Sans revenir sur le fait que tous les traitements essayés, dont aucun n’a atteint le seuil de significativité pour le critère primaire, semblent efficaces chez les patients dont la fraction d’éjection se situe entre 55 et 40 %, c’est-à-dire présentant une altération modérée de la fonction systolique, il est remarquable d’observer sur les analyses en sous-groupes préspécifiés la différence des effets selon zones géographiques du monde et le sexe.
Un médicament dépendant de l’origine géographique ?
En effet au cours de l’étude PARAGON-HF (présentée au dernier congrès de l'ESC), une diminution de l’ensemble des hospitalisations pour insuffisance cardiaque et des décès cardiovasculaires, de 29 % en Europe de l’Ouest et de 26 % en Amérique du Nord, est observée sous sacubitril-valsartan alors que ce traitement est associé à une augmentation de ce critère de 8 % en Europe Centrale et de 23 % en Amérique Latine. Comme il est peu probable qu’il s’agisse d’un médicament « raciste » dont les effets seraient différents en fonction de l’origine ethnique (seuls les patients originaires d’Asie ayant une réponse pharmacologique spécifique pour certains produits), vu qu’aucune différence génétique significative n’a été rapportée entre les Caucasiens de l’Est et de l’Ouest du continent européen, une autre origine à cette différence d’effets doit être recherchée. Elle tient probablement à l’accès aux examens complémentaires, notamment à l’IRM et aux examens isotopiques, comme la scintigraphie aux biphosphonates, permettant la recherche d’une atteinte cardiaque amyloïde. L’inclusion de patients atteints d’amylose cardiaque, en l’absence de la réalisation d’un bilan étiologique poussé systématique au cours de cet essai, notamment dans les pays où l’accès à ces techniques est moins facile, pourrait ainsi expliquer ces résultats surprenants.
Une question de genre…
La différence significative de réponse observée en fonction du sexe plaide également pour cette hypothèse. En effet, une diminution de 27 % du critère primaire est observée chez les femmes sous sacubitril-valsartan alors qu’une majoration de 3 % est retrouvée chez l’homme. Or, l’amylose à la transthyrétine sauvage est une pathologie intéressant dans 90 % des cas le sexe masculin. Dans notre expérience, quand elle est systématiquement recherchée dans le cadre du bilan étiologique d’une ICFEp, elle est retrouvée dans 17 % des cas. Ainsi l’inclusion d’hommes atteints d’amylose à la transthyrétine sauvage pourrait expliquer ces résultats. En effet, l’inhibition de la néprilisine pourrait, en inhibant la dégradation des chaînes amyloïdes, aggraver cette maladie. Ces données, associées à l’analyse post hoc des résultats de l’essai TOP CAT où un bénéfice de la spironolactone était observé en Amérique alors qu’aucun effet n’était retrouvé en Géorgie et en Russie, où avaient été inclus des patients au profil pronostique très différent, doivent conduire à réfléchir sur la réalisation et l’interprétation des essais thérapeutiques dans l’ICFEp.
Dans les essais cliniques conduits par les industriels, au cours de cette pathologie à la physiopathologie complexe et aux profils phénotypiques multiples, au lieu de privilégier le nombre, il faudrait mieux s’attacher à la qualité en définissant mieux les caractéristiques d’inclusion des patients. Quant aux cliniciens, en attendant les résultats des nouveaux essais thérapeutiques, notamment ceux sur les inhibiteurs SGLT2, il faut s’attacher au peu de résultats disponibles pour traiter cette pathologie fréquente, même si leur analyse n’est scientifiquement qu’exploratoire.
Ainsi, le sacubitril-valsartan semble un médicament intéressant chez les femmes européennes ou nord-américaines souffrant d’ICFEp secondaire à une cardiopathie hypertensive, après exclusion d’une composante amyloïde, ce qui correspond à la majorité des patients atteints. Il en est probablement de même pour la spironolactone. Ainsi en attendant l’apport éventuel des inhibiteurs SGLT2, le traitement de l’ICFEp pourrait être fondé, en sus des diurétiques de l’anse nécessaires au contrôle des symptômes et des signes congestifs, sur la spironolactone et l’association sacubitril-valsartan qui ne sont donc pas des médicaments racistes ou sexistes !
CHU de Toulouse
Solomon S.D. et al, Angiotensin–Neprilysin Inhibition in Heart Failure with Preserved Ejection Fraction; NEJM September 1, 2019DOI: 10.1056/NEJMoa1908655
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