LE QUOTIDIEN : Comment est née l’idée de créer l’Institut Faire Faces ?
Pr BERNARD DEVAUCHELLE : L’histoire remonte à la première greffe de visage réalisée en 2005, époque où j’avais eu l’occasion de rencontrer le Pr Jacques Marescaux, président de l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif (Ircad), le Pr José-Alain Sahel de l’Institut de la vision et le Pr Arnold Munnich, créateur et ancien chef du département de génétique médicale de l'hôpital Necker-Enfants malades de Paris. De là est née l’idée de transformer l’essai au moment où était lancé le programme d'investissements d’avenir (PIA).
Rapidement, le projet a bénéficié d’un financement EquipEx (équipement d’excellence), mais sans avoir les locaux ni l’équipe de recherche pour travailler. Avec l’aide des administrations hospitalières et universitaires et du conseil régional, de Picardie à l’époque, nous avons imaginé la construction d’un bâtiment de recherche, à l’image de ce qui se faisait avec les instituts hospitalo-universitaires (IHU). Si la dimension était plus modeste, ce qui nous animait était du même ordre : concentrer dans un lieu dédié des chercheurs de disciplines différentes autour d’une thématique et englobant recherche fondamentale, recherche translationnelle et application clinique.
Malgré une nouvelle architecture et un financement, le projet de développement a été suspendu en 2014. après un changement de direction au CHU. Pour des raisons qui m’échappent, le projet a été gelé pendant trois ou quatre ans, alors même que les travaux devaient démarrer. Puis il a été relancé en 2017-2018 avec le renouvellement du soutien de la région et l’intégration de la Picardie dans la nouvelle région Hauts-de-France.
Quel est le projet scientifique de l’Institut ?
Ce délai nous a permis de travailler sur le fond. Une nouvelle équipe de recherche, Chimère (Chirurgie, imagerie, régénération tissulaire), a été créée avec l’ambition d’imaginer ce que serait l’après transplantation et de développer de l’ingénierie tissulaire afin de passer d’une chirurgie reconstructrice à une chirurgie régénérative.
En 2018, une évaluation du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hceres) nous a fortement encouragés à poursuivre dans cette voie. Ce que nous avons fait en répondant à des appels à projets. L’équipe de 55 chercheurs (chirurgiens, biologistes, psychologues, etc.) a créé une dynamique forte sur les pathologies particulières au niveau de l’extrémité céphalique. Ce n’est pas le versant neurologique qui est ciblé, mais bien celui de la reconstruction, du cancer et de la malformation.
Les projets auront plusieurs ambitions : restaurer la mobilité faciale, réparer les malformations congénitales, personnaliser la rééducation d’une paralysie faciale, prévenir les rejets de greffe et mieux traiter les cancers des voies aérodigestives supérieures.
L’Institut espère-t-il désormais obtenir le label IHU dans le cadre de la nouvelle vague d’appel à projets ?
En effet. Ce serait une reconnaissance de l’originalité du projet et de la qualité des travaux menés. L’Institut cumule tous les critères exigés pour la gouvernance (gestion par une fondation de coopération scientifique), l’appui des sociétés scientifiques nationales et européennes, les liens avec des universités étrangères - des relations sont établies avec la Belgique et la Suisse - et la formation - l'Institut est impliqué aux côtés d’autres acteurs comme l’université technologique de Compiègne (Idéfi - SimUsanté).
Des collaborations avec d’autres équipes sont-elles prévues ?
La concrétisation de la plateforme, avec notamment une IRM entièrement dédiée à la recherche en clinique humaine, suscite l’intérêt et nous engage sur la voie de collaborations. Nos collègues de l’hôpital de la Pitié-
Salpêtrière à Paris nous ont sollicités pour des recherches sur la physiologie linguale et laryngo-pharyngée. Dans le cadre de l’allotransplantation de tissus composites, l’IRM est là encore mobilisée avec des équipes lyonnaises pour des patients transplantés des mains afin de travailler sur le rejet chronique. Des collègues de Necker à Paris ou de Nantes se sont également montrés intéressés par l’ingénierie du tissu osseux.
Comment ces recherches s’articulent avec la prise en charge ?
L’Institut ne prend pas en charge de patients. Mais, comme pour l’Institut de la vision et l’Ircad, il est implanté juste à côté du CHU et donc en lien. Aussi, il n’est pas interdit que des patients présentant des pathologies mais étant hors soins puissent bénéficier des équipements, à l’instar de la plateforme d’analyse des mouvements du visage, tout à fait originale et utile pour étudier les paralysies faciales périphériques et la régénération nerveuse. Cet outil unique sera mis au service des patients.
