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Dossier

45e Congrès annuel de la Société francophone du diabète

Diabète, l’exception française

Publié le 26/04/2019

La France est plutôt en pointe sur les techniques de réparation pancréatique comme le pancréas artificiel ou la greffe d’îlots. Mais concernant l’autorisation des gliflozines, les autorités sanitaires restent frileuses, contrairement à d’autres pays occidentaux. Une situation contrastée, abordée au 45e congrès annuel de la Société francophone du diabète qui a aussi précisé les liaisons dangereuses entre tabac et diabète, de mieux en mieux connues.

Gliflozines, la SFD contre-attaque

Alors que plupart des pays ont intégré les inhibiteurs de SGLT2 (iSGLT2 ou gliflozines) dans la stratégie thérapeutique du diabète de type 2 (DT2), en France, la HAS vient à nouveau de leur fermer la porte en revoyant à la baisse le SMR de l’empagliflozine. Cette exception française a du mal à passer auprès de la Société francophone du diabète (SFD), qui a publié à l’occasion de son congrès annuel (Marseille, 26-29 mars) une prise de position officielle réaffirmant l’intérêt des gliflozines et demandant leur mise à disposition rapide.

Comme tout nouvel antidiabétique, les iSGLT2 ont fait l’objet d’études de sécurité cardiovasculaires. Ces essais ont non seulement démontré leur innocuité sur ce plan, mais aussi leur bénéfice notamment en termes d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque (IC) et de fonction rénale. « Or, les complications cardiaques et rénales constituent un problème de santé publique majeur. Sont en jeu le pronostic vital, la qualité de vie et le coût de la prise en charge », souligne le Pr Patrice Darmon (Marseille), cosignataire de la publication de la SFD. Ces effets protecteurs cardiovasculaires et rénaux ont été confirmés dans différentes études observationnelles et ont amené de nombreuses sociétés savantes à modifier leurs recommandations. Ainsi, le récent consensus des sociétés de diabétologie européennes et américaines (ADA/EASD) consacre une place préférentielle aux iSGLT2 en cas de pathologie cardiaque ou rénale, en tant qu’alternative aux agonistes du GLP1.

Mais dans le même temps, certaines inquiétudes ont émergé quant à la tolérance de ces médicaments. Toutes les études montrent un risque d'infections génitales multiplié par 3 à 6, à prédominance féminine, celui d'infections urinaires étant inconstamment retrouvé. Des cas d’hypotension (notamment orthostatique) ont été rapportés, rares et le plus souvent transitoires. De façon plus surprenante, les iSGLT2 doubleraient le risque d’acidocétose, mais avec une incidence qui reste très faible (>1/1 000) et une survenue essentiellement dans des situations à risque (péri-opératoire, sepsis, etc.). Un petit surrisque de fractures a aussi été observé avec la canaglifozine, restant à confirmer. De même, un risque accru d’amputation des membres inférieurs a été rapporté avec la canagliflozine dans l’étude Canvas, puis suggéré par plusieurs rapports de pharmacovigilance. D’où les mises en garde des agences réglementaires européennes et américaines. Enfin, en août 2018, la FDA a alerté sur un possible risque accru de fasciite nécrosante périnéale (gangrène de Fournier) à la suite des 12 cas observés après traitement par iSGLT2, mais cela reste à confirmer.

Globalement, « mises à part les infections mycotiques génitales, les autres manifestations indésirables surviennent avec une incidence très faible, et/ou demandent confirmation », estime la SFD, pour qui le rapport bénéfice/risque reste largement en faveur des ISGLT2. « Il faut informer les patients et les médecins, inclure ce risque dans les RCP et poursuivre la pharmacovigilance au long cours, reconnaît le Pr Darmon, mais les effets indésirables ne devraient pas priver les patients français à haut risque CV ou rénal de cette nouvelle option thérapeutique, car ce serait une réelle perte de chance pour eux. » Un point de vue diamétralement opposé à celui des autorités. Considérant ces nouvelles données, en particulier les warning sur le risque d'amputation, de gangrène de Fournier et d'acidocétose, la HAS a estimé lors de la récente réévaluation de l’empagliflozine que la prescription de cet iSGLT2 pourrait constituer « une perte de chance pour les patients » et jugé qu’il « n’avait plus sa place dans la stratégie thérapeutique du diabète de type 2 ».


