« Après un cancer cutané, le risque de seconde lésion maligne cutanée – carcinome ou mélanome – est significativement augmenté », prévient la Pr Ève Maubec, dermatologue à l’hôpital Avicenne (Bobigny, AP-HP) et spécialiste des cancers cutanés pour la Société française de dermatologie (SFD).
Précisément, environ 5 % des patients ayant présenté un mélanome en développeront un second au cours de leur vie (1). Après un carcinome basocellulaire (CBC), le risque de CBC ou de carcinome épidermoïde (CE) atteint 36 % à cinq ans (2). Et un risque triplé de mélanome a été observé après un carcinome épidermoïde et après un CBC (3). Une méta-analyse retrouve, vingt ans après un mélanome, un risque de développer un nouveau cancer cutané de 5 % pour un second mélanome, 14 % pour un CBC et 4 % pour un CE (4).
Un risque lié à l’exposition solaire
Le risque de second cancer cutané primitif est multifactoriel. Il peut exceptionnellement être dû à des mutations de prédisposition, comme celles du gène PTCH1, observées en cas de nævomatose basocellulaire (syndrome de Gorlin), qui favorisent l’apparition de CBC multiples, ou du gène CDKN2A, en cas de mélanomes multiples sporadiques ou de mélanome familial. Il dépend aussi du vieillissement, de caractéristiques individuelles (peau très claire, nombre élevé de grains de beauté, antécédents de brûlures secondaires à une photoexposition, en particulier durant l’enfance) mais il est essentiellement porté par un comportement sociétal d’exposition aux ultraviolets, naturels ou artificiels.
Le corollaire est que la photoprotection quotidienne réduit, de 39 % dans le cas des CE, le risque de nouvelles lésions (5). Cela n’est pas valable pour le CBC, dont la physiopathologie semble plutôt dépendre de l’exposition cumulée aux UV depuis l’enfance.
Encore faut-il que les patients adoptent les bonnes pratiques. Dans une étude australienne, un an après le traitement d’un carcinome cutané, seuls 62 % des patients utilisaient des écrans solaires (6). « Dans ce même contexte, nous avons relevé que seuls 59 % des patients évitaient le soleil aux heures les plus chaudes, 45 % portaient un chapeau, 28 % des vêtements couvrants, et 35 % utilisaient régulièrement une crème solaire à indice élevé (7), rapporte la Pr Maubec. Comme quoi, les conseils généraux ne suffisent pas. La sensibilisation doit être individualisée et les outils d’éducation thérapeutique ont toute leur place. »
Un allègement sous conditions
Les premières années, la fréquence du suivi est adaptée au risque de rechute du cancer cutané. Au-delà, s’il est indiqué, le suivi sera le plus souvent annuel, dédié au dépistage.
• Après un CBC, la surveillance proposée est généralement annuelle, pendant au moins cinq ans. Au-delà, elle peut être interrompue en l’absence d’autre antécédent de cancer cutané, ou maintenue à un rythme annuel dans le cas contraire.
• Après un CE, le suivi dépend du risque de récidive (algorithme 2025 du groupe Cancer et Peau de la SFD), avec un suivi annuel pendant au moins trois ans pour ceux à faible risque et, pour ceux à haut risque, un suivi plus rapproché, tous les trois à six mois pendant trois ans, puis un suivi au moins annuel adapté en fonction du terrain. « Ainsi, un patient ayant présenté plusieurs carcinomes épidermoïdes avec de nombreuses kératoses actiniques requiert-il un suivi dermatologique régulier, dans l’idéal semestriel, illustre la Pr Maubec. En revanche, un patient avec une unique lésion – même à haut risque – peut bénéficier, au-delà de la période des trois ans de suivi (où 95 % des rechutes surviennent), d’un espacement du suivi adapté au contexte. »
• Après un mélanome, passé trois ans d’un suivi trimestriel à semestriel, la surveillance, proposée à vie, varie entre tous les six mois et tous les ans, modulée selon les facteurs de risque individuels. Chez les patients ayant déjà eu un ou plusieurs mélanomes et ayant un syndrome des nævi atypiques, une surveillance deux fois par an pourra être maintenue. Celle-ci sera également semestrielle à vie en cas de mutation génétique de prédisposition au mélanome (CDKN2A, CDK4) ou d’antécédents familiaux multiples de mélanome.
Enfin, en cas de traitement immunosuppresseur au long cours et chez les patients transplantés, les carcinomes cutanés, surtout épidermoïdes, justifient une surveillance renforcée fondée sur le score Suntrac : tous les trois à six mois, y compris au-delà du cap des trois ans, du fait d’une probabilité accrue de développer des formes cliniquement plus agressives, avec un plus fort potentiel invasif ou métastatique (8).
En pratique, la démographie des dermatologues ne leur permet plus d’assurer à eux seuls le suivi régulier de tous ces patients. « Les médecins généralistes pourraient participer à ce suivi et se familiariser à la dermatoscopie, très utile en cas de lésion suspecte pour faire le tri entre un carcinome basocellulaire – qui évolue sur plusieurs années – et un mélanome nodulaire – qui progresse en quelques semaines », souligne la Pr Maubec.

(1) Schmid-Wendtner MH, et al. Br J Dermatol. 2001 Dec;145(6):981-5
(2) Flohil SC et al. Eur J Cancer. 2013 Jul;49(10):2365-75
(3) Rees JR et al. PLoS One. 2014 Jun 17;9(6):e99674
(4) Van der Leest RJ et al. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2015 Jun;29(6):1053-62
(5) Green A et al. Lancet 1999; 354:723-9
(6) Robinson JK. Arch Dermatol 1990; 126: 477-81
(7) Meyer N et al. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2007;21:520-5
(8) Jambusaria-Pahlajani A et al. Transpl Int. 2019 Dec;32(12):1259-67
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