Comment se concrétise la collaboration avec les industriels ? Ce sont eux qui vous sollicitent ou l’inverse ?
Parmi les 10 acteurs que compte la fondation de coopération scientifique, se trouvent des institutions, des universités, le CHU, notre association et un industriel (laboratoires Brothier), avec lequel nous avons travaillé sur l’ingénierie du tissu osseux. Pour l’IRM recherche, nous avons un partenariat avec la société Philips.
Les relations se nouent selon des intérêts communs. Nous collaborons avec l’université de Bâle depuis une dizaine d’années autour de l’utilisation d’un robot de découpe osseuse par laser. Nous avons pu acquérir cet équipement et collaborons avec le concepteur et fabricant sur des recherches pour élargir ses indications dans le domaine de la chirurgie craniofaciale.
Nous nous sommes aussi tournés vers les industriels du textile intelligent du nord de la France pour un projet de création d’un substitut aux pertes de substance nerveuse à partir de fil de soie. L’enjeu dans ce type de partenariat, c’est que l’industriel prenne en compte les contraintes liées au développement d’un dispositif médical tandis que l’Institut apporte les éléments qui relèvent de la recherche. Autre exemple, nous avons été sollicités par un laboratoire de cosmétologie pour travailler sur des échantillons de peau.
Ces collaborations modifient-elles la manière dont les chercheurs travaillent ?
L’enjeu de la valorisation est un défi, car elle implique des résultats à court terme dans une relation avec le monde industriel qui pense différemment, en liant la recherche au développement, en visant la rentabilité et en s’appuyant sur des études de marché. C’est toute la difficulté de lier deux mondes aux cultures différentes. Il n’est pas toujours aisé de faire se rencontrer cliniciens et ingénieurs. Il faut une rencontre entre une ambition clinique et un objectif commercial.
Ces collaborations peuvent amener à des remises en question et inviter les chercheurs à ne pas s’enfermer dans une impasse. Ces deux mondes doivent s’écouter sans que les chercheurs ne vendent leur âme. La pression des financeurs nous inviterait à penser autrement. Mais je reste convaincu que c’est l’esprit de la recherche et sa gratuité qui nous permettra d’avancer, sans céder à la tentation de la rentabilité à court terme.
En quoi consiste le volet formation de l’Institut ?
Il s’agit de développer l’éducation par la simulation. Nous disposons d’un amphithéâtre de 135 places et d’un bloc chirurgical expérimental de sept tables. Une ligne de recherche avec le CEA List sur l’apprentissage du geste chirurgical est déjà commencée. Nous souhaitons donner la possibilité à l’ensemble des acteurs de la santé d’apprendre, non plus de manière expérimentale, mais via des simulateurs visuels ou des mannequins, permettant une mise en situation et une analyse critique. C’est un intermédiaire entre la théorie et la pratique sur patient. La plateforme SimUsanté dispose d’outils de simulation qu’elle va mettre à disposition des étudiants en médecine mais aussi d’autres professions médicales ou paramédicales.
En complément, pour certains domaines particuliers, nous aurons la possibilité d'expérimenter une chirurgie sur animal de taille moyenne, comme le fait le Pr Marescaux à Strasbourg pour la chirurgie digestive. Plusieurs types de formation vont être proposés avec une progression dans l’apprentissage du geste avant qu’il ne soit effectué sur un patient.
L'un des axes de l’Institut porte sur la sensibilisation du grand public. Qu’en est-il ?
C’est un enjeu récurrent et auquel nous sommes très sensibles. Le précédent gouvernement a d’ailleurs lancé des campagnes de sensibilisation sur le handicap. Assez curieusement, ces campagnes ne montraient en quelque sorte que le handicap dit périphérique, comme une jambe ou un bras amputé, et à aucun moment n’est abordé la défiguration.
Cela relève pourtant de l’éducation du regard, dans un monde très normatif où la cosmétologie met en avant un idéal de beauté, dans un monde où il peut être difficile pour un adolescent porteur d’une disgrâce de s’intégrer. Il est de notre devoir d’améliorer les aspects fonctionnels et esthétiques, bien sûr, mais aussi d’éduquer le regard de l’autre. En lien avec des associations, tournées vers les maladies rares, nous participons à l’élaboration et à la diffusion de documents et de films.
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