Le principe de la bithérapie associant aspirine et inhibiteurs P2Y12 a connu des remaniements au cours des quinze dernières années depuis l’arrivée des stents actifs et surtout des données rapportées au Congrès européen de 2006 à Barcelone.
Celles-ci faisaient état d’éventuels liens entre mise en place de stents actifs de première génération et thromboses de stent très tardives, et certaines suggéraient que la bithérapie (aspirine et clopidogrel) devait être maintenue pendant plusieurs années. «Mais depuis 2006, souligne le Pr Guillaume Cayla, la mise à disposition de stents actifs de nouvelle génération ont incité à la réduction de la durée de cette bithérapie. Les propriétés de ces nouveaux stents s’avèrent rassurantes: diminution de l’épaisseur des mailles, amélioration de la qualité du polymère ... Pour être tout à fait clair, poursuit-il, le traitement doit être adapté à la présentation clinique du patient».
Bithérapie: 12 mois après SCA, 6 mois en cas de maladie coronaire stable
En effet, quand le stent est mis en place dans un contexte de syndrome coronaire aigu et donc en cas d’hyperactivité plaquettaire, la bithérapie reste à 12 mois que le stent soit nu ou actif, c’est l’attitude préconisée par les recommandations européennes.
En cas de maladie coronaire stable avec activité plaquettaire moins importante, des durées courtes de bithérapies à 4 semaines peuvent être envisagées après la pose d’un stent nu; si le stent est actif, les études rapportées en 2006 suggéraient une bithérapie de 12 mois, voire plus. Mais de nombreuses études cliniques ont ensuite randomisé des bithérapies de courte durée (3 à 12 mois) et des bithérapies de durée longue après mise en place de stents actifs, essentiellement de deuxième génération (qui s’accompagne d’une diminution du nombre des thromboses de stent). Ces études ont conclu que la bithérapie n’apportait pas de bénéfices sur la thrombose de stent mais augmentait le risque de complications hémorragiques. Les recommandations européennes ont alors proposé une durée de la bithérapie de 6 à 12 mois en cas de maladie coronaire stable (2).
«C’est généralement l’aspirine qui est poursuivie seule dans la majorité des cas, précise G. Cayla, le clopidogrel en monothérapie étant généralement réservé à certains patients, notamment polyvasculaires».
Quid des tests de réactivité plaquettaire?
Les tests biologiques ont permis de mieux comprendre le mécanisme des anti-agrégants plaquettaires, notamment celui du clopidogrel: existence de réponses variables entre les patients, mutations génétiques intervenant dans le métabolisme de la molécule et pouvant être impliquées dans la réponse au traitement...«On s’est alors demandé, déclare G. Cayla, s’il y avait un intérêt à ajuster les doses des médicaments au cas par cas en fonction des tests biologiques. Si l’on en croit les études, la réponse est non mais des études sont en cours». Les résultats de l’étude ARCTIC (3) notamment vont dans ce sens. Cette étude française randomisée s’est déroulée en France dans 38 centres entre janvier 2009 et janvier 2011 et a inclus 2440 patients devant subir une angioplastie. Ces patients ont été randomisés après la coronarographie en un groupe contrôle et un groupe d’intervention, dans lequel la réponse plaquettaire à l’aspirine et aux inhibiteurs P2Y12 a été mesurée avant angioplastie, puis entre deux et quatre semaines après le stenting pour ajuster la dose d’entretien. Les résultats de cette étude ont été négatifs; il n’y a pas eu d’amélioration du pronostic clinique en fonction de l’ajustement du traitement sur la réactivité plaquettaire par rapport à la prise en charge classique, on note toutefois une tendance à une réduction des hémorragies dans le groupe de patients monitorés. Ces résultats ne plaident donc pas pour le recours à l’ajustement plaquettaire systématique. Les test sont réservés pour l’instant à des cas particuliers, notamment chez des patients ayant eu une thrombose de stent ou des complications hémorragiques.
Une deuxième étude (ANTARCTIC) est en cours dans une catégorie de patients à plus haut risque, les sujets âgés dans un contexte de syndrome coronaire aigu, avec une focalisation sur les évènements hémorragiques.
Pas de conclusion formelle pour les patients à haut risque hémorragique
L’étude ARCTIC-Interruption, autre étude française, a inclus au bout de 1 an de suivi de l’étude ARCTIC, 1250 patients de cette étude qui furent randomisés en deux groupes de janvier 2010 à mars 2013. Dans le premier bras, l’AAP (clopidogrel ou prasugrel) était arrêté et le patient recevait de l’aspirine seule; dans le second bras, la bithérapie était poursuivie. Résultats: aucun bénéfice de la poursuite de la bithérapie n’a été démontré sur les évènements ischémiques. Par contre, les évènements hémorragiques furent plus nombreux dans le bras bithérapie. Les auteurs concluent qu’il n’existe aucun bénéfice de continuer les AAP au delà de 1 an après stenting actif quand aucun évènement ne s’est produit dans la première année après la mise en place du stent. En outre, aucune conclusion ne peut être tirée pour les patients à haut risque qui ne pouvaient pas être randomisés.
«Toutes les études démontrent donc qu’il n’y a pas d’intérêt à poursuivre une bithérapie au-delà de 12 mois, conclut G. Cayla, mais les patients à haut risque ne sont pas inclus dans les études et les cardiologues sont donc enclins à poursuivre la bithérapie chez certains patients à très haut risque. On s’oriente vraisemblablement vers des durées de bithérapie inférieures à 6 mois, entre 1 et 3 mois chez les patients à haut risque hémorragique. Nous possédons déjà des données observationnelles sur des populations importantes. Nous attendons des études randomisées».
D’après un entretien avec le Pr Guillaume Cayla, service de cardiologie, CHU de Nîmes, groupe ACTION, la Pitié-Salpêtrière
(1) Steg PG et al. ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation. Eur Heart J 2012;33:2569-619
(2) Task Force M, Montalescot G, Sechtem U, Achenbach S, et al. 2013 ESC guidelines on the management of stable coronary artery disease: the Task Force on the management of stablecoronary artery disease of the European Society of Cardiology. Eur Heart J 2013;34:2949-3003
(3) Collet JP et al. Bedside Monitoring to Adjust Antiplatelet Therapy for Coronary Stenting. N Engl J Med 2012 Nov 4
(4) Collet JP et al. Dual-antiplatelet treatment beyond 1 year after drug-eluting stent implantation (ARCTIC-Interruption): a randomised trialwww.thelancet.com Published online July 16, 2014
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