Le Pr Emmanuel Martinod a le sourire. Son long et dur travail pour développer une nouvelle technique chirurgicale de greffe de trachée porte enfin ses fruits, alors qu’il fête la 50e avec du tissu aortique (1). Le greffon colonise progressivement le stent en silicone qui lui sert de tuteur, générant, qui plus est, de l’épithélium et du pseudo-cartilage. Ces opérations n’ont pas toutes eu lieu dans son service de chirurgie thoracique et vasculaire-ORL-stomatologie de l’hôpital Avicenne (AP-HP), certains malades ont été opérés à Lille, New York, en Italie ou même à Taïwan.
En 2025, pour la première fois, cette technique va être évaluée dans le cadre d’une étude randomisée dans l’indication du cancer invasif de la thyroïde. Nommé Triton-02, il impliquera 20 centres français. « Il s’agit de cancers indolents dont le diagnostic est souvent fait très tardivement. Ces tumeurs évoluent lentement mais peuvent métastaser », précise le Pr Martinod.
Un travail de près de trente ans
L’histoire commence en 1997. Alors qu’il mène une année de recherche dans le cadre d’un DEA, le futur professeur s’intéresse à l’utilisation de greffon d’aorte pour remplacer les trachées lésées. « Je ne revendique pas cette idée ! insiste-t-il. Elle avait déjà été décrite dans la littérature, mais personne ne l’avait concrètement essayée. » Le choix de l’aorte lui paraît assez logique : ce gros vaisseau fait preuve d’une grande résistance mécanique et d’une bonne élasticité, ce qui le rend morphologiquement et mécaniquement compatible avec le remplacement d’un segment de trachée. De plus, ce tissu est bien toléré.
L’idée a tout de même du mal à faire son chemin, en partie car les autorisations de l’Afssaps (ancien nom de l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’ANSM) se font souvent attendre. Les six premières opérations ont eu lieu entre 2005 et 2007 à titre compassionnel grâce à la collaboration de plusieurs équipes (CHU de Lille, CHU Avicenne AP-HP, CHU Nice) chez des malades porteurs de tumeurs trachéobronchiques étendues.
Après ces premiers succès, le nombre de patients opérés augmente progressivement. En avril 2022, l’équipe du Pr Martinod publie les résultats de l’étude Triton-01 (2) sur les 35 patients opérés à Avicenne entre octobre 2009 et octobre 2021. Les patients ont été hospitalisés pendant une durée moyenne de 17,7 jours, et un seul d’entre eux est mort au cours des 30 jours suivant l’opération à la suite d’un AVC ischémique non directement lié à la procédure chirurgicale.
Le retrait du stent, une décision au cas par cas
Des effets secondaires significatifs ont été constatés dans 22,9 % des cas : des infections bactériennes de l’implant, des œdèmes, une fistule broncho-œsophagienne et une médiastinite. Un peu plus de la moitié des patients ont développé des granulomes liés à la présence du stent qui ont été traités par bronchoscopie. Sur les 51 patients opérés jusqu’ici, le stent a pu être retiré 18 fois, sur la base de décisions reposant sur des critères encore très empiriques. « Dans l’idéal, nous retirons le stent une fois que le greffon est bien rigide, commente le Pr Martinod. Certains patients vivent tellement bien avec leur stent qu’ils ne veulent parfois pas le retirer. Dans certains cas, on ne fait que le leur raccourcir. »
L’un des avantages de cette technique est sa simplicité pratique : elle ne requiert pas de prévascularisation hétérotopique ni de traitement immunosuppresseur. Le recul offert par les 50 greffes faites à Avicenne a permis au Pr Martinod et à son équipe de mieux adapter la technique au profil du patient. Par exemple, lors de l’opération de patients avec un carcinome adénoïde kystique, il est nécessaire d’augmenter les marges de sécurité. Par ailleurs, une radiothérapie adjuvante doit être proposée aux patients dont les marges de résection sont petites ou porteuses de cellules cancéreuses.
La majorité des remplacements de trachée est liée à des cancers de la thyroïde et des carcinomes étendus adénoïdes kystiques de la trachée. « Nous avons aussi eu des patients avec des lésions bénignes, souvent à la suite d’une intubation ou une trachéotomie réanimatoire », ajoute le Pr Martinod. En décembre 2021, un patient italien a ainsi été opéré en raison de lésions sévères dues à une intubation prolongée pour Covid sévère (3). Un dernier cas de figure envisagé par le chirurgien est celui de patients atteints d’une tumeur bronchique très haut située.
(1) Une 51e opération a eu lieu depuis
(2) E. Martinod et al, AMJ Transplant, 2022, n°12 vol 22, p 2961-2970
(3) C. Menna et al, Chest, 2021, n°160, vol 6, p 613-617
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