Bien loin de pouvoir refléter à elle seule l’état du système cardiovasculaire, la pression artérielle (PA) est une variable hémodynamique macrocirculatoire qui fait l’objet d’une régulation fine à court terme. Dans une étude d’évaluation des pratiques, la PA est le paramètre macrocirculatoire que le médecin anesthésiste-réanimateur tentera d’optimiser chez le patient à risque par une mesure invasive et continue (2). Élément rassurant puisque l’hypotension artérielle peropératoire a été identifiée comme facteur de risque indépendant de survenue d’une dysfonction postopératoire d’organe faisant à son tour le lit de la morbimortalité postopératoire (3).
Les limites
Selon ces mêmes auteurs, une valeur seuil de PA moyenne ‹ 55 mmHg est associée au risque de défaillance rénale et d’infarctus du myocarde postopératoire et cet impact a été retrouvé dès la première minute (3). Des stratégies visant à prévenir la survenue ou à traiter efficacement les épisodes d’hypotension artérielle s’accompagnent d’une réduction de la morbimortalité postopératoire (4). Au cours d’une hypovolémie, par la mise en jeu de ses mécanismes de régulation, la PA peut être maintenue dans des valeurs normales tandis que surviennent d’authentiques chutes du débit cardiaque et donc du transport en oxygène (5). Cet état d’hypoperfusion tissulaire s’accompagne d’anomalies microcirculatoires comme une raréfaction de la densité capillaire fonctionnelle. Le niveau de tolérance d’un organe à ces épisodes d’hypoperfusion tissulaire est d’autant plus limité qu’il est préalablement le siège d’une dysfonction. Enfin, certaines pathologies comme l’hypertension artérielle ou la maladie athéromateuse perturbent l’autorégulation des circulations régionales. Ces considérations physiopathologiques mettent clairement en exergue les limites d’une mesure isolée, même invasive, de la PA pour détecter les épisodes d’hypoperfusion tissulaire au cours d’une chirurgie potentiellement hémorragique ou comportant des contraintes hémodynamiques significatives.
Stratégie thérapeutique
Ces constatations conduisent à une notion physiopathologique selon laquelle le débit cardiaque est assez peu régulé mais s’adapte aux contraintes hémodynamiques et donc essentiellement aux conditions de charge ventriculaire. Ceci doit inciter à associer au monitorage de la PA, celui du volume d’éjection systolique (VES) ou d’un indice permettant de situer l’état de précharge sur la courbe de fonction cardiaque. La stratégie thérapeutique consistera en un remplissage vasculaire guidé par une titration ou des indices dynamiques permettant de prédire une réponse au remplissage vasculaire (6). Ces indices dynamiques sont la variation respiratoire du VES (VVE) ou de la pression pulsée (deltaPP), tous deux dérivés de l’interaction cardio-respiratoire chez le patient ventilé en pression positive (7). Ces paramètres imposent des conditions d’utilisation : absence de ventilation spontanée, rythme sinusal, rapport fréquence cardiaque/fréquence respiratoire› 3,6, absence d’altération franche de la compliance thoracopulmonaire (8). Une condition d’interprétation est un volume courant d’au moins 8 ml/kg-1 de poids théorique (7,8). Ainsi, si les effets bénéfiques de la ventilation protectrice peropératoire se confirment (9) cette limite d’utilisation pourrait se rencontrer chez un grand nombre de patients. Pour pallier à celle-ci, les deux alternatives sont le lever de jambes passif assez peu adapté à la plupart des conditions chirurgicales et la pause expiratoire qui, en restaurant un retour veineux, permet de démasquer une possible réponse au remplissage (10). Si cette dernière manœuvre semble performante chez les patients de réanimation, une étude récente rapporte son absence de prédiction au remplissage vasculaire en peropératoire (11). Enfin, certaines conditions opératoires comme la ventilation unipulmonaire ou le clampage de l’aorte abdominale altèrent les performances d’une prédiction au remplissage vasculaire des paramètres dynamiques. Ainsi, une des approches thérapeutiques serait de titrer les besoins au remplissage vasculaire avec des volumes relativement réduit de l’ordre de 3 ml/kg-1 voire plus petit pour certains auteurs (12). Enfin, si l’optimisation hémodynamique peropératoire est principalement basée sur le remplissage vasculaire, elle peut nécessiter l’utilisation d’agents cardiovaso-actifs et/ou d’une transfusion sanguine homologue.
Technologie
De nos jours, la technologie biomédicale permet de monitorer de façon continue et semi-invasive, voire non-invasive, les déterminants macrocirculatoires de la perfusion tissulaire : la pression artérielle et le débit cardiaque. Ces mêmes moniteurs nous permettent d’accéder à des indices de contractilité ventriculaire ou de précharge-dépendance au prix d’une invasivité minimale. La multiplication des informations données ne constitue pas forcément un gage d’impact pronostique. À ce jour, seule l’optimisation hémodynamique basée sur l’analyse invasive de l’onde de pouls ou du Doppler œsophagien a démontré son intérêt pronostique avec une réduction des complications et de la durée de séjour hospitalier. Une réduction de la mortalité pourrait être escomptée chez les patients à plus haut risque. Quelle que soit la technologie choisie, l’optimisation hémodynamique périopératoire doit comporter un algorithme avec des objectifs prédéfinis et doit s’intégrer dans un programme transversal multimodal de réhabilitation postopératoire répondant au concept de « bundle approach » des anglo-saxons (13). Considérant tous ces éléments, il est important que le clinicien connaissent les méthodes de mesure des divers moniteurs proposés afin d’en appréhender les règles de bon usage et les limites, qu’il puisse définir leur place dans la prise en charge périopératoire du patient selon le niveau de risque opératoire, enfin qu’il garde en tête que l’obtention d’un état macrocirculatoire optimal ne garantit pas une parfaite homéostasie du système cardiovasculaire dont la finalité se situe à l’étage microcirculatoire et cellulaire.
* Service d’anesthésie-réanimation II CHU de Bordeaux, Pessac
** Unité INSERM 1034 Adaptation cardiovasculaire à l’ischémie, Pessac
*** Service d’anesthésie-réanimation III CHU de Bordeaux, Bordeaux
(1) http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549… (site web consulté en aout 2014)
(2) Cannesson M et al. Crit Care 2011,15:R197
(3) Walsh M et al. Anesthesiology 2013;119:507-15
(4) Brienza N et al. Crit Care Med. 2009;37: 2079-90
(5) Ward KR et al. Resuscitation 2010; 81:987-93
(6) Vallet B et al. Ann Fr Anesth Reanim. 2013;32:454-62
(7) Biais M et al. Anesthesiology 2012;116: 1354-61
(8) Ouattara A et al. Ann Fr Anesth Réanim. 2014;33:476-9
(9) Futier E et al. N Engl J Med. 2013;369:428-37
(10) Guérin L et al. Pract Res Clin Anaesthesiol. 2013;27:177-85
(11) Guinot PG et al. Br J Anaesth. 2014;112:1 050-4
(12) Muller L et al. Anesthesiology 2011;115:541-7
(13) Cecconi M. et al. Anesth Analg. 2014;119:516-8
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