Le comorbidome caractéristique de l’ICC, notamment dans sa forme à fraction d’éjection préservée (ICFEp), associe hypertension artérielle (HTA), obésité, diabète de type 2 (DT2), maladie coronarienne, insuffisance rénale et bronchopneumopathie obstructive. Avec la maladie cardiaque sous-jacente, l’âge avancé des patients et le sexe masculin, il fait partie des éléments de mauvais pronostic en cas d’infection au Covid-19, qui peuvent aggraver les conséquences de l’infection pulmonaire (1). Les patients atteints de maladies cardiovasculaires pré-existantes représentent ainsi une proportion importante des sujets décédés au cours de cette épidémie, comme l’ont souligné les données chinoises et italiennes.
Favoriser le suivi à distance
Le suivi des patients ayant une ICC en période d’épidémie de Covid-19 a été précisé en France par la Haute Autorité de santé qui a établi une fiche spécifique (2). Sans dramatiser, celle-ci informe les patients sur le risque de développer une forme plus sévère en cas d’infection. Elle les encourage également à prendre des précautions supplémentaires en respectant les mesures gouvernementales, limitant leurs sorties à l’extérieur et en portant un masque « grand public ». Enfin, elle insiste sur les modalités du suivi de ces patients avec une place prépondérante pour la téléconsultation. La période de pandémie ne doit pas aboutir à une moindre surveillance. En effet, le risque de rupture de prise en charge est réel et peut entraîner la survenue de décompensations, ainsi que fragiliser ces patients vis-à-vis du virus. La télésurveillance du poids et des symptômes, mis en œuvre dans le cadre du programme ETAPES, permet de dépister les signes avant-coureurs de décompensation et d’adapter les posologies des diurétiques de l’anse par téléconsultation, sans avoir besoin de déplacer les patients. Avec la surveillance à distance de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et la connaissance des paramètres biologiques essentiels (créatininémie et kaliémie), il est possible par téléconsultation d’incrémenter les traitements de fond anti-neuro-hormonaux. En effet, il reste important d’optimiser au mieux le traitement de ces patients fragiles pour augmenter leur résistance à une éventuelle infection virale. En cas de signe de gravité ou de non-réponse aux mesures prises à distance, il ne faut bien sûr pas hésiter à réaliser une consultation en présentiel ou à hospitaliser ces patients.
Des mécanismes indirects prédominants
Outre l’aggravation de la dysfonction myocardique sous-jacente par la majoration du travail cardiaque générée par le Covid-19, les mécanismes à l’origine de la susceptibilité des insuffisants cardiaques à développer des formes sévères restent discutés (3). Le virus pourrait pénétrer dans les cellules cardiaques après une liaison à une protéine membranaire : l’enzyme de conversion de l’angiotensine de type 2 (ACE2). Cette enzyme de contre-régulation dégrade l’angiotensine 2 en angiotensine 1-7, qui a des propriétés antioxydantes, antifibrosantes et anti-inflammatoires. Cependant, cette atteinte myocardique directe par le virus ne semble pas être l’élément déterminant. Une atteinte myocardique biologique (avec élévation significative de la troponine et/ou des peptides natriurétiques) ou clinique (tableaux de myocardites ou arrêt cardiaque) a été mise en évidence chez 12 % des patients décédés du Covid-19, sans maladie cardiovasculaire préexistante. Si des symptômes cardiaques (oppression thoracique, palpitations) peuvent parfois être importants, une atteinte cardiaque aiguë est rarement au premier plan. Les mécanismes indirects prédominent largement, liés à l’hypoxémie induite par l’atteinte pulmonaire, une inondation catécholaminergique et surtout une réponse immunitaire excessive. Celle-ci est à l’origine d’une inflammation intense, avec une libération importante de cytokines (IL6 et IL17) qui possèdent un effet myocardique toxique. En effet, l’augmentation des concentrations des marqueurs de souffrance myocardique apparaît d’autant plus importante que la maladie progresse et que l’état clinique se dégrade.