LE DIABÈTE 1.5, ENTRE DT1 ET DT2

« Quand le diabète voit double ». C’est sous ce mystérieux intitulé qu’une session a fait le point sur le diabète double, évoqué pour la première fois en 1991 pour décrire un DT1 associé à une insulino-résistance. Survenant généralement chez un DT1 “classique” (avec destruction auto-immune des cellules ß et insulinopénie) dans un contexte d’antécédents familiaux de DT2 et d’insulinorésistance, cette pathologie est aussi appelée “diabète 1.5” pour souligner le continuum qui existerait entre DT1 et DT2. Sa fréquence est mal connue, mais entre 10 et 20 % des DT1 seraient concernés. Surpoids ou obésité y sont associés, avec augmentation du périmètre abdominal, hypertriglycéridémie et HDL bas. Le diagnostic doit être évoqué chez un patient de moins de 35 ans, devant un DT1 ou un syndrome polyuropolydipsique. L’amaigrissement et l’hyperphagie sont absents ou peu marqués, avec tendance à l’obésité ou à l’adiposité viscérale, une histoire familiale de DT2, a fortiori en cas d’HTA et/ou de troubles lipidiques. « Le risque de complications est supérieur à celui du DT1 “simple” à cause du syndrome métabolique ou de certains de ses composants – évènements CV sévères, microangiopathie –, l’insulino-résistance constituant un facteur indépendant de risque de néphro ou rétinopathie », insiste le Pr Bruno Vergès (Dijon).

Le tabac facteur de risque de diabète

S’il ne fait de doute pour personne que le tabagisme majore les complications chez les diabétiques, l’implication de la cigarette dans la survenue de cette pathologie est moins connue. Pourtant, un fumeur a un risque de diabète de type 2 accru de 40 % par rapport à un non-fumeur. « La relation est dose-dépendante et augmente avec le nombre de paquets/années, explique le Dr Ivan Berlin, addictologue (hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris), la durée d’exposition apparaissant plus importante que la quantité, mais les données précises manquent. » Certaines méta-analyses évoquent même un risque de DT2 accru de 28 % en cas de tabagisme passif !

Les mécanismes d’action du tabac sont multiples. Si l’IMC des fumeurs est globalement inférieur d’un point à celui des non-fumeurs, la graisse se concentre chez eux plus volontiers au niveau de l’abdomen, et la graisse viscérale est proportionnelle à l’intensité du tabagisme. Aussi est-il préférable de mesurer le périmètre abdominal que l’IMC. On sait aussi que le tabagisme est volontiers associé à la sédentarité et une alimentation plus déséquilibrée. L’augmentation de la graisse viscérale favorise l’insulino-résistance via l’augmentation de la libération d’AG libres et des cytokines pro inflammatoires ainsi que la diminution de la sécrétion d’adiponectine.

Sur le plan biologique, la toxicité directe de la nicotine sur les cellules bêta a été démontrée in vitro. Du fait de son impact anti-œstrogénique, de l’augmentation de la sécrétion de cortisol et de la stimulation sympatho-adrénergique constante, la nicotine favoriserait aussi directement l’adiposité abdominale.

Du fait de la fréquente prise de poids, l’arrêt du tabac majore paradoxalement le risque de développer un DT2, qui culmine à 5 ans pour diminuer ensuite. « Mais seuls ceux qui prennent du poids sont concernés, les autres voyant au contraire ce risque nettement diminué. Le bénéfice spécifiquement cardiovasculaire de l’arrêt du tabac n’est pas remis en question par le gain pondéral », insiste le Dr Berlin.

Pancréas artificiel, la France dans les starting-blocks

Longtemps considéré comme un graal inatteignable pour le traitement du diabète de type 1 (DT1), le pancréas artificiel arrive en France et pourrait devenir « la référence pour la prochaine décennie », estime le Pr Pierre-Yves Benhamou (CHU de Grenoble).
Après avoir obtenu une AMM en 2018, le dispositif d’insulinothérapie automatisée Diabelop DBLG1 a en effet obtenu le marquage CE et « va progressivement être mis à disposition des patients ». Une demande de prise en charge par la Sécurité sociale serait en cours de dépôt. Ce dispositif made in France comprend un appareil de mesure en continu du glucose collé sur la peau et connecté à un smartphone dédié qui comporte un algorithme indiquant à une pompe à insuline les doses à délivrer en fonction de l’historique et de la physiologie de l’utilisateur. Selon les résultats de l’étude randomisée SP7, ce système permet d’augmenter de plus de 2 h le temps passé dans la bonne cible glycémique en réduisant de moitié la durée des hypoglycémies. Un autre dispositif, Medtronic 670G, a également obtenu son marquage CE et va faire l’objet d’études cliniques en France.

La greffe d’îlots pancréatiques est aussi en bonne voie en France, malgré des obstacles comme la nécessité d’un traitement immunosuppresseur et le manque de donneurs. L’an dernier, la SFD a publié des recommandations en précisant leurs indications, tandis que la HAS devrait se prononcer sur un éventuel remboursement pour les diabétiques de type 1 en impasse thérapeutique. Ainsi, « la greffe d’îlots est sur le point de sortir du cadre de la recherche pour être proposée en routine dans certaines situations », indique la SFD. Pour contourner les écueils actuels, les recherches s’orientent vers la possibilité de transformer des cellules souches en cellules sécrétant de l’insuline. également à l’étude, des pancréas bioartificiels qui encapsuleraient les cellules implantées afin de les isoler du système immunitaire du receveur. 

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