical trial data. Lancet Diabetes Endocrinol 2019
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