Quel est l’effet de la thymectomie sur la survenue des cancers, notamment non thymiques ? Après une étude américaine publiée dans The New England Journal of Medicine qui avait jeté un pavé dans la mare il y a deux ans, une équipe de l’hôpital Cochin (AP-HP) riposte avec une analyse du suivi postopératoire à dix ans à partir du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).
Sur la période 2014-2023, les auteurs montrent que la chirurgie pour thymome diminue d’au moins 15 % le risque de tumeurs non thymiques. Certains cancers sont évités en particulier, comme celui du poumon. Les résultats sont publiés en ligne dans The Journal of Thoracic and Cardiovascular Surgery.
La chirurgie du thymus s’est développée plusieurs décennies pour traiter la myasthénie auto-immune. « Parallèlement, le thymus peut être le siège de tumeurs de sévérité variable, explique au Quotidien le Pr Marco Alifano, chirurgien thoracique à l’hôpital Cochin. Même si certains thymomes sont moins agressifs et ont pu être qualifiés un temps de “bénins”, la nosologie a été revue et tous sont classés dans les tumeurs malignes. Ceux dont le grading est assez souvent moins péjoratif à l’histologie peuvent s’associer à une myasthénie auto-immune. »
Le thymome est une maladie rare qui est diagnostiquée dans des circonstances variées : de façon fortuite lors d’un examen d’imagerie, lors d’une myasthénie ou d’autres maladies auto-immunes ou en cas de forme symptomatique (tumeurs volumineuses, infiltrantes et/ou compressives). Le risque de développer un second cancer non thymique semble augmenté chez les patients porteurs de thymome, même si l’association fait encore débat. La thymectomie peut être indiquée pour le traitement d’une myasthénie sans thymome ou pour l’exérèse d’un thymome (thymomectomie, le plus souvent associée à une thymectomie totale), qu’il soit associé ou pas à une myasthénie.
Plusieurs études ont déjà évalué l’intérêt de la thymectomie sur la myasthénie. « Dans les séries, la thymectomie est bénéfique dans des proportions variables, environ la moitié des cas, décrit le spécialiste. Dans la myasthénie sans thymome, le bénéfice était très clair dans un essai randomisé en double aveugle très rigoureux. » La survie des patients opérés pour thymome a fait l’objet d’études par des séries institutionnelles et par des groupes coopératifs internationaux (Itmig) ou nationaux (Rythmic).
L’étude qui a fait vaciller les certitudes
Pourtant, en 2023, une équipe de Boston (université de Harvard/Massachusetts Hospital), partant de l’hypothèse que le thymus reste nécessaire à la santé globale, avait conclu à un message inverse. Dans cet essai rétrospectif, qui avait apparié 1 146 personnes ayant été opérées (plus de 50 % sans tumeur maligne du thymus ou autre pathologie thymique confirmée) à autant de témoins, la chirurgie, à cinq ans, multipliait quasiment par 3 la mortalité toutes causes (8,1 % versus 2,8 % pour le groupe contrôle) et doublait le risque d’autre cancer (7,4 % versus 3,7 %). Le risque de maladies auto-immunes était également plus élevé, après exclusion des patients ayant présenté en préopératoire une infection, un cancer non thymique ou une maladie auto-immune.
« Cette étude a entraîné à l’époque beaucoup d’émotions parmi les oncologues et les chirurgiens thoraciques, se souvient le Pr Alifano. Il nous était difficile de généraliser ces résultats car l’expérience clinique nous suggérait plutôt l’inverse, ce d’autant que ce travail présentait des limites méthodologiques. » Le niveau de preuve était en effet modéré : l’étude ne pouvait être qu’observationnelle (car il ne serait pas éthique de randomiser et de prendre le risque de se passer de chirurgie en cas de thymome) et la population incluse était hétérogène (moins de la moitié avait une tumeur maligne du thymus).
Le PMSI à la rescousse
C’est ainsi que l’équipe française s’est tournée vers les données du PMSI pour en avoir le cœur net. Une analyse qui a été possible avec la collaboration entre cliniciens et experts de santé publique, dont le Dr Samir Bouyam, premier auteur. « Tous les cas hospitalisés en France y sont répertoriés, qu’ils viennent d’établissements publics, privés, d’hôpitaux de jour ou de soins de suite et de rééducation, et ce, sur dix ans, poursuit le spécialiste. De plus, même si les données sont anonymisées, la méthode du chaînage permet de connaître le devenir d’une personne donnée ».
L’étude française a inclus au total 3 611 patients avec un thymome, dont près des trois quarts (72,4 %, n = 2 616) ont eu une thymectomie, soit seule (n = 2 114), soit associée à de la radiothérapie (RT) avec ou sans chimiothérapie (CT) (n = 502). Certains n’ont pas été opérés mais ont eu de la RT ou de la CT (16,6 %, n = 600), quand d’autres n’ont eu aucun traitement spécifique (10,9 %, n = 395).
Lors du suivi, 361 patients ont présenté un autre cancer : 184 dans le groupe chirurgie seule (8,7 %), 48 dans le groupe chirurgie avec RT/CT (9,6 %), 66 dans le groupe RT/CT (11 %) et 63 dans le groupe non traité (15,9 %). L’incidence de second cancer était ainsi plus faible chez les patients opérés (30 pour 1000 personnes-années [PA]) par rapport à ceux qui ne le sont pas (53 pour 1000 PA).
Certains cancers étaient significativement moins fréquents chez les opérés : poumon, appareil génital féminin, os et cartilage, système digestif et système nerveux central. Le cancer du poumon était celui qui présentait la plus forte réduction d’incidence (-21 %).
Pour expliquer leurs résultats, les auteurs avancent l’hypothèse que l’exérèse d’un thymus non fonctionnel pourrait permettre au système immunitaire de se rééquilibrer et de mieux combattre les tumeurs. « De notre travail, il ressort que les patients opérés ont le risque le moins élevé de développer un nouveau cancer, résume le Pr Alifano. L’analyse par scores de propension, qui permet de s’affranchir de facteurs de confusion éventuels, retrouve la même chose. Si la fiabilité de notre étude n’est pas aussi forte qu’un essai prospectif randomisé, l’exhaustivité de la base de données gomme les imprécisions. Les patients opérés semblent se rapprocher du risque de cancer de la population générale. »
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