Trois types d’IC
La présentation clinique de l’IC au cours d’une infection Covid-19 est protéiforme, parfois trompeuse, car les deux pathologies (pulmonaire et cardiaque) peuvent être à l’origine d’une dyspnée. Ainsi, trois phénotypes existent en fonction des anomalies structurelles cardiaques présentes, de la phase évolutive de l’infection et de la sévérité du tableau clinique. Une ICFEp chez ces patients volontiers âgés (avec HTA, obésité, DT2) peut être à l’origine d’une stase pulmonaire, de sévérité variable, à une phase précoce de l’évolution de la maladie dans un contexte d’infection pulmonaire, pouvant être favorisée par un remplissage vasculaire. Une IC à fraction d’éjection réduite peut survenir plus tardivement, dans les formes sévères de la maladie, essentiellement due à l’effet toxique myocardique des cytokines. Enfin, plus exceptionnellement, ont été décrites des IC aiguës de novo dues à des myocardites fulminantes, à l’origine d’emblée d’un choc cardiogénique, ou à des syndromes de Tako-Tsubo secondaires.
Prudence face à la hausse des biomarqueurs
Bien que possédant une valeur pronostique, les élévations des biomarqueurs cardiaques, mises en évidence au cours d’infections à SARS-CoV-2, doivent être interprétées avec prudence (4). En effet, les élévations des peptides natriurétiques sont plus souvent le témoin du stress myocardique généré par le syndrome de détresse respiratoire aiguë (lié à l’atteinte virale) ou de l’existence d’un cœur pulmonaire aigu d’origine post-embolique, que la traduction d’une IC. Quant à l’élévation de la troponine, elle est plus souvent liée à un infarctus de type II, des myocardites ou des infarctus de type I. En effet, les infarctus de type II sont secondaires au déséquilibre entre l’augmentation des besoins myocardiques en oxygène induite par l’infection et la diminution des apports générée par l’hypoxie secondaire à l’atteinte pulmonaire. Quant aux rares infarctus de type I observés au cours de cette infection, ils sont induits par une rupture de plaque favorisée par l’inflammation.
Ainsi, il ne faut doser les biomarqueurs cardiaques qu’en cas de suspicion clinique d’IC ou d’infarctus du myocarde. Il ne faut pas non plus considérer une élévation isolée des peptides natriurétiques ou de troponine comme une preuve diagnostique d’IC ou d’infarctus de type I. L’interprétation du scanner pulmonaire, examen clef du diagnostic d’infection au Covid-19, peut être rendue plus difficile par la coexistence d’infiltrats pulmonaires bilatéraux, liés à la pneumopathie, et de signes radiologiques dus à la stase pulmonaire. L’échocardiographie reste l’examen clef du diagnostic d’IC ; la mise en évidence d’une altération de la fonction ventriculaire droite identifiant les patients à haut risque. Cependant, sa réalisation doit être prudente pour éviter la contamination des examinateurs et du matériel.
Et sur le plan thérapeutique ?
Contrairement aux antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II, les IEC (comme les bêtabloquants), en diminuant la concentration en angiotensine II, pourraient expérimentalement majorer les concentrations tissulaires d’ACE2 et ainsi aggraver la sévérité de l’infection à SARS-CoV-2. Les liens des différents traitements antihypertenseurs avec l’expression de l’ACE2 demeurant purement théoriques et aucun lien direct n’ayant été établi avec la sévérité de l’infection à Covid-19, les sociétés savantes insistent sur les effets délétères que pourrait induire leur arrêt, notamment en cas d’IC. Elles conseillent de ne pas modifier les traitements cardiovasculaires chez les sujets asymptomatiques ou présentant une forme non sévère de l’infection au Covid-19 (5). Cependant, chez les patients hospitalisés pour une atteinte pulmonaire sévère du SARS-CoV-2, les bloqueurs du système rénine-angiotensine devront être transitoirement interrompus, le plus souvent en raison du risque de vasoplégie et d’insuffisance rénale.
Fédération des Services de cardiologie, CHU Toulouse-Rangueil
(1) ESC Guidance for the diagnosis and management of CV disease during the COVID-19 Pandemic. https://www.escardio.org
(2) HAS. Réponses rapides dans le cadre du Covid-19 : Suivi des patients ayant une insuffisance cardiaque chronique, méthode de réponse rapide, 9 avril 2020. http://www.has-sante.fr
(3) Clerkin KJ et al. Coronavirus disease 2019 (COVID-19) and cardiovascular disease. Circulation 2020. https://doi.org/10.1161/CIRCULATIONAHA.120.046941
(4) Shi S et al. Association of cardiac injury with mortality in hospitalized patients with Covid-19 in Wuhan, China. JAMA Cardiol 2020 Mar 25. https://doi.org/10.1001/jamacardio.2020.0950
(5) Position statement of the ESC Council on hypertension on ACE-inhibitors and angiotensin receptor blockers. Https://www.escardio.orgg; 13 mars 2020